Le casse-tête électoral de Dieudonné
Il a qualifié l’entretien du souvenir de la Shoah de "pornographie mémorielle". A assimilé les juifs à "des négriers"ayant" fondé des fortunes sur la traite des noirs". Ses innombrables dérapages lui ont valu d’être plusieurs fois poursuivi voire condamné pour incitation à la haine raciale. Le blog de notre correspondant à Paris
- Publié le 04-05-2009 à 00h00
Il a qualifié l’entretien du souvenir de la Shoah de "pornographie mémorielle". A assimilé les juifs à "des négriers" ayant "fondé des fortunes sur la traite des noirs". Ou - ce qui lui vaut d’être convoqué ce mardi devant un tribunal -, a décerné le "prix de l’infréquentabilité et de l’insolence" à l’historien Robert Faurisson, pour qui les chambres à gaz et la Shoah "forment un seul et même mensonge historique". Ses innombrables dérapages lui ont valu d’être plusieurs fois poursuivi voire condamné pour incitation à la haine raciale. Peut-il, malgré tout, être candidat à une élection ?
La question se pose en France depuis que le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, a annoncé ce week-end que les autorités envisageaient d’interdire à l’"humoriste" Dieudonné M’Bala M’Bala de mener une liste "antisioniste" au scrutin européen de juin. Pour le bras droit de Nicolas Sarkozy comme pour le leader de l’UMP, Xavier Bertrand, ou pour les centristes de François Bayrou, "les listes dont le seul moteur est la haine n’ont rien à faire dans le débat démocratique". Dès lors, a-t-il été confirmé lundi, le ministère de l’Intérieur planche en ce moment sur la glose de Dieudonné pour y détecter matière éventuelle à son interdiction électorale.
Reste qu’une telle interdiction ne serait pas aisée. Dieudonné n’a jamais été frappé d’inéligibilité. Et l’"antisionisme", même s’il est le faux nez de l’antisémitisme, n’est pas à ce jour, comme ce dernier, condamnable. Dans ces conditions, selon le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, seul pourrait éventuellement être invoquée contre l’"humoriste" la disposition du code électoral interdisant tout contenu raciste dans la propagande électorale des candidats distribuée aux électeurs.
Mais lundi, les constitutionnalistes paraissaient sceptiques. "La marge de manœuvre est très étroite", confiait-on au ministère de l’Intérieur. Et une incohérence sautait aux yeux. Dieudonné serait interdit d’un scrutin auquel participeront les frontistes Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch, qui ont déjà été condamnés pour avoir minimisé les chambres à gaz.
En outre, à gauche comme à droite, beaucoup s’inquiètent du probable effet pervers qu’aurait une interdiction électorale de Dieudonné. "Il a déjà tant l’habitude de se poser en victime : il n’hésitera pas à le faire une nouvelle fois. Donc, cela risque d’être contre-productif", a craint l’Union des étudiants juifs. "Je ne suis pas sûr que le remède ne soit pas pire que le mal", a abondé le député et ex-ministre chiraquien François Baroin. Tandis que le secrétaire général de l’Elysée était qualifié de "bon petit soldat" du "lobby sioniste" par un Dieudonné trop content d’être remis en lumière par cette controverse. Enchanté de bénéficier depuis ce week-end d’un fameux "coup de pub", a déploré le PS.
Reste une voie médiane envisageable : la modification de la loi, de manière à pouvoir condamner les auteurs de propos racistes ou antisémites, outre à des amendes et à de la prison, à des peines d’inéligibilité. Mais, d’ici au scrutin de juin, adopter une loi et la faire appliquer par les tribunaux paraît impossible. Cela n’ôterait pas à Dieudonné l’étoffe du "martyr". Et pourrait conduire à terme à l’interdiction électorale du Front national, ce qui paraît politiquement énorme.
Dans ces conditions, la France n’aura pas forcément d’autre choix, alors qu’elle est déjà confrontée à une recrudescence de l’antisémitisme, que d’offrir à l’"antisionisme" de Dieudonné une tribune électorale et médiatique sans commune mesure avec son audience. Même si cette dernière n’est pas mince, singulièrement dans la communauté noire. En témoignent l’activisme du groupuscule suprématiste "Tribu Ka" ou les diatribes haineuses d’un Youssouf Fofana, le leader présumé du "gang des barbares", actuellement jugé pour le meurtre en 2006 du jeune juif Ilan Halimi.