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Bil'am fut une personne méprisable dans bien des domaines, et pourtant, il reçut la prophétie et eut l’occasion de voir de nombreux miracles. Ce n’était pas dû à ses mérites, mais, comme l’enseignent nos Sages, Hachem voulut éviter que les nations se plaignent de n’avoir pas eu de leader et de prophète comme Moché Rabbénou.

Les réactions de Bil'am à la suite de certains incidents incroyables nous laissent stupéfaits. Tout d’abord, lorsque Hachem lui apparut en rêve pour le réprimander au sujet de ses plans néfastes, Bil'am ne manifesta aucun émerveillement ou sentiment de crainte. Il justifia simplement son comportement maléfique et affirma son importance aux yeux des nations.

Fait plus étonnant encore, sa réaction ou plutôt sa « non-réaction », à l’un des incidents les plus déroutants de la Torah : l’ânesse qui parle. Ce fut l’un des dix événements miraculeux qui furent prévus durant les six premiers jours de la Création, tant ils étaient incroyables. Comment Bil'am réagit-il lorsque cet événement unique se produisit et que son ânesse lui parla ? Il ne sembla pas du tout perturbé, et il répondit normalement, en engageant un dialogue avec l’ânesse comme s’il s’agissait d’une occurrence quotidienne.

Rav Shimon Schwab[1] cherche à comprendre ce comportement étonnant de Bil'am. Il explique que la plupart des gens sont dotés de cinq sens. Mais il existe aussi un sixième sens. C’est le sens de l’émerveillement devant certains phénomènes du monde.

Ce sixième sens est essentiel pour notre 'Avodat Hachem, et ce, de plusieurs manières. Le Rambam parle de la personne impressionnée et submergée par la sagesse et la beauté de la création, de la nature. C’est un sens qu’il faut développer en soi-même, pour pouvoir éprouver de l’amour et de la révérence envers le Créateur.

Cependant, à l’instar des autres sens qui peuvent être engourdis et endommagés s’ils sont mal utilisés, le même risque existe pour le sixième sens. Par exemple, si une personne écoute de la musique à volume élevé pendant longtemps, elle risque d’abîmer son ouïe. Si une personne mange continuellement des aliments très épicés, elle peut endommager son goût. De même, une personne peut perdre son sens de l’émerveillement. Comment cela se produit-il ? Qu’est-ce qui coûte à une personne son sens de l’émerveillement ?

Rav Schwab estime que l’on peut perdre son sens de l’émerveillement par une avidité pour des passions et désirs du monde. Si l’individu est obsédé par le plaisir, le gain, la consommation, et ne pense qu’à profiter de la manière la plus obscène et gloutonne, alors après un certain temps, plus rien ne l’impressionne. Il est tellement absorbé par la volonté de se faire plaisir que plus rien ne l’excite. Pour ceux qui ont du mal à comprendre, il suffit de regarder le monde occidental des dernières décennies. Plus rien ne fait impression. Les films sont devenus de plus en plus violents et obscènes. La musique est devenue de plus en plus scandaleuse. La façon dont les gens parlent et les mots que nous entendons sont de plus en plus agressifs, car plus rien n’impressionne. En tant que société, nous avons perdu notre sens de l’émerveillement. Nous sommes devenus grossiers. Pour citer un article récent de la page « Tribune libre » du Baltimore Sun : « L’Amérique a perdu sa "valeur de choc". Plus rien n’ébranle. »

C’est ce qui arriva à Bil'am. Rien ne le secouait. Son animal lui parla et il prit cela à la légère, tant il était absorbé par ses désirs et ses passions. Il était incapable (voire réticent) de s’émouvoir des événements les plus invraisemblables.

Ce terrible défaut de Bil'am indique également que malgré tout ce qu’il vit et vécut, il ne changea absolument pas. Prenons l’exemple de sa réaction à la suite des merveilleuses bénédictions qu’Hachem le força à donner au peuple juif. Comment Bil'am réagit-il à tout cela ? Le verset raconte brièvement : « Bil'am se leva, s’en alla et retourna à son endroit… »[2] D’après le sens simple, Bil'am rentra chez lui. Mais en approfondissant un peu plus, les commentateurs expliquent qu’il revint, en réalité, à son état initial, comme si rien ne s’était passé. Il ne changea pas du tout et resta la même personne maléfique qu’auparavant.

Notons que la Torah utilise quasiment le même langage à propos de Lavan, l’un des ancêtres de Bil'am[3]. Après avoir passé vingt ans avec le vertueux Ya'akov, et avoir joui d’un grand succès grâce à ce dernier, le verset déclare : « Lavan s’en alla et retourna en son lieu. »[4] Le Méchekh ’Hokhma[5] explique que Lavan n’est pas seulement retourné physiquement à son point de départ, mais aussi à son niveau spirituel de départ – il ne changea pas depuis que Ya'akov était venu vivre avec lui. Il vécut pendant vingt ans avec l’un des plus grands Tsadikim de tous les temps et ne fit aucun changement, bien qu’il soit naturel d’être positivement influencé par un bon entourage.

Les exemples de Bil'am et de Lavan nous servent d’avertissements ; nous devons absolument éviter de tomber dans le même piège et rester insensibles aux événements qui se déroulent autour de nous. Nous devons travailler activement sur notre sixième sens, celui de m’émerveillement – le fait d’être émus par les prodiges du monde environnant –, utiliser cet enthousiasme pour développer notre proximité avec Hachem et améliorer notre caractère.

[1] Méen Beth Hachoéva, Bamidbar, 22,28-29.

[2] Bamidbar 24,25

[3] Certaines sources montrent qu’ils étaient tous deux la même personne. D’autres affirment que Bil'am était une réincarnation de Lavan. Tous s’accordent à dire que Bil'am et Lavan sont deux personnages intrinsèquement liés.

[4] Béréchit 32,1

[5] Méchekh ’Hokhma, Béréchit 31,54.