6 médecins pour 1.000 habitants, 60% de réussite au bac, soit plus que la moyenne israélienne

Trente médecins tous frais diplômés sont rentrés chez eux dans leur village d’Arraba (Basse-Galilée) la semaine dernière en provenance d'Europe de l'Est et de Jordanie. La réception qui a eu lieu en leur honneur n’avait rien d'inhabituel. L'an dernier, 26 étudiants du village ont également reçu leur diplôme de médecine, ce qui fait de la communauté de 24.000 habitants l’un des leaders mondial en termes de nombre de médecins par habitant.

"L’admiration arabe pour la profession de médecin est connue. Nous voulons que nos fils soient médecins, que nos maris soient médecins et que notre voiture d'occasion soit l’ancien véhicule d'un médecin. Mais 30 médecins par an pour une communauté de 24.000 habitants, c’est un amour immense qui mérite qu’on l’examine", a écrit la semaine dernière sur le site d’information Sikha Mekomit le journaliste et présentateur de radio Shams, Makbula Nassar.

150 médecins travaillent dans le village, soit plus de six médecins pour mille habitants, ce qui le rapproche du détenteur du record du monde, Cuba, et le distingue de la moyenne israélienne et de l’OCDE, qui se situe à 3.3.

Tout commence à l'école secondaire. Le pourcentage de bacheliers dans le village est de 60%, bien au-dessus de la moyenne nationale de 53%, qui inclut les communautés juives.

Mais l'admission pour étudier en médecine est difficile: seulement un étudiant sur quatre est accepté, par conséquent des centaines d’étudiants choisissent chaque année de partir étudier à l'étranger.

Imad Yassin, un étudiant en médecine à l'Université de Constanta en Roumanie, affirme que "les étudiants d’Arraba ne se sentent pas étrangers dans ce pays. Nous avons des amis, de la famille et des gens de notre village qui sont étudiants à l'université où j’étudie. Partout où nous allons en Roumanie ou même en dehors de la Roumanie, nous rencontrons des étudiants d'Arraba, nous ne nous sentons donc pas dépaysés ici."

La Roumanie est devenue le pays qui accueille le plus d'étudiants d’Arraba. Une quinzaine de jeunes du village se préparent à partir pour la ville de Constanta dans les prochains jours. Ils vont rejoindre des dizaines d’autres déjà inscrits dans les facultés de médecine et dans d’autres programmes d’études.

Quelque 500 Israéliens, Juifs et Arabes, vont chaque année à l'étranger pour étudier la médecine en raison du manque de places dans les écoles de médecine dans le pays, mais seulement la moitié d'entre eux reviennent. La plupart des citoyens arabes reviennent, malgré le difficile processus d'octroi des permis qu’ils doivent subir pour pratiquer leur profession ici.

Nassar Nassar est docteur en médecine de l’Institut Technion de Haïfa. Il explique les difficultés rencontrées par les jeunes Arabes qui cherchent à étudier la médecine en Israël. L'un des principaux obstacles, dit-il, est l'examen psychométrique traduit dans un arabe incompréhensible, qui rend la tâche des plus difficiles aux étudiants arabes. Il en va de même pour les examens d’entrée dans les écoles de médecine, a-t-il expliqué.

Selon le Bureau central des Statistiques, Arraba est inclus dans le groupe de localités qui occupent le deuxième rang sur 10 de l'échelle socio-économique. Cela signifie qu'il est l'un des villages les plus pauvres d’Israël. Cependant, les familles insistent pour investir le peu qu'ils ont et beaucoup de ce qu'ils n’ont pas, dans l'éducation de leurs enfants.

Bakar Yassin, dont le fils Imad étudie la médecine en Roumanie, dit que les frais de scolarité à Constanta sont de 5000 euros par an, sans compter les dépenses quotidiennes. Comme il n'y a pas de bourses d'études, les parents sont obligés de payer toutes les factures. Yassin finance la préparation de son fils aîné pour l'examen d'Etat en médecine ainsi que les études de son second fils, Imad, en Roumanie.

Et la charge ne s’arrête pas là. Les médecins qui ont réussi l'examen d'Etat et reçu leur permis de pratiquer devront travailler et vivre en dehors du village. L'hôpital le plus proche se trouve à 50 minutes d’Arraba en voiture et comme dans beaucoup de villages arabes, les transports en commun sont quasi inexistants.

Omar Nasser, ancien maire d’Arraba, confirme qu’il demande, avec d’autres maires, depuis des années, qu’un hôpital soit construit pour desservir les 80.000 résidents de la région et employer les populations locales. Jusqu'à présent, toutes les demandes ont été rejetées.

Et pourtant, comme l'indiquent les données, toutes ces difficultés ne découragent pas les gens d’Arraba. Au contraire. Un des explications est que les Arabes ont du mal à se faire embaucher dans de nombreux domaines, comme par exemple dans les industries de high tech, dont beaucoup d’entre elles sont liées à la Défense et à la sécurité. D'autres secteurs, tels que le système bancaire et la finance, leur sont pratiquement fermés en raison des préjugés, que ce soit de la part des gestionnaires ou des clients. En médecine, cependant, la discrimination est moins grande que la pénurie croissante de médecins.

Le journaliste et militant Nassar a cependant une autre explication. "Il n'y a rien de plus majestueux que la médecine, qui constitue un symbole de prestige d'une part et, d'autre part, une profession rentable, comblant ainsi deux des lacunes les plus importantes des Arabes: la fierté et la survie."

Mohammad Khateeb est rédacteur et journaliste web pour le site arabophone d’i24news.