Fermez les yeux et pensez à Short Cuts (1994), le film de Robert Altman, d'après des nouvelles de Raymond Carver, qui mêle une multitude de personnages et d'histoires. Maintenant remplacez Raymond Carver par l'écrivain israélien Etgar Keret, Los Angeles par une ville qui ressemble à la fois à Tel-Aviv et à Sydney, Robert Altman par une débutante israélienne, et surtout les acteurs Julianne Moore, Jack Lemmon et Tim Robbins par des figurines de pâte à modeler. Vous n'y arrivez pas ? Il faut aller voir Le Sens de la vie pour 9,99 €, film qui a pour premier - mais pas unique - mérite de ne ressembler à aucun autre.
C'est le scénario, coécrit par Keret et la réalisatrice Tatia Rosenthal qui force la comparaison avec le film d'Altman. Les nouvelles du romancier ont été installées dans un immeuble Bauhaus (d'où la ressemblance avec Tel-Aviv), peuplé de personnages qui parlent anglais avec l'accent australien (les voix sont celles de grands acteurs des antipodes, Geoffrey Rush, Anthony La Paglia), d'où l'évocation de Sydney.
Disons qu'on est quelque part pendant la grande déprime qui travaille l'Occident depuis quelques décennies. Un père qui a réussi regarde ses deux grands fils se débattre sans grand succès sur le marché du travail. Le cadet tente de s'en sortir en acquérant par correspondance des manuels de développement personnel (d'où le titre). Un veuf ne parvient pas à se résoudre à sa solitude. Un top model tente de façonner ses amants à sa guise.
Cette veine réaliste est tempérée par les envols de l'imagination : un clochard, très tôt disparu, revient avec les ailes d'un ange (c'est le troisième film à employer ce motif depuis le début de l'année 2009, les augures y liront sûrement quelque chose) ; le destin des amants de la cover-girl ne relève pas exactement de l'étude psychologique.
CHOC THERMIQUE
Et surtout, il y a l'enchantement de l'animation. Le titre du film respire la dérision, son scénario est tout imprégné des sentiments, des sensations et des idées qu'engendrent les désenchantements de l'âge adulte. Et pourtant les maquettes des décors, les miniatures qui servent d'accessoires et les poupées qui remplacent les acteurs évoquent irrésistiblement l'enfance. La rencontre entre ces deux versants de la vie produit une espèce de choc thermique aux effets ravissants et troublants.
Les figurines sont d'essence réaliste : le père matérialiste a de vraies poches sous les yeux - entre les mains des sculpteurs, ce personnage est plus proche de la réalité qu'il ne l'aurait été entre les mains de bien des acteurs. Mais comme la plupart de ses collègues du Sens de la vie pour 9,99 $, il aura l'occasion de soustraire son corps aux contraintes de la physique et de l'anatomie et d'accéder au monde de Wil E. Coyote, domaine curieux où le corps peut sans dommage marcher dans le vide, subir de violents chocs physiques ou se modifier radicalement sous l'effet d'une émotion violente.
Ce recours à un mode d'expression inventé à de toutes autres fins offre un avantage supplémentaire. Le reproche si souvent entendu à la sortie des salles - "Je ne vais pas au cinéma pour retrouver mes soucis quotidiens" - est ici désamorcé. Vous les retrouverez tout au long du film, mais vous les reconnaîtrez à peine, tant ils sont devenus étranges et poétiques.
Film d'animation israélo-australien de Tatia Rosenthal. (1 h 20.)
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