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Blog : Carnets d'actualitéLa seule excuse de DieuLa seule excuse de Dieu'
Un confrère me demande pourquoi Dieu s'acharne sur les pauvres. Il ne croit pas en Dieu. Mais cet acharnement sous forme de catastrophes naturelles sur les populations comme celle d'Haïti, les plus déshéritées et les moins aptes à une quelconque auto-défense, l'incite à croire au diable. C'est que dans un cas de ce genre, on ne peut accuser personne et l'on est rageusement frustré de ne pas pouvoir le faire. C'est ce qui se passait au temps où la peste sévissait avec son épouvantable égalitarisme, qui ne distinguait pas les pécheurs des vertueux, ni les nantis des damnés. Personne ne profitait même sadiquement de ce malheur. A qui profite le crime, sinon au diable, qui rappelle ainsi son existence ? Est-il rien de plus injustement cruel que le malheur qui s'est abattu sur cette petite île, si démunie ? Job, depuis son fumier, adressait à Dieu des imprécations révoltées qu'il accompagnait d'une soumission accablée. Mais Job avait tout connu des richesses et des bienfaits de ce monde : il pouvait au moins les regretter. Ces millions de Haïtiens, eux, ne connaissent ici qu'une aggravation paroxystique de leur sort habituel. On se demandait comment un Dieu pouvait permettre l'existence des camps de concentration. Sanction du mal, comme au temps du déluge ou de Sodome et Gomorrhe ? Simple manifestation d'une toute puissance divine qui contient la miséricorde mais aussi son contraire ? Aucune de ces réponses n'est convaincante quand ce sont les pauvres qui sont le plus frappés. Stendhal a écrit : « La seule excuse de Dieu, c'est qu'il n'existe pas. » Nietzsche découvrant cette pensée enrage de ne pas l'avoir eue avant lui. Camus note cela dans ses « Carnets ». Il y a bien autre chose, sur ce point précisément, dans les écrits de Camus, et on voit maintenant que l'importance stupéfiante des études et publications faites sur l'auteur du « Premier Homme » est loin d'avoir épuisé le sujet. M'est-il permis d'y revenir ? J'ai d'ailleurs un compte personnel à régler. Il s'agit d'une petite revue qui est à l'origine de grands débats. Elle s'appelle « Caliban ». J'ai en 1947 la possibilité de la diriger, abandonnant ainsi le concours de l'agrégation. L'originalité de cette revue de « vulgarisation culturelle » était de consacrer la moitié de chaque numéro à la publication des plus courts chefs-d'?uvre de la littérature mondiale. Après quelques numéros, Camus m'a téléphoné et sans rien connaître de moi, il m'a demandé sur quel livre se portait mon prochain choix. Je lui ai dit : « La mort d'Ivan Ilitch » de Tolstoï. Il m'a dit : « Vous avez raison, c'est un sommet. » Puis il m'a suggéré pour ensuite « la Maison du peuple » de Louis Guilloux. J'ai naturellement accepté avec enthousiasme, à la fois parce que j'étais ému que Camus pût penser à nous, ce petit groupe de jeunes inconnus, et parce que « le Sang noir » de Guilloux était un de mes livres de chevet. Il a eu l'air surpris. Puis, comme s'il voulait vérifier l'authenticité de mes propos, il m'a demandé de venir le voir, et quelques heures après je me trouvais dans son petit bureau chez Gallimard, le seul doté d'une terrasse, précisait-il. C'est là que pour moi tout à commencé. Il était lumineux, nullement intimidant. J'ai trouvé quelques mots à lui dire sur Guilloux dont j'étais devenu proche, et sur Jean Grenier, qui avait été son professeur à Alger, et sur Georges Palante. La conversation - ou plutôt le monologue - qui a suivi s'est déroulée dans un tel état de grâce qu'il n'a pas trouvé outrecuidant qu'à force d'insistance, je finisse par lui arracher une préface pour le texte de Guilloux qu'il souhaitait voir publié dans « Caliban ». Cette préface n'allait pas passer inaperçue. Elle commençait par cette phrase : « Nous sommes quelques-uns à penser qu'on ne devrait parler de la misère qu'en connaissance de cause. »Ce discours s'adressait bien sûr aux intellectuels staliniens et à leurs compagnons de route, qui n'avaient que le mot de « prolétariat » à la bouche. Quand la préface est parue, Camus et Guilloux m'ont invité à déjeuner. Guilloux à dit : « Albert (il était un des très rares à appeler Camus par son prénom), tu vas te faire houspiller ; on va te dire que la misère n'est pas un privilège et que les plus grands révolutionnaires sont d'origine bourgeoise. » Camus à répondu : « Et ils auront partiellement raison ! Qu'ils nous disent comment en sortir (de la misère), nous leur en serons humblement reconnaissants, mais qu'ils ne parlent pas de nous comme s'ils en étaient. » Dans le bureau de Camus, il y avait un portrait de Dostoïevski, « l'un des deux géants avec Nietzsche », a-t-il souligné : « Parfois, j'ai envie de remplacer le portait de l'un par celui de l'autre. Mais enfin, c'est grâce à Dostoïevski que Nietzsche s'est révélé. » Plus tard j'ai appris que Camus avait dit à d'autres : « Evidemment, au-dessus de Dieu et de Nietzsche, au-dessus de tous, il ya d'abord Pascal. » Tiens donc ! Voici que le parfum de christianisme devenait tenace, mais Camus à ajouté : « Pascal me bouleverse, mais ne me convainc pas. » C'est une phrase qu'on ne peut oublier en parlant de Camus, comme on ne peut ignorer son intérêt pour les ?uvres de la juive chrétienne Simone Weil. Revenons aux « Carnets ». Grâce à eux, nous savons que Camus avait confirmé sa déclaration faite à Stockholm au moment du Prix Nobel, selon laquelle, en période d'attentats, il préférait que sa mère n'en fût pas la victime, et donc il préférait sa mère à la justice. Ce n'était donc pas une boutade. Il a écrit « que rien, jamais, ne le conduirait à se désolidariser de sa mère ». Elle incarnait bien sa seule racine et dans un certain sens, le seul substitut à la transcendance qu'il refusera toujours. Je suis revenu à Dostoïevski, qui écrit en revenant du bagne : « Et si jamais on arrivait à me convaincre que le Christ n'était pas la vérité, je resterais avec le Christ, et avec lui seul. »Ce qui fait dire à Camus que pour Dostoïevski, « Jésus incarne bien tout le drame humain, il est l'homme parfait, étant celui qui a réalisé la condition la plus absurde. » Quant à Nietzsche, Camus demande qu'on n'oublie pas ce qu'il a dit du Christ, à savoir qu'il n'y a eu qu'un seul chrétien et qu'il est mort sur la croix. Rien de tout cela ne saurait justifier une quelconque récupération de Camus par l'Eglise, et particulièrement l'Eglise catholique. Un père dominicain a eu beau dire, devant moi, à Camus qui rappelait qu'il n'avait pas été baptisé : « Vous n'avez pas besoin de baptême, puisque vous avez la grâce ! », Camus a répondu : « Je n'accepterai ni d'au-delà, ni d'ailleurs, car toute transcendance m'est étrangère. » J.D. | Membre Juif.org
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