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Blog : Carnets d'actualité

Le débat sur la gauche (suite)

Maîtriser le capitalisme

1. Eh bien, après les journées de La Rochelle, il deviendra vicieux d'affirmer que le Parti socialiste est mort ou même moribond. Il sort d'une grave maladie et se trouve dans un état de convalescence ensoleillée. Durable ? On ne sait pas encore. Ce n'est pas la guérison. Mais il se trouve que, menacé d'implosion par la rivalité des Lords, la compétition des égos et le chantage des rebelles, il s'est soudain ressaisi sous l'autorité d'une femme à qui l'on ne pourra refuser la bravoure et le savoir-faire. Et elle a pris tous les risques. Car la principale disposition de sa « feuille de rénovation », à savoir l'organisation de primaires pour désigner le candidat à l'élection présidentielle, peut très bien se retourner contre elle.

Ce que je retiens, c'est qu'elle a compris que l'antisarkozysme ne définissait pas une politique et que la droite avait cessé de n'être que le parti de l'ordre pour devenir un parti de mouvement, ce qui était l'exclusivité de la gauche. Il fallait donc mobiliser les militants et l'opinion avec une série de propositions de réformes réalisables ici et maintenant.

Le débat sur l'identité de la gauche est ainsi devenu de plus en plus riche en rebondissements. Nos lecteurs ont pu voir que, depuis juillet dernier, nous étions loin d'en être absents et qu'il se poursuivait entre nous. Après la publication des stimulants articles de Jacques Julliard et de Denis Olivennes, j'éprouve le besoin d'ajouter quelques réflexions pour souligner la continuité politique d'un hebdomadaire qui va fêter dans quelques mois son 45e anniversaire.

Un mot d'abord, pour observer que ces débats, d'un niveau intellectuel conforme à l'exigence de nos plus fidèles lecteurs, nous invite à revenir sur un pan d'histoire durant lequel notre rôle n'a pas été tout à fait indifférent. Lorsqu'il est question de la « deuxième gauche », certains d'entre nous peuvent dire avec Apollinaire « En moi-même je vois tout le passé grandir ».

2. Nous avons connu un temps où l'opposition politique était surtout incarnée par la contestation syndicale. Sans doute cette contestation était-elle en partie confisquée ou mutilée par la force considérable de la CGT communisante. Mais l'idéal de ceux que l'on pouvait considérer comme les sociaux-démocrates de l'époque était incarné par un homme, Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT. Pour ce responsable d'une tradition ouvrière chrétienne, la conquête du pouvoir était évidemment moins importante que la contrainte exercée sur ce même pouvoir pour l'amener à appliquer une politique où les questions sociales seraient prioritaires. Mendès France s'en accommodait, Michel Rocard s'en impatientait et François Mitterrand rongeait son frein en attendant son heure.

En fait, cela allait plus loin. Il ne manquait pas d'hommes de gauche pour se poser la question de l'opportunité de la détention de responsabilités après tout compromettantes. Le plus à gauche d'entre nous, Michel Bosquet, alias André Gorz, avait signé un grand article annoncé à la Une : « Du bon usage de Giscard » (un président sensible aux pressions exercées par le peuple). Il ne disait pas « Tout sauf Giscard ». Tant que n'avait pas été réalisée la fameuse « Union de la gauche » avec pour leader François Mitterrand,  le représentant de la gauche non communiste, c'était bien Edmond Maire et lui seul. Il est d'ailleurs significatif que la période pour laquelle Jacques Julliard et Denis Olivennes manifestent le plus de nostalgie soit celle où la gauche n'était pas au pouvoir. Au temps des Trente Glorieuses, on ne parlait alors que de fortifier le contre-pouvoir populaire. François Mitterrand avait déclaré qu'en adoptant la constitution de la Vème République, De Gaulle avait aidé la gauche à s'installer durablement au pouvoir. Et c'est ce qui est arrivé. Sauf que la question du programme ne pouvait plus être négligée et qu'à partir de 1983, celui de l'Union de la gauche ne pouvait plus être appliqué. Aujourd'hui, nous avons affaire à une situation beaucoup plus complexe.

3. Sur l'essentiel des critiques faites à la droite par nos deux amis (l'éducation, la justice, la politique fiscale, la réduction de la dette, le statut de l'argent,  le brigandage financier) nous sommes ici tous d'accord et chacun le répète régulièrement à sa façon. De même que nous déplorons les « sept centrales syndicales pour 7% de syndiqués » ! Mais comment y remédier avec sept courants au Parti socialiste et sept autres dans la gauche tout entière ?

Où se trouve alors le débat entre nous' Il ne peut pas être sur la référence à une attitude morale. Ni Tocqueville ni Keynes ni Habermas, qui sont les références de Denis Olivennes, ne sont des disciples de Machiavel. Le moralisme dont nous pourrions tous nous méfier, c'est celui qui consisterait à ignorer la réalité au nom de l'idéal, au lieu de se servir de l'idéal pour transformer la réalité. D'abord, il faut se méfier des mots. Denis Olivennes a raison de penser que l'on a commis des crimes au nom de la morale, mais au nom du capitalisme, on a tout simplement fait des guerres. Et tout de même, ce n'est pas le socialisme qui a provoqué la crise. Alors il est normal, et pour ma part j'en assume le fait, que le terme de capitalisme, si on lui ajoute au surplus l'adjectif de financier, puisse susciter des préventions, des allergies, en tout cas un malaise. C'est pourquoi rien n'est plus important que de définir le capitalisme, que l'on veuille en dénoncer l'esprit ou que l'on souhaite en défendre l'histoire.

Denis Olivennes rappelle à juste titre qu'en 1985, on avait imprudemment juré fidélité à une « stratégie de rupture avec le capitalisme », comme si l'on se référait encore au vieux rêve de l'appropriation collective des moyens de production. Il est vrai, d'autre part, que, dans la militance anti-capitaliste de la nouvelle extrême gauche, il y a un refus, assumé ou pas, de l'économie de marché. Or sans le combat pour une économie sociale de marché, il n'y a pas de social-démocratie.

Il ne s'agit pas de faire preuve d'un courage sémantique mais de s'assurer de la qualité d'une communication. Comme le féodalisme selon Marx, le capitalisme a sans doute permis une croissance et une amélioration du bien-être sans précédent historique. Mais comme le féodalisme, selon le même auteur, le capitalisme s'est cru doté d'un privilège de pérennité qui pouvait mettre le monde à l'abri de toute turbulence. « La tâche de la gauche n'est pas de tuer la croissance au nom de la justice » ? Sans doute. Mais elle est d'empêcher la droite de multiplier les injustices au nom de la croissance. Et la gauche moderne a désormais une tâche plus grande encore, celle d'en finir avec les définitions réductrices et aveuglément matérialistes de la croissance.

4. Le hasard veut que la présente contribution coïncide avec la publication, dans nos pages « Débats », d'un texte de Paul Krugman, dont nous n'avons pas attendu qu'il fût prix Nobel d'économie pour apprécier les analyses. Comme Denis Olivennes, Paul Krugman est volontiers keynésien. Cela le conduit à préconiser une « recapitalisation des banques plus importante et un contrôle de l'Etat nettement affirmé », même si cela doit rapprocher « d'une nationalisation tout à fait temporaire d'une part importante du système financier. (?) L'objectif principal consiste à desserrer le crédit par tous les moyens possibles sans se laisser ligoter par des liens idéologiques. »

Sur ce point, j'observe que Paul Krugman rejoint Michel Rocard aussi bien que Pascal Lamy, qui ont eu l'occasion de s'exprimer ici récemment. Or, Denis Olivennes entend préciser qu'il ne dit pas le contraire. La querelle sur l'opportunité du procès du capitalisme est confuse à partir du moment où tout le monde paraît d'accord pour le corriger, le réguler et, disons le mot, pour le moraliser. Peut-être la façon dont Jacques Julliard veut le faire relève-t-elle, en conclusion, d'un brio incantatoire. Mais à la fin des fins, en passant de l'un à l'autre et en retournant la question sur le fond, je conclus simplement que ce qui est essentiel, c'est la maîtrise du capitalisme. La maîtrise et rien d'autre. Rocard rappelle que le socialisme est né au XIXe siècle d'une colère contre la cruauté du capitalisme. « Marx a fait l'analyse que la dureté de la condition salariale et des inégalités venait de la cupidité des patrons, de leur appétit de pouvoir et de leur appropriation des moyens de production et d'échange. Mais, on l'a oublié, Marx n'a jamais remis en cause l'économie de marché ! ». Et si nous vivons aujourd'hui « cent vingt fois mieux que nos arrière-arrière-grands-parents », c'est du fait des combats ouvriers mais aussi de la forme de l'évolution de cette économie.

5. J'ai la tentation d'être plus simple pour être plus ferme. Être de gauche, c'est s'interdire de penser à la création de richesses sans se soucier, dans le même élan, de leur redistribution. Être de gauche, c'est trouver intolérable et immoral une disparité scandaleuse des revenus entre les citoyens. C'est ne pas identifier la liberté au droit de profaner, au laisser-faire et au tout-est-permis. Être de gauche, c'est se soucier autant de bien traiter les étrangers que de les accueillir. C'est juger qu'un délinquant arrêté est davantage un malheureux à récupérer qu'un malfaiteur à punir. C'est ne pas prendre le culte de la transparence pour la liberté de nuire et de dénigrer. En un mot, et comme le disait David Shulman, un savant juif qui vit parmi les Palestiniens, c'est ne pas rester sur sa chaise lorsque l'on entend le voisin s'effondrer.

Tous ces beaux sentiments relèvent du sermon s'ils ne s'arriment pas à des convictions et à des principes. Et si leur application ne s'insère pas dans un système politique et économique qui les rend possibles. Je ne sais pas si l'on peut opposer, pour tout ce qui vient d'être dit, Péguy et Habermas, Tocqueville et Jaurès. Je sais que nous vivons dans un univers où le cynisme des financiers n'a plus de limites, où une immense crise est née par la faute de banquiers irresponsables. Et je sais aussi, mais c'est une autre grande affaire, que le type de développement qui nous a procuré les Trente Glorieuses hier et un relatif bien-être aujourd'hui ne fait désormais qu'imposer un consumérisme individualiste qui remet entièrement en question la notion de progrès. Il faut non seulement maîtriser le capitalisme et juguler sa financiarisation mais repenser, dans une gauche moderne, le type de développement dont nous subissons la servitude. Si l'on a bien compris d'abord Ségolène Royal et ensuite Martine Aubry, il s'agit de transformer en « offensive de civilisation » ce qui n'avait été pour l'Elysée qu'un gadget. C'est là que se trouve la voie à suivre.

J.D.

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 48 minutes