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Gilles Kepel : "Barack Obama a fait de l'islam une religion américaine"

Dans un chat au Monde.fr, vendredi 5 juin, Gille Kepel, professeur à Sciences-Po et spécialiste de l'islam, revient sur le discours du président américain à l'adresse du monde arabo-musulman, au Caire, jeudi 4 juin.

Le Monde

Publié le 05 juin 2009 à 11h50, modifié le 05 juin 2009 à 22h55

Temps de Lecture 6 min.

Dans un chat au Monde.fr, vendredi 5 juin, Gille Kepel, professeur à Sciences Po et spécialiste de l'islam, revient sur le discours du président américain à l'adresse du monde arabo-musulman, au Caire, jeudi 4 juin.

Pedro : Qu'avez-vous retenu du discours du Caire de Barack Obama ?

Gilles Kepel : C'est un discours de relations publiques fait par un expert en communication qui marque d'abord et avant tout la rupture symbolique et rhétorique avec l'ère Bush. Et qui veut lever les malentendus avec le monde musulman, car le président américain estime que le tort causé à l'image de l'Amérique par les huit années de présidence Bush, par la guerre en Irak, par Guantanamo, est considérable et qu'il lui a fallu s'engager pour la redresser.

Par ailleurs, ce discours a fait d'une certaine manière de l'islam une religion américaine. Obama, fils d'immigré d'origine musulmane, a insisté pour inscrire l'islam dans le melting-pot religieux américain. Ce qui peut surprendre une oreille européenne, habituée à ce qu'on parle beaucoup moins de religion dans l'espace public.

Aux Etats-Unis, où les références bibliques et évangéliques, juives et chrétiennes sont très fréquentes dans le discours politique, Obama a désormais adjoint, sur un pied d'égalité, l'islam, dont il a souligné le message de paix, etc. C'est un facteur important.
L'autre facteur important, c'est que jamais un président américain n'était allé aussi loin dans la pression, sur Israël notamment pour ce qui concerne le gel de la colonisation et la nécessité de reconnaître la souveraineté d'un Etat palestinien, et l'insistance sur la souffrance palestinienne. Ce qui crée, bien sûr, un froid dans la relation israélo-américaine et met une pression considérable sur le gouvernement Nétanyahou.

Dernier point, qui n'est pas contenu dans son discours mais qui appartient au contexte : le discours a été prononcé au Caire, pays arabe sunnite allié des Etats-Unis, après une escale en Arabie saoudite. Obama a voulu à la fois rassurer les pays arabes alliés des Etats-Unis, qui s'inquiètent de son ouverture à l'Iran, et aussi renforcer la position de ces gouvernements face à une opinion publique qui les trouve trop peu allants sur le dossier palestinien.

dadou : Ce discours était aussi adressé, dans le contexte égyptien, aux Frères musulmans, qu'en dites-vous ?

Gilles Kepel : D'une certaine manière, Obama a tendu la main à ce qu'il appelle l'islamisme modéré. Et on voit bien aujourd'hui qu'en Turquie, par exemple, l'AKP au pouvoir est bien vu par l'administration américaine. Reste à savoir quel type de réaction les islamistes auront à ce discours.

En Egypte, bien sûr, mais aussi, et c'est plus important, en Palestine où le Hamas est dans une logique de participation éventuelle à un gouvernement d'union nationale palestinienne, sous conditions.

agnes : En quoi pensez-vous que Barak Obama peut changer les choses au Moyen-Orient et peut améliorer la situation, bien que les Etats-Unis n'y soient pas toujours bien perçus ?

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Gilles Kepel : Son discours avait pour objectif, d'abord et précisément, de changer la perception des Etats-Unis. Et ce qui le montre, ce sont les réactions hostiles à la fois d'Al-Qaida à travers Zawahiri et Ben Laden, et celles de l'ayatollah Khamenei en Iran. Tous trois craignent qu'une Amérique qui présente un visage plus aimable et plus attractif ne diminue la capacité de mobilisation anti-occidentale des discours radicaux dont ils sont porteurs.
Mais le discours du Caire ne contenait aucune avancée concrète, aucun plan précis à mettre en œuvre dans l'immédiat, et c'est là sans doute qu'on attend les Etats-Unis, confrontés très vite au défi que représentent les talibans en Afghanistan et au Pakistan, et pour lequel la rhétorique ne suffit pas.

Ryan : N'y a-t-il pas une incompatibilité entre le monde occidental et le monde arabe, malgré les paroles de M. Obama ?

Gilles Kepel : Les paroles d'Obama s'adressaient au monde musulman dans son ensemble, par-delà le monde arabe lui-même. Et il a essayé de souligner tout ce qu'il y avait de compatible dans les valeurs. Mais peut-être, à trop vouloir exalter l'islam comme tel, en a-t-il présenté une image qui en fait la source de référence unique des populations de la région. Or l'identité politique, sociale, etc., des populations concernées ne se limite pas à la religion et, à l'intérieur de celles-ci, le rapport à l'Occident et à l'autre en général est beaucoup plus complexe que l'image finalement assez lénifiante qu'en a donnée le président américain.

Oumma : A-t-il eu raison de s'adresser au monde musulman ? Prendre les musulmans comme une entité homogène, n'est-ce pas dans un sens inverse une continuité avec la politique de Bush ?

Gilles Kepel : On pourrait dire cela, paradoxalement. L'un apparaissant comme ayant une image toute négative, et l'autre prenant simplement le contre-pied sans analyser outre mesure une situation beaucoup plus complexe. Mais je crois qu'il faut inscrire cela dans un discours politique américain qui fait de la religion, y compris sur le sol américain, une forme de participation-clé à la vie de la cité. Cela étant, pour un esprit européen, cette espèce de "tout-islam" a un côté un peu surprenant. Car il apparaît comme assez réducteur en terme d'identités.

Abu_Hamza : Prenons le cas de l'Egypte. Barack Obama peut-il conquérir la "rue arabe" en parlant de respect vis-à-vis de l'islam, de démocratie, mais sans jamais critiquer des régimes qui les écrasent depuis des décennies ?

Gilles Kepel : C'est toute l'ambiguïté de ce discours du Caire, qui a tenté de s'adresser à la société civile tout en ménageant les Etats. C'est sans doute pour cela que la référence religieuse a été tellement mise en avant, car au fond, elle est aussi une manière de ne pas poser ce problème politique. Obama ne peut pas se permettre de s'aliéner les Etats, et il s'essaie à reconquérir les sociétés. C'est la quadrature du cercle américain au Moyen-Orient.

Sosso : A votre avis, comment vont réagir la "rue arabe", les opinions publiques arabes ?

Gilles Kepel : Si l'on en juge par les réactions de l'assistance, certes triée sur le volet, un président américain qui commence par "salam aleikoum" son discours et qui cite abondamment le Coran, l'exemple du Prophète, etc., et qui de plus porte comme prénom Hussein, tout cela, bien sûr, comporte des aspects très séduisants. Mais une chose est la communication, l'autre sera la politique et la capacité d'Obama à résoudre la crise du Moyen-Orient dans ses trois aspects, au Levant, dans le Golfe et dans la zone Afghanistan-Pakistan.

Aadnane : La politique d'ouverture d'Obama envers l'Iran et de fermeté envers le développement des colonnies israéliennes n'est-elle pas à l'opposé des ambitions de Mme Clinton lors de sa campagne, aujourd'hui ministre des affaires étrangères de Barack Obama ?

Gilles Kepel : La politique est certainement l'art du possible et Mme Clinton se retrouve en effet, alors qu'elle était sénatrice de New York, dans une position qui la contraint à avoir des paroles très dures envers Israël. Mais c'est le président qui décide de la politique étrangère des Etats-Unis, et la secrétaire d'Etat la met en œuvre.

Yan : A votre avis, comment Israël va-t-il réagir ?

Gilles Kepel : Israël va sans doute faire le gros dos, tenter de gagner du temps, pensant que l'ouverture à l'Iran sera marquée par des rebuffades et que, finalement, à terme, c'est Israël qui apparaîtra comme l'allié par excellence dans la région. Mais c'est une politique assez risquée, et M. Nétanyahou est pris entre sa majorité, aujourd'hui chauffée à blanc contre Obama, et le fait que les Etats-Unis sont le seul allié effectif d'Israël, sans lequel l'Etat hébreu serait très démuni politiquement et militairement.

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