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Blog : Carand

PAGES d'ALLIANCE par ALBERT BENSOUSSAN

Pages d'Alliance par Albert Bensoussan
Par webmaster, mercredi 6 juin 2007
Sur Le Blog de www.terredisrael.com -

Sous l'égide de l'Alliance Israélite Universelle,
une nouvelle collection de fictions juives vient de voir
le jour à Paris. Pilotée par l'universitaire Guy Dugas,
spécialiste reconnu de la littérature judéo-maghrébine,
elle entend nous redonner à lire, ou nous faire
découvrir, les grands textes romanesques de plumes juives
du Maghreb dans la première moitié du XX° siècle :
Élissa Rhaïs, Blanche Bendahan, Saadia Lévy,
Vitalis Danon, Ryvel et Véhel, etc'
Le propos du présentateur est, à l'évidence, de prouver
qu'il existe une écriture juive nord-africaine,
et qu'elle est, pour l'essentiel, le pur produit
des écoles de l'Alliance Israélite.
Après avoir lu les deux premiers titres de la collection,
nous en sommes tout à fait convaincus. Mais, aussi,
surpris et émerveillés par la modernité et l'actualité
de cette prose. Aussi bien Ninette de la rue du Péché,
de Vitalis Danon (un Juif turc professeur de
l'Alliance en Tunisie), que Enfants de Palestine,
d'Elissa Rhaïs ? alias Rosine Boumendil --,
la gloire de Blida, les deux premiers titres nous
apparaissent aujourd'hui comme des ?uvres romanesques
majeures, capables encore de séduire et de rester
vivaces, voire d'éblouir.

Vitalis Danon écrivit son récit alors qu'il était
instituteur à l'école de l'Alliance à Sfax en 1938.
Ninette est une pauvre fille-mère de la hara de Sfax
qui dialogue avec le directeur de l'école en 8 séquences,
toutes axées sur ce fils qu'elle vient inscrire au début,
pour le reprendre à la fin de sa scolarité,
six ans plus tard. De 6 à 12 ans, le fils de Ninette
aura reçu cette instruction qu'elle n'a jamais eue,
elle, et qui va lui permettre d'échapper à la fatalité
de la misère familiale. Ces longs monologues où Ninette
s'exprime dans un langage populaire et savoureux,
sont une étonnante façon de suggérer toute une
psychologie et de dresser, de la manière la plus efficace,
un constat social. On pense parfois au grand roman
de Jean Pélégri, Le Maboul, qui donne aussi, de l'intérieur,
la parole à un miséreux, un exclu, un sans-voix.
Nous pénétrons, donc, ici dans l'existence de cette Ninette
qui vit de la force de ses bras :
lavandière et blanchisseuse, mais installée dans la rue
mal famée de la ville, la « rue du péché »,
ce qui l'oblige à apposer à sa porte l'ambigu écriteau :
« meson onnette » ! Placée par le rabbin chez une riche veuve,
elle se fait engrosser par son grand dadais de fils,
qui jure de l'épouser' et ne le fait évidemment pas.
Mais loin du misérabilisme auquel inviterait l'histoire,
l'auteur prête ces propos lucides à la fille-mère :
« Dupe, je ne le fus jamais entièrement.
Mais il y avait plus d'un an que je n'avais connu d'homme.
J'avais de la réserve à dépenser. Crainte, pudeur, retenue,
allons donc, je te les balance par-dessus bord et me jette
à corps perdu dans le tourbillon de l'amour ».
Le texte n'oblitère jamais la truculence.
Sans oublier l'humour, car à tant s'aimer,
ce qui doit arriver arrive, mais Ninette l'exprime devant
le directeur d'école avec toute sa malicieuse faconde :
« Eh ! ben, tant va la cruche à l'eau qu'à la fin'
Non, elle ne se casse pas, elle se remplit ! »
Pour conclure, avec un cynisme amer et une dramatique
crudité: « Quand un homme vous crache sa saleté dedans,
bien sûr que la graine lève et que ça porte son fruit ».
Et donc cet enfant du péché, ce garçon qu'elle conduit
à l'école, et dont elle assure l'éducation,
la dédommagera de tant de sacrifices, d'ingratitudes
et de misères. Il sera sa revanche sur la vie.
Mais jamais la chose n'est traitée avec complaisance.
Ce monologue continu, haletant, drôle, parfois pathétique,
toujours distancé du fait de la présence constante
de l'interlocuteur ? le directeur de l'Alliance ?,
fait du récit de Ninette un texte proprement faulknérien,
et l'on songe tout naturellement aux pages brûlantes
de Tandis que j'agonise. Il est donc temps
de redécouvrir Danon, et d'inscrire son ?uvre au
catalogue des récits les plus réussis de son époque,
comme l'un des chefs d'?uvre de la littérature judéo-maghrébine.

Quant à Elissa Rhaïs, on connaît bien son immense
talent de « conteuse orientale » dont les salons parisiens
furent tant affriandés dans les années 2O.
Les présentateurs Guy Dugas et Jean-Pierre Allali,
ont choisi de nous donner ici son ultime récit,
ô combien moderne de ton et prophétique de propos :
Enfants de Palestine. Il s'agit, en fait, du dernier
texte publié par la romancière, en 1931,
qui restera ensuite sans écrire (ou du moins publier)
jusqu'à sa disparition en 1940.
On sait que la romancière a fait de l'Algérie et du Maroc,
des Juifs et des Arabes, les décors et les personnages
de toute son ?uvre, de Saada la Marocaine à
Les Juifs ou la fille d'Éléazar
(que toute famille juive d'Alger un rien cultivée se devait
d'avoir dans sa bibliothèque dans l'entre-deux-guerres),
en passant par Le sein blanc, un roman scandaleux parce
que licencieux sur les bords ? mais quel charme inouï
que ces hammams si amoureusement, si coquinement décrits !
Or curieusement, pour son dernier texte,
Élissa Rhaïs s'aventure en Palestine, à Haïfa et Jérusalem,
alors qu'elle n'y a jamais mis les pieds.
De fait, la description géographique est réduite au minimum,
l'essentiel étant ailleurs : dans la difficile coexistence
des Juifs et des Arabes en Terre Sainte dans les années 30.
Nous reconnaissons dans le vieil Isaac un personnage de
son univers propre, puisqu'il s'agit d'un quincaillier de
la rue de la Lyre, à Alger, qui, en « ardent sioniste »,
choisit de tout plaquer et de partir avec sa nombreuse
famille s'installer dans la région de Haïfa
où ils cultivent la vigne et les oranges tout en faisant
pousser des blés « dont la houle moutonnait à perte de vue »
? Élissa Rhaïs montre comment ces Juifs acquièrent honnêtement
ces terres désolées, en les achetant aux Arabes,
puis en les mettant en valeur, au grand dam des anciens
propriétaires qui en deviennent jaloux.
La colère gronde, en même temps que l'envie,
et les agressions se multiplient.
Le vieux Juif algérois est conscient du problème posé
par le Yichouv : « Nous devons faire de nos voisins nos amis,
si nous voulons pouvoir continuer notre ?uvre
et réaliser notre idéal.
Sans l'union avec les Arabes, pas de foyer national juif
possible en Palestine ». Alors cet Isaac, dont le
contremaître est un Arabe de Jérusalem, avec lequel
il s'est lié d'amitié, confie à ce dernier la mission,
en la finançant largement, d'aller convaincre
les « Palestiniens » de vivre en bonne amitié
avec les « Juifs ». Bien entendu, ce n'est là
qu'un v'u pieux, et la conclusion du récit est que
l'espoir ne réside que dans un miracle :
que la paix vienne d'en haut, du Très-Haut,
car Lui seul a pouvoir de faire descendre la concorde sur
cette terre de dispute et de haine, de faire advenir
la paix dans les c'urs. « Il faut attendre le miracle
qui viendra d'Allah, le Tout-Puissant, non des hommes »,
dit finalement Mohammed qui, en émissaire consciencieux
et fort de sa bonne entente à la ferme des Juifs,
a bien fait son travail, mais qui, découragé par
l'incompréhension et la haine croissante des siens,
ne peut que constater son échec.
Ce texte d'Élissa Rhaïs, le plus engagé dans la cause juive,
alors qu'elle passa partout en France et dans les salons
parisiens pour une musulmane, ou une demi Mauresque,
nous touche profondément plus de
soixante-dix ans après son écriture.

Allons bon, déjà en ce temps-là, l'espoir résidait dans
l'appel au miracle. Après tout, rien n'a vraiment changé,
si ce n'est la proportion des choses, mais il n'empêche
que le chemin est ici tracé : il faut discuter, négocier,
palabrer, sans trop se faire d'illusions, certes,
mais quand même, si l'on a la foi, alors, peut-être que
tout s'arrangera, à moins que, comme
la Ninette de Vitalis Danon, on mise tout sur la naissance
de son fils qui sera, qui sait ? le Messie tant attendu'

Albert Bensoussan
Sur Le Blog : www.terredisrael.com

· * Vitalis Danon, Ninette de la rue du péché,
Alliance Israélite Universelle, Le Manuscrit, 2007, 124 p., 13,90?.

· Elissa Rhaïs, Enfants de Palestine,
Alliance Israélite Universelle, Le Manuscrit, 2007, 262p.
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