Dans le conflit israélo-palestinien, le fracas des armes se double généralement dans les débats d'une véritable guerre de positions, bloc contre bloc. Il faut donc saluer la tentative de Samy Cohen, du Centre d'études et de recherches internationales (CERI, Sciences Po Paris), de s'affranchir de ces alignements généralement peu féconds pour dresser le bilan de l'armée de défense d'Israël (Tsahal) face aux groupes armés palestiniens.
Cette étude, alimentée par l'abondante littérature que le sujet suscite et par une solide enquête de terrain, balaie un certain nombre d'idées reçues, dont la "brutalisation" récente de l'armée israélienne du fait de facteurs sociologiques, ou son autonomisation grandissante vis-à-vis de l'échelon politique. Pour Samy Cohen, "la riposte disproportionnée est un élément essentiel de la culture stratégique d'Israël", même si cette stratégie, qui n'atteint jamais des niveaux de violence comparables à ceux pratiqués dans d'autres conflits, n'a cessé de produire les effets inverses de ceux escomptés. Et de renforcerin fine ceux qu'elle est censée défaire. Autre échec de la pensée militaire israélienne, le jeu de "levier" sur les populations civiles, ces punitions collectives généralisées depuis la seconde Intifada qui, au lieu de les dresser contre les groupes armés responsables d'une vie infernale, les soudent au contraire contre l'occupant.
Armée taillée depuis ses origines pour mener avec le succès que l'on sait des guerres conventionnelles "existentielles", Tsahal n'a donc cessé de sous-estimer l'enjeu du conflit asymétrique avec les Palestiniens et d'y répondre au coup par coup, de manière improvisée et généralement peu fructueuse. Samy Cohen décortique ainsi avec précision le phénomène des assassinats ciblés généralisés pendant la seconde Intifada et démontre leurs effets contre-productifs, la technicité de l'élimination prenant en effet souvent le pas sur l'analyse de leurs conséquences potentielles.
Cette courte vue systématique s'explique par l'absence assez inquiétante d'une réflexion de fond sur les techniques de la contre-insurrection vers lesquelles se sont tournés les militaires américains une fois embourbés en Irak. Selon Samy Cohen, Israël manque cruellement de David Petraeus. L'armée israélienne ne peut cependant être blâmée que pour ce qui est de son ressort et, comme le souligne le chercheur du CERI, son attachement à une stratégie manifestement erronée est sans doute lié à l'absence d'une vision claire du règlement du conflit israélo-palestinien chez les responsables politiques.
TSAHAL À L'ÉPREUVE DU TERRORISME de Samy Cohen. Seuil, 304 p., 21 €
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