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Le pape veut enrayer l'exil des chrétiens d'Orient

Benoît XVI est attendu vendredi en Jordanie. Il se rendra ensuite en Israël et dans les territoires palestiniens.

Par Stéphanie Le Bars avec Christine Legrand (à Buenos-Aires)

Publié le 08 mai 2009 à 15h18, modifié le 08 mai 2009 à 15h19

Temps de Lecture 5 min.

Près de quarante mille personnes sont attendues, dimanche 10 mai, à la messe célébrée par le pape Benoît XVI au stade international d'Amman, en Jordanie ; plusieurs milliers de fidèles devraient assister aux célébrations prévues mardi 12 dans la vallée de Josaphat, à Jérusalem-Est, et mercredi 13 sur la place de la Mangeoire à Bethléem, en Cisjordanie ; quarante mille autres sont attendus à la grand-messe célébrée à Nazareth, en Israël, jeudi 14.

C'est en premier lieu pour cette minorité chrétienne de la région que le pape Benoît XVI a entrepris un "pèlerinage" d'une semaine, qu'il devait commencer vendredi 8 par une rencontre avec le couple royal de Jordanie, avant de poser, samedi, à Madaba, la première pierre d'une université catholique. "Je veux soutenir par ma présence les chrétiens qui habitent en Terre sainte", a-t-il déclaré à plusieurs reprises. "Je veux encourager (ces croyants) qui affrontent quotidiennement de nombreuses difficultés." Pour l'Eglise catholique, et pour la chrétienté en général, l'enjeu est de perpétuer et de consolider la présence chrétienne dans son berceau historique, aujourd'hui éclatée dans une région à forte majorité musulmane.

Résumant l'inquiétude du Vatican sur cette question, le cardinal Leonardo Sandri, préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, s'alarmait en avril dans une lettre envoyée aux évêques du monde entier.

Dans cette missive, envoyée à l'occasion de la collecte du vendredi saint pour la Terre sainte, le cardinal Leonardo Sandri écrivait : "Les blessures infligées par la violence aggravent une émigration qui prive inexorablement la communauté chrétienne de ses meilleurs éléments d'avenir. Le berceau du christianisme risque de se retrouver privé de chrétiens."

Il y a quarante-cinq ans, déjà, lors de sa visite historique dans la région, le pape Paul VI avait émis la crainte que "les lieux saints ne se transforment en musées" suite à leur "disparition". "Certains observateurs prédisent qu'au siècle prochain la Terre sainte pourrait s'être entièrement vidée de ses chrétiens", écrit encore René Guitton, dans son récent ouvrage au titre évocateur, Ces chrétiens qu'on assassine (Flammarion). Observateur averti et militant, l'auteur relève, dans les territoires palestiniens, notamment, "une hémorragie lente mais certaine".

Ces cris d'alarme récurrents venus des milieux religieux s'appuient sur une réalité : la proportion de chrétiens dans les pays de la région ne cesse de baisser et, en moyenne, ils ne représenteraient plus que 2 % à 3 % des populations locales, exception faite du Liban où les chrétiens, toutes Eglises confondues, constituent encore une forte minorité.

La vitalité démographique des familles chrétiennes, inférieure à celle de leurs voisins musulmans, et l'émigration régulière expliquent cette tendance. Observé partout, le phénomène demeure toutefois difficilement chiffrable.

Dénombrer précisément le nombre de chrétiens vivant en pays à majorité musulmane relève en effet de la gageure. Politiquement sensibles, minorés ou majorés selon les intérêts des différentes parties, les chiffres sont fluctuants. Sur son site Internet, la Conférence des évêques de France avance le chiffre de 14 millions de chrétiens présents au Moyen-Orient en 2003. Mais l'exemple égyptien est particulièrement significatif du flou qui règne en la matière. Le nombre de coptes orthodoxes y est estimé entre 3 et 10 millions de personnes, selon que l'on se réfère aux statistiques gouvernementales ou à celles des autorités religieuses !

De tels écarts laissent songeurs sur la précision de données concernant des communautés de quelques dizaines ou de quelques centaines de milliers de fidèles, comme c'est le cas dans la plupart des pays du Proche-Orient.

De même, le nombre de départs de chrétiens de leurs terres proche-orientales, et la proportion d'éventuels retours, reste inconnu. "Chaque année, plusieurs dizaines de personnes quittent Bethléem et sa région, sans espoir de retour, pour s'installer en Occident", note simplement René Guitton dans son ouvrage.

Dès le XIXe siècle, les chrétiens de Syrie, du Liban ou de Palestine se sont expatriés, ralliant, pour des raisons économiques, ou politiques l'Europe ou l'Amérique latine. Quelque 300 000 Palestiniens vivent au Chili et 10 % des Argentins sont d'origine syro-libanaise. Yaoudat Brahim est de ceux-là : sa famille a émigré en 1949 "pour fuir la tutelle coloniale du protectorat français". "Aujourd'hui, il n'arrive que très peu de Syriens et de Libanais et ils viennent pour des raisons familiales", assure-t-il.

L'émigration actuelle, volontaire ou contrainte, concerne principalement trois communautés : les chrétiens d'Irak, ceux des territoires palestiniens et du Liban. "Il s'agit de pays où règnent une instabilité politique, des conditions socio-économiques difficiles ou, dans le cas de la Palestine, une situation d'oppression", résume l'évêque de Tunis, Mgr Maroun Lahham, un Palestinien dont la famille, originaire d'Haïfa, s'est réfugiée en Jordanie lors de la création d'Israël. "Dans ces conditions, tous ceux qui peuvent partir le font ; mais quand une famille chrétienne s'en va, cela se voit davantage, car la communauté est réduite", explique-t-il.

D'autres observateurs relient l'exode aux tensions entre communautés chrétienne et musulmane, et à une islamisation des sociétés difficile à vivre pour les chrétiens, citant notamment l'exemple des coptes égyptiens.

En porte-à-faux avec cette vision de "l'Occident", Mgr Lahham, qui fut aussi recteur du séminaire de Beit Jala, près de Bethléem, nuance : "A la base, les relations ne sont pas tendues au niveau religieux mais au niveau politique ; même si, ensuite, certains donnent à ces tensions une coloration religieuse."

En Irak, où les chrétiens ont été la cible d'attaques islamistes ces dernières années, plusieurs dizaines de milliers d'entre eux ont rejoint la Jordanie ou la Syrie. Plusieurs chrétiens irakiens ont trouvé la mort, un évêque a été enlevé puis tué et des maisons de chrétiens ont été détruites à l'explosif.

Face à ces attentats et tout en reconnaissant des "menaces directes" contre les chrétiens, l'évêque syriaque (catholique) de Mossoul, Mgr Casmoussa, avait déclaré au Monde à l'automne 2008, qu'il expliquait ce climat par des raisons à la fois "politiques et religieuses".

En revanche, le consensus règne pour maintenir au maximum les populations chrétiennes sur place. "C'est ici que Dieu nous veut", résume Mgr Lahham. La délicate mission de Benoît XVI consistera à le réaffirmer, tout en évitant d'exacerber les antagonismes, toujours à fleur de peau dans cette région, entre les chrétiens, les musulmans et, pour la partie israélienne, les juifs.

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