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Tel-Aviv, l'«autre Israël»,
fête ses cent ans

Des vacanciers sur la plage de Tel-Aviv en juillet 2008. Aux terrasses des cafés ou devant les boutiques, on croise une foule à la mode, aussi occidentale et moderne qu'à Barcelone ou à Miami. AP

Les dunes de sable où s'installèrent en 1909 quelques dizaines de familles juives ont vu naître une mégapole de deux millions d'habitants à l'atmosphère californienne.

Il y a environ cent ans, les représentants de soixante-six familles juives se rassemblaient dans les dunes au nord de la vieille ville arabe de Jaffa. En ce printemps de 1909, ils viennent d'acheter des terres sablonneuses au bord de la Méditerranée et de les diviser en parcelles égales. Le numéro de chaque lot est inscrit sur un coquillage noir. Chaque famille reçoit à son tour un numéro, porté sur un coquillage blanc. Deux enfants sont désignés pour associer au hasard les coquilles, répartissant ainsi les terrains entre les familles. On fait venir un photographe pour saisir cet instant historique. Tel-Aviv est née.

Un siècle plus tard, la stèle érigée en mémoire de cet événement fondateur sur le boulevard Rothschild, l'artère historique de la ville, a l'air un peu perdue au milieu d'une métropole bruyante et animée. Les fondateurs de Tel-Aviv dont les noms sont inscrits sur le monument auraient sans doute du mal à retrouver leurs jardins et leurs vergers du bord de mer entre les gratte-ciel qui s'élèvent au-dessus des maisons et les grues qui assemblent de nouveaux immeubles.

La ville s'est depuis étendue le long de la Méditerranée pour absorber les localités voisines et devenir aujourd'hui une mégalopole de 14 kilomètres de long, sillonnée d'autoroutes, où vivent près de deux millions d'Israéliens. Sur le front de mer, rollers, joggeurs et surfeurs donnent une petite atmosphère californienne. Aux terrasses des cafés ou devant les boutiques, on croise une foule à la mode, aussi occidentale et moderne qu'à Barcelone ou à Miami. Tel-Aviv, qui fête en ce moment son centième anniversaire, est l'autre visage d'Israël. Soixante kilomètres à peine la séparent de Jérusalem, mais les deux villes sont à des années-lumière l'une de l'autre.

Elles s'opposent presque en tout. Jérusalem est une ville religieuse construite dans des collines rocailleuses. Tel-Aviv est laïque et bâtie le long d'une plage. Les ultraorthodoxes et les Palestiniens constituent les deux tiers de la population de la Ville sainte. Les habitants de Tel-Aviv sont dans leur immense majorité aussi peu religieux que dans n'importe quelle métropole européenne. L'une prie au mur des Lamentations, l'autre danse au son de la techno ; châles de prière et chapeaux noirs contre jeans taille basse et lunettes de soleil ; passé chargé de lieux saints disputés contre mégalopole tournée vers l'avenir. Tel-Aviv est encore regardée par les milieux israéliens les plus conservateurs et les religieux orthodoxes comme une Babylone moderne, un lieu de perdition, avec ses boîtes de nuit et sa communauté gay.

Première cité juive des Temps modernes

Alors que la politique est omniprésente à Jérusalem, on l'oublie facilement à Tel-Aviv. Pas de mur de sécurité, pas de question palestinienne, pas de conflit, pas de colonies. À la place, le soleil, la plage et l'industrie high-tech.

Gaza, le Territoire palestinien le plus proche, à quatre-vingts kilomètres plus au sud, appartient aussi à une autre planète. Pendant l'opération de janvier dernier contre le Hamas à Gaza, les bombardements semblent à la télévision aussi lointains que s'ils se déroulaient sur un autre continent. «Si la fondation légendaire de Tel-Aviv a peut-être été un peu romancée, elle n'en reste pas moins symbolique du caractère à part de la ville», explique Catherine Weil-Rochant, architecte et spécialiste de Tel-Aviv, qui a consacré à la ville plusieurs ouvrages. Dès sa fondation, Tel-Aviv se veut une expérience urbaine d'un genre nouveau.

Alors que la geste sioniste est, à ses débuts, marquée par l'expérience socialiste, agraire et collectiviste des kibboutz, Tel-Aviv développe une culture urbaine, moderne et capitaliste sur le territoire qui deviendra celui de l'État d'Israël. Ses fondateurs, les soixante-six familles, sortent des murs de Jaffa pour échapper à la saleté et à la promiscuité de la cité portuaire arabe. Ils créent une nouvelle ville, la première cité juive des Temps modernes, sur un rivage presque désert. «Pour la première fois dans l'histoire contemporaine naît une ville avec des policiers juifs, des pompiers juifs, des éboueurs juifs», explique Simon Epstein, historien et universitaire israélien. À partir des quartiers qu'ils fondent dans le sable, Newe Tzedek et Newe Shalom, la ville s'est étendue à la vitesse d'une agglomération américaine, au rythme des vagues d'immigration juives successives. Chassé d'Europe par un antisémitisme qui culminera bientôt dans la politique d'extermination du IIIe Reich, de nouveaux habitants entreprenants, commerçants et artisans venus de Pologne, puis Juifs allemands, intellectuels et professions libérales peu intéressés par le travail agricole, créent à partir de rien une ville européenne au Proche-Orient.

Tel-Aviv se construit aussi pendant que les regards sont tournés vers l'expérience agricole et collectiviste du sionisme, celle des kibboutz. Sa croissance est fulgurante. De 22 000 habitants en 1922, elle passe à 160 000 en 1939. Elle devient le principal centre commercial, et le siège des banques, chambres de commerce et syndicats. Lorsque le ministre des Colonies britanniques de l'époque, Winston Churchill, visite la ville au début des années 1920, on fait aligner à la hâte des arbres le long des premières avenues. La foule qui grimpe dans les branches fait se renverser certains de ces arbres tout justes plantés. Depuis, les boulevards ombragés, les kiosques où l'on boit son café sont devenus l'un des symboles de la qualité de vie qui règne à Tel-Aviv.

Par opposition aux ruelles étroites des villes arabes insalubres, on construit une ville aérée, avec des avenues et des boulevards. Les immigrants juifs allemands amènent avec eux une nouvelle architecture, le style international, qui tire son inspiration de l'école du Bauhaus de Weimar, fermée par les nazis en 1933. Tel-Aviv compte aujourd'hui plus de 4 000 immeubles et maisons de style Bauhaus, qui lui valent son surnom de ville blanche, et son classement au patrimoine mondial de l'Unesco.

«Un monde nouveau sur une page blanche»

Elle doit aussi beaucoup à un urbaniste de génie, sir Patrick Geddes, chargé en 1925 de dresser le plan de la future ville. «Cet urbaniste écossais visionnaire veut créer une ville nouvelle, dit Catherine Weil-Rochant, mais sir Patrick Geddes n'est pas un idéologue comme Le Corbusier. Biologiste de formation, il s'inspire des chemins existants et des parcelles agricoles, souvent des vergers, pour tracer en quelques semaines un plan urbain où apparaît déjà la future cité.»

«La mentalité particulière de Tel-Aviv vient sans doute de là. Débarrassé des contraintes du passé, on a bâti un monde nouveau sur cette page blanche», explique l'architecte.

Tel-Aviv se veut la capitale culturelle du futur État juif, Jérusalem prétendant au statut de capitale politique et Haïfa à celui de capitale économique. L'indépendance d'Israël est proclamée en 1947 dans l'ancienne maison de Meir Diezengoff, le premier maire de Tel-Aviv, aujourd'hui transformée en musée. La ville est pendant quelques mois la capitale du nouvel État. Jérusalem devient ensuite le siège des nouvelles institutions, mais certains ministères (notamment celui de la Défense) ont toujours leur siège à Tel-Aviv. La quasi-totalité des pays étrangers y ont également maintenu leur ambassade : l'annexion de Jérusalem après la guerre des Six-Jours en 1967 n'a jamais été reconnue par la communauté internationale.

Jaffa est peu à peu absorbée par la nouvelle cité. Après les émeutes arabes de 1921, Tel-Aviv devient une municipalité distincte. Avec la fuite des habitants arabes de Jaffa pendant la guerre de 1948, la petite ville côtière devient un faubourg de la métropole en pleine expansion. Jaffa n'est plus qu'une ville musée, un «parc d'attraction orientaliste», port de pêche en train d'être transformé en marina touristique.

Les problèmes de la grande métropole sont aujourd'hui ceux de n'importe quelle ville moderne, avec ses embouteillages et son urbanisation galopante. Un plan de conservation des anciennes maisons du Bauhaus a été mis en place pour que les nouveaux immeubles n'altèrent pas le caractère de Tel-Aviv.

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