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Blog : Culture Juive

Maman

Depuis que maman est morte je vis dans l'angoisse permanente. C'est étrange, mais la veille de sa mort, j'imaginais qu'on m'apprenait son décès. Et dans mon imaginaire je répondais « Non ! noooooooon ! », enfin bref, un truc que je n'ai même pas dis quand on me l'a réellement apprit. C'est Pierre-Alain qui me l'a dit. Je rentrais du coiffeur juste en face de notre appartement d'Aix-en-Provence, et dans les escaliers de l'immeuble, en montant les marches, j'appelais ma s'ur Judith qui était en vacances en Normandie. Je lui demandais si elle avait eu papa au téléphone, ou bien David ou Samuel, enfin quelqu'un qui aurait pu lui donner des nouvelles de maman parce que moi, j'en avais pas eu depuis quatorze heure de l'après-midi. Il devait être dix huit heures, peut-être dix neuf. Elle n'avait pas plus de nouvelles que moi. Je crois qu'elle avait réussi à appeler papa mais il lui avait dit qu'il l'a rappellerai. « Et c'est tout ? Il n'a rien dit d'autre ? ». Ben non, c'est tout. Là, j'ai senti qu'il y avait un truc qui n'allait pas du tout. J'ai senti que c'était grave. Mais pas grave au point que maman décède. Papa lui aurait quand même dit si maman avait été morte. On ne cache pas une pareille nouvelle. J'ai alors dit à Judith qu'il fallait qu'elle s'attende à raccourcir ses vacances, qu'elle allait probablement devoir retourner sur Paris pour voir maman. Je ne croyais pas si bien dire.
Pierre-Alain m'attendait déjà à l'appartement lorsque je suis entrée. C'est vrai qu'au fond, il était rentré un peu plus tôt que d'habitude. Il était au téléphone. Tout de suite, je lui ai demandé « C'est mon père ? », il a répondu oui de la tête. « Passe le moi ! ». Il a répondu « Bon, je te laisse » à son interlocuteur et a raccroché. Sur le moment, je n'ai pas réalisé qu'il avait tutoyé la personne à l'autre bout du fil. Pierre-Alain ne tutoie jamais papa. « Mais pourquoi tu as raccroché ? Il faut que je lui parle ! ». Je me suis précipitée sur le téléphone pour « rappeler » papa mais Pierre-Alain a éloigné le combiné et m'a prit dans ses bras en me caressant le dos. « Ma puce ta mère est décédée ». Et alors là, je n'ai pas dis « Non ! noooooooon ! » comme dans mes pensées antérieures. J'ai juste dis « Quoi ? » comme si j'avais mal entendu. Et lui, de me répéter cette même phrase, comme si j'avais réellement mal entendu. « Ta mère est décédée ». « De quoi ? » Et alors là, il s'est mis à me parler en des termes médicaux que je ne serais pas capable de reprendre ici. Je ne l'écoutais plus. Maman ne pouvait pas être morte. Il y a quarante huit heures elle allait bien. Tout était normal. Artères bouchées'Globules rouges'Globules blancs'Anormal'Trop tard' Crises cardiaques' Embolie pulmonaire' Je pigeais que dalle. D'ailleurs je n'écoutais pas. Je me forçais d'écouter pour comprendre ce qu'il s'était passé mais je n'y arrivais pas. En fait j'entendais, mais quand on entend on n'écoute pas, je veux dire, on n'est pas concentré. « Ça veut dire quoi ? ». Ça veut dire que blablabla, Pierre-Alain essayait de me traduire ce qu'il venait de me dire en termes moins médicaux mais ma tête était pleine de la nouvelle que je venais d'apprendre et quand un cerveau est plein, plus rien ne peux y entrer.

Pierre-Alain a perdu l'un de ses oncles il y a deux mois et cela m'a rappelé la mort de maman. Sauf que pour maman, c'était complètement différent. D'abord, elle est décédée en très peu de temps, quarante huit heures étant ultrarapide. Ensuite, il n'y avait presque personne à son enterrement en Israël. Il y avait papa les yeux perdus, David et Samuel mes petits frères chéris, Pierre-Alain toujours présent quand il le faut, et puis moi, voilà. Judith n'est pas venue car elle était enceinte de six mois et son mari Ouriel craignait pour sa grossesse. Par contre, son gynécologue lui avait dit qu'elle pouvait voyager en avion sans aucun problème. Je connais une fille qui est enceinte de six mois et qui prend l'avion, donc c'est faisable. A mon avis, elle n'est pas venue à cause d'Ouriel. Il n'avait pas l'argent pour lui payer le billet et l'hôtel. Et puis, il ne l'aurait pas laissé partir seule, il serait venu avec elle, ce qui double la note. Et puis ils auraient laissé les enfants pendant huit dix jours. Et puis elle avait qu'à être enterrée en France comme le père d'Ouriel. Faute d'argent je le sais, Judith manquait donc l'enterrement de maman et inconsciemment, elle en voudra certainement toute sa vie à Ouriel qui, le pauvre, n'avait pas les moyens de lui offrir un billet pour Israël.
L'oncle de Pierre-Alain était dans le coma depuis plus de cinq semaines il me semble, et on pouvait déjà se douter de la suite des événements. Lorsqu'il est décédé, ce n'était pas une surprise. En tout cas pas pour moi. Peut-être que je le savais parce que j'étais extérieure. Ensuite il y avait tout ce monde à son enterrement. Je ne sais pas, je dirais qu'il y avait au moins trois cent personnes, peut-être quatre cent, peut-être même cinq cent. En fait, j'en sais rien du tout, j'ai pas compté, mais il y avait un sacré monde. La famille, la belle-famille, la famille de la belle-famille, les amis, les amis des amis, les connaissances, les employés, les francs-maçons, il y avait autant de monde qu'à un mariage juif sauf que c'était un enterrement. Et puis lui, il était riche. Très riche. Maman elle, elle portait des vêtements pour sortir que même moi je n'oserai pas porter à la maison tellement ils faisaient « cheap ».
Quand elle est morte, elle avait les poignets attachés pour l'empêcher de se lever du matelas. Disons que c'est la dernière image consciente qu'elle aura eu de sa vie. Quand elle est morte, je ne suis pas sûre que le réanimateur eut été présent dans sa chambre. Ou peut-être que si, je ne connais pas les détails. La doctoresse a demandé à mon père s'il voulait rentrer dans la chambre pour la voir, et il a répondu par la négative. Il y avait mes deux frères dans le couloir de l'hôpital, ma s'ur était à la plage en Normandie et moi j'étais à Aix-en-Provence en train de m'acheter un sac de pique-nique.
L'oncle de Pierre-Alain, quand il est mort, comme tout le monde s'y attendait, il avait toute sa famille autour de lui. Même moi j'étais présente quand il a rendu son dernier soupir. Ce fut la plus belle des morts. Je suis jalouse de la mort de l'oncle de mon mari à celle de ma mère. Maman n'a pas eu droit à un discours, car nous l'avons enterré dans la hâte en Israël, et les hommes chargés de son enterrement ne parlaient que l'hébreu ou le yiddish. L'oncle de Pierre-Alain a eu droit à au moins cinq discours. Peut-être plus mais de toutes les façons, mes oreilles se fermaient. Je suis jalouse. Jalouse, jalouse, jalouse. Jalouse pour maman qui est partie comme un souffle, pour qui j'ai l'impression que la vie ne fut qu'une ombre.
Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 33 minutes