Blog : Ragazou

Le père de Mahmoud Al-Mabhouh, assassiné à Dubaï le mois dernier,
photographié avec la photo de son fils dans les mains. PHOTO REUTERS

Tout le monde pense que c'est le Mossad (les services secrets israéliens) qui a perpétré le meurtre de Mahmoud Al-Mabhouh, un haut commandant du Hamas, à Dubaï le mois dernier. Le gouvernement israélien ne le confirmera ni ne le démentira, mais les habitants d'Israël sont sûrs que c'est bien le Mossad et en sont plutôt satisfaits. Car qui d'autre voudrait la peau de ce dignitaire du Hamas ?

Théoriquement, pourquoi pas l'organisation palestinienne rivale, le Fatah, qui est plus ou moins en guerre contre le Hamas depuis près de trois ans' (Le Fatah dirige la Cisjordanie, le Hamas la bande de Gaza.) Les tenants de cette théorie expliquent que l'assassinat de Dubaï a été trop maladroitement exécuté pour être l'oeuvre du Mossad.

Une agence de renseignement sérieuse constituerait-elle un commando de onze personnes' Pourquoi sept d'entre elles voyageraient-elles avec un passeport britannique emprunté ou volé à des citoyens israélo-britanniques résidant en Israël' Pourquoi se laisser filmer à plusieurs reprises par des caméras de surveillance pendant l'organisation du meurtre' Cette opération manque clairement de professionnalisme.

Amateurisme, mais...

Bien que la nuit du 20 janvier fût empreinte d'amateurisme, cela ne signifie pas que le Mossad n'est pas mêlé à cette affaire. L'«institut pour l'espionnage et les opérations spéciales» - c'est ce que signifie son nom complet - est peut-être «légendaire», mais certaines de ses opérations sont tout sauf professionnelles. Prenons l'exemple du serveur norvégien.

Pendant vingt ans après le massacre de 11 athlètes israéliens par des terroristes palestiniens lors des J.O. de Munich en 1972, le Mossad a tué une quinzaine de personnes soupçonnées d'être impliquées dans cette opération. La plupart avait en effet un lien avec elle, mais Ahmed Bouchiki n'en avait aucun.

Ahmed Bouchiki était un immigré marocain résidant en Norvège. Il travaillait dans un restaurant à Lillehammer. Le Mossad l'a confondu avec Ali Hassan Salameh, celui qui a planifié l'atrocité de Munich. Un commando israélien l'a abattu alors qu'il rentrait chez lui en compagnie de sa femme enceinte. Cependant, les deux tueurs (un couple) ont commis l'erreur bête de se rendre à l'aéroport 24 heures plus tard dans le même véhicule qui leur avait permis de prendre la fuite - or celui-ci avait été repéré par la police. Ils ont donc été arrêtés.

En garde à vue, la femme a craqué et avoué qu'ils travaillaient pour le compte d'Israël. L'homme avait un numéro de téléphone sur lui, élément qui a conduit la police à la maison où se réfugiaient les trois autres membres du commando. L'un d'entre eux était en possession d'une liste d'instructions du Mossad. Ils ont tous fini dans des prisions norvégienne. Encore du travail d'amateur.

On peut également citer la tentative manquée du Mossad, en 1997, d'assassiner l'actuel chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal. C'était en Jordanie, pays qui a conclu un traité de paix avec l'État hébreu. Les agents du Mossad s'y étaient rendus avec des passeports canadiens empruntés à des résidents israélo-canadiens ayant la double nationalité. Ils se sont introduits dans l'immeuble où Khaled Mechaal logeait, et lui ont injecté du poison dans l'oreille. Deux des agresseurs ont été appréhendés par la police jordanienne. Les quatre autres se sont réfugiés dans l'ambassade israélienne.

Le roi Hussein de Jordanie, scandalisé, avait exigé du gouvernement israélien qu'il lui délivre l'antidote de ce poison: Tel-Aviv a cédé aux pressions et l'a fait à contrecoeur. En réponse aux protestations virulentes du Canada à propos de l'utilisation frauduleuse de passeports canadiens, Israël a promis que cela ne se reproduirait plus. Il a fait la même promesse à la Grande-Bretagne en 1987 et à la Nouvelle-Zélande en 2004.

Cette fois, le commando (bien que ridiculement grand) s'est montré moins incompétent. La cible est morte; et tous ses membres ont quitté Dubaï sans difficulté. Le fait qu'ils aient laissé des preuves suffisantes pour que la police de Dubaï puisse comprendre ce qui s'est passé n'écarte pas la culpabilité potentielle du Mossad: ses opérations n'ont pas toujours réussi! Les autorités dubaiotes se disent «à quatre-vingt dix-neuf %, pour ne pas à dire cent %, convaincues» de la responsabilité du Mossad. La plupart des gouvernements occidentaux sont aussi de cet avis.

Quatre gouvernements européens en particulier sont furieux : celui de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Allemagne et de l'Irlande. Car des passeports de ces pays ont été utilisés dans le cadre de cette opération. Nul doute qu'Israël promettra une fois de plus que c'est la dernière fois. Et le scandale provoqué par cette histoire se tassera, petit à petit...

Contre-productifs

Le chef de la police de Dubaï, Dahi Khalfan Tamim, a demandé à Interpol d'émettre une «notice rouge» à l'encontre du chef du Mossad, Meir Dagan, ce qui est généralement l'étape préalable à l'émission d'un mandat d'arrêt. Ce dernier ne s'en est pas inquiété outre mesure. Si ses nuits sont troublées par l'angoisse, ce sera plutôt parce que tous ces meurtres sont contre-productifs.

Éliminer les leaders du Hamas - et du Hezbollah, le mouvement de résistance chiite - n'arrange en rien la sécurité de l'État hébreu. Le Mossad a tué Abbas Al-Moussawi en 1992 et a même réussi à supprimer le bien plus redoutable Hassan Nasrallah, le successeur d'Al-Moussawi à la tête du Hezbollah. La même année, Israël a récolté la vengeance de ses ennemis: un attentat à la bombe contre l'ambassade israélienne en Argentine, qui a fait 29 morts et 242 blessés.

Les chefs assassinés sont remplacés par des successeurs aux compétences égales; la dynamique de vengeance est réenclenchée; et l'image d'État responsable d'Israël en prend un coup. Il convient de préciser qu'Israël n'a rien fait de pire que les États-Unis, la Russie et plusieurs autres grandes puissances quand il s'agissait de combattre toute forme d'«insurrection». Mais ces pays bénéficient de leur statut protecteur de grande puissance. Qu'on le veuille ou non, ce statut confère des droits que les autres n'ont pas.

On attend des petits pays qu'ils obéissent aux règles. De nombreux Israéliens pensent qu'ils n'ont pas à s'inquiéter de ces événements, puisque de toute façon tout le monde les déteste. Les Israéliens plus sages - en minorité à l'heure actuelle - sont conscients que la sécurité et la prospérité de l'État dépendent encore fortement de la bonne volonté des pays occidentaux. Or des actions criminelles comme celle menée à Dubaï, quand elles sont rendues publiques, érodent cette bonne volonté...

Gwynne Dyer

L'auteur est un journaliste indépendant canadien, basé à Londres, dont les articles sont publiés dans 45 pays.