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Blog : Carnets d'actualité

Nos Fidélités

Nos fidélités

 Le Cardinal Jean-Marie Lustiger mon voisin, notre ami, m'avait confié la ferveur avec laquelle il se souciait de la restauration du Collège des Bernardins. Le résultat, qu'il n'aura pas connu, est tout simplement merveilleux. C'est dans ce Collège que mes amis ont choisi d'organiser samedi dernier ce qu'on appelle des « journées portes ouvertes ». C'est-à-dire que tous les lecteurs qui le voulaient ou le pouvaient étaient conviés à rencontrer les auteurs des articles qu'ils lisent chaque semaine et quelques invités, experts dans les domaines qui nous sont familiers.

Mais voici pourquoi je me donne le plaisir de faire de cet événement, si centré sur nous, la matière de mon éditorial. Ces rencontres se sont terminées par des interrogations sur l'avenir de la presse. Denis Olivennes, notre directeur, avait invité, avec Michel Labro et autour de moi, trois de mes « anciens » à en débattre : Franz-Olivier Giesbert, Bernard Guetta et Laurent Joffrin, hélas empêché. Sur ce qu'il convient de penser des menaces que font peser sur la presse l'Internet, les journaux gratuits, la diminution de la publicité et parfois de la diffusion, tout a été dit et bien dit.

Pour ma part, au fil de cette journée, en voyant tous ces visages, jeunes ou âgés, d'hommes et de femmes si curieux de nous connaître, si désireux de nous juger, si anxieux de participer à des débats d'idées pour lesquels j'ai lutté contre vents et marées une grande partie de ma vie, je me suis dit que si la presse était peut-être privée d'avenir, le « Nouvel Observateur » lui ne l'était pas du présent. Je prends le risque de la complaisance en disant que pour moi, qui ne suis pas étranger à la naissance de ce journal, les heures se sont égrenées dans cet auguste Collège comme des instants de justification, sinon d'émerveillement. Ainsi, avec Claude Perdriel, nous avions forgé cet hebdomadaire jour après jour, avec une ténacité dans l'idéal et un pragmatisme dans l'adaptation qui avaient fait que tant bien que mal, et en dépit de toutes les crises, nous avions tenu le coup ? que dis-je, nous tenions le coup mieux que jamais ! Car on a bien vu samedi que l'élan initial était maintenu.

J'ai ainsi pu vérifier que nous avions (me permettra-t-on de dire que « j'ai » ?) avec les lecteurs de ce journal des liens particuliers, qui se manifestent d'ailleurs surtout par l'exigence. Quand nous sommes en-deçà de ce qu'ils attendent, on sent les reproches ou le dépit de la complicité attristée, parfois l'éloignement, mais jamais la rupture. Je me souviens qu'après son départ de « L'Express », quand l'antigaullisme de Servan-Schreiber lui était devenu insupportable, François Mauriac m'avait écrit que la chose qu'il regrettait le plus, c'était le lien avec le lecteur. Il se trouve, sans me comparer à lui, que ces derniers temps, mon courrier est plus fréquent, plus nombreux, plus exigeant, mais aussi plus intime que d'ordinaire. Lorsque j'aurai à rendre moins régulière ma collaboration à ce journal, j'aurai le même regret que Mauriac.

Maintenant, il faut parler de la formule, du contenu, de la « ligne » - et peut-être aussi de la concurrence, car nous avons été, je le dis tranquillement, largement imités. Les temps ont changé, ils n'ont pas cessé de changer, et bien entendu nous aussi. Le règne de l'image a modifié souvent la façon d'écrire et l'intérêt d'informer. On est désormais tenté de juger un dirigeant politique sur sa vie plutôt que sur son action, de remplacer le compte-rendu d'un livre par le portrait de l'auteur. Je peux comprendre cette évolution, je refuse d'en être l'esclave.

Il reste deux préoccupations, qui ont été les miennes depuis l'origine : ce que j'appellerai le primat du culturel d'un côté, la rigueur politique de l'autre. Il fallait que ce journal fût le mieux écrit de tous et que tous les rédacteurs eussent des références littéraires ou philosophiques. Nourri de Stendhal, je préconisais qu'on s'en inspirât. Les équipes successives que nous avons constituées nous ont donné une sécurité quant à cette première préoccupation. Pour la seconde, c'est clair : ce journal est né grâce au parrainage vigilant et actif d'un homme d'Etat, Pierre Mendès France, avec lequel j'avais des rapports personnels et permanents depuis l'Express. Il avait des principes, une doctrine et une vision. Autour de lui d'abord, après lui ensuite, nous avons maintenu un réseau de compagnons fidèles : Edmond Maire, Michel Rocard, Jacques Delors, Robert Badinter. Flanqué de Josette Alia et de Serge Lafaurie, j'ai rapidement appelé près de moi Jacques Julliard, puis Maurice Clavel et Françoise Giroud, pour rejoindre François Furet et Mona Ozouf.

Contrairement à ce qu'une polémique a pu faire dire, il ne s'agissait pas de la deuxième gauche de « France Observateur », avec lequel, il faut bien le dire, nous n'avions plus rien à voir. En fait, Pierre Mendès France était très prévenu contre l'hebdomadaire du PSU de Bourdet et Martinet, qui lui faisait régulièrement passer des examens de marxisme.

Non, mes chers amis, cette deuxième gauche-là n'était pas celle de « l'Observateur » que Claude Perdriel et moi avons fondé. La nôtre a été la synthèse des positions extrêmes d'un François Furet et d'un André Gorz, souvent dominée par le keynésianisme d'un Simon Nora. L'épithète de « réformiste » n'était plus obscène ; la social-démocratie suédoise y était louée et la cogestion allemande célébrée. Une seule question était obsessionnelle : le social.

Avant la chute du Mur de Berlin, nous avons chanté le matin des dissidents et pris la tête d'une croisade contre le totalitarisme. Nous avons, seuls ou presque, soutenu Gorbatchev. Après la chute, nous avons été les premiers à dénoncer la guerre d'Irak, et nous avons été heureux de voir la France s'y opposer. Sur le Proche-Orient, dès 1967, Mendès avait tout dit : « Il faut que les Israéliens comprennent que les Palestiniens ont le droit d'avoir ce qu'eux-mêmes ont réussi à conquérir, c'est-à-dire un Etat. » Sur toutes ces questions, je ne vois pas que nous nous soyons écartés de notre ligne.

Cela dit, et parce décidément nous aimons les idées, il faut bien constater que nous sommes aujourd'hui, singulièrement en France, dans une confusion des valeurs qui frise la démence. Le capitalisme est dénoncé par ceux qui ont le plus contribué à ses dérives, tandis que les grandes banques tirent un profit indécent de la crise qu'elles ont provoquée. Alors une règle au moins s'impose : n'abandonner aucune de nos valeurs sous le prétexte que certains de nos ennemis cherchent à s'en emparer par des déclamations de circonstance.

J.D.

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 49 minutes