Éric Moreault
Le Soleil
(Québec) La maturation de La robe de
Gulnara aura été un long fleuve tranquille, mais après cinq ans, elle débouche finalement sur sa création, à la Bordée. Tout au long du processus, le metteur en scène Jean-Sébastien
Ouellette et l'auteure Isabelle Hubert ont intimement collaboré à cette pièce qui s'est inspirée du sort singulier de 10 000 réfugiés de guerre forcés de se loger dans des wagons désaffectés
depuis 10 ans...
L'image est forte. Mais elle n'a rien à voir avec la déportation des Juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, assure
Jean-Sébastien Ouellette. En fait, l'histoire est véridique. L'auteure en a reçu la commande pour un court texte. Qui, au fil du temps, a pris l'ampleur suffisante pour traiter des enjeux moraux
de la guerre en se basant sur ce conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Dans ce camp de réfugiés, malgré le drame quotidien de l'indigence extrême, l'espoir fleurit. Gulnara va se marier. Malheur : sa soeur Mika,
13 ans, enfile la robe symbolique et la tache de goudron. S'amorce alors sa quête, un prétexte à la fable sur le prix qu'on doit parfois payer pour réparer sa faute...
«Isabelle [Hubert] a essayé de trouver une situation simple, qui pourrait se passer partout. Mais dans un endroit où tout manque, elle
devient plus tragique. C'est une pièce magnifique et touchante, qui est plus forte que nous. On s'y abandonne», explique Jean-Sébastien Ouellette. Il estime qu'elle a une profonde résonance :
«Fondamentalement, l'être humain est le même partout. Il y a déjà un lien émotif entre Gulnara et le spectateur, qui comprend tout à fait comment elle se sent.»
La perte de l'innocence
On s'en doute, La robe de Gulnara traite de la perte de l'innocence dans un camp de réfugiés où la misère fait ressortir le pire de
l'humanité - le meilleur aussi. «On est dans le conte contemporain. Il y est question d'humanité, d'entraide, de survie et d'espoir.»
Les deux créateurs ont travaillé en parfaite symbiose. Une situation toute naturelle, puisqu'ils forment aussi une famille à la ville... et
ont leur propre compagnie, avec l'actrice Anne-Marie Olivier (qui joue dans la pièce). Cette liberté artistique totale s'est prolongée jusqu'à la Bordée, où le directeur artistique Jacques
Leblanc leur a fait pleinement confiance.
«Ce qu'on vit, c'est le monde idéal. Il y a un dialogue : c'est une oeuvre conjointe. Et comme metteur en scène, je ne trafique pas l'oeuvre
au profit d'une vision. Je suis au service de l'histoire. Il faut que l'histoire génère l'image et que l'image génère l'histoire», souligne Jean-Sébastien Ouellette.
Ce qui ne l'a pas empêché d'y aller avec sa touche : Balaja, le narrateur, n'apparaissait qu'au début et à la fin du récit. Dans la pièce,
il assiste à toute l'histoire, sur le mode du retour en arrière. «Il y a une deuxième quête dramatique. Il réagit, mais il n'est jamais en interaction.»
Plus important, dit-il, «il faut qu'on y croit». Sa direction d'acteurs s'ajuste donc en conséquence : «Les réactions humaines doivent être
les bonnes.» Afin de faire oublier, par exemple, qu'une jeune femme se glisse dans la peau d'une ado. «Marilyn Perreault [qui joue Mika] a presque le corps d'une fille de 13 ans! Mais elle s'est
embarquée là-dedans avec sa propre naïveté et son propre charisme, sans se poser de questions.»
Faire beaucoup avec peu
Les questions ne se sont pas trop posées non plus avec l'expérimenté Jack Robitaille, associé au projet dès le début. «C'est un acteur
extraordinaire et un compagnon merveilleux. On ne dit pas à Jack Robitaille : "Tu fais ça comme ça." On suggère. En général, je n'impose pas une façon de jouer. J'impose le rythme, les temps, les
silences, les déplacements...
Ensuite, on travaille ensemble sur l'interprétation du personnage. Il y a des sensations qui ne se décrivent pas, c'est au feeling. J'adore diriger des acteurs, je me sens chez
nous.»
Par contre, l'attention de Jean-Sébastien Ouellette a été plus sollicitée par le tempo du récit et sa nature : il a essayé de faire beaucoup
avec peu. La pièce, composée de 33 courts tableaux, se déroule «à un rythme d'enfer» : «Un événement en entraîne un autre.»
Il y a aussi une dimension épique inhérente au sujet qui s'avère un beau défi. Il s'y est attaqué en symbolisant les wagons par des rails et
autant de valises. Ces dernières représentent aussi le dénuement d'être humain dont les maigres possessions se résument à moins que l'essentiel. «Ils n'ont rien. Et il manque trois choses
fondamentales dans le camp : l'eau, l'électricité et la bouffe.»
La robe de Gulnara sera montée pour une première fois ici, dans la capitale, mais le texte, lui, a déjà une reconnaissance qui dépasse nos
frontières. Il a été primé deux fois en Europe. Et avant même d'être joué, il vient aussi d'obtenir le prix Développement international de la Ville de Québec, accompagné d'une bourse de 5000 $
pour favoriser la réalisation d'une tournée à l'extérieur...
Vous voulez y aller'
QUOI : La robe de Gulnara
QUAND : 2 au 27 mars, 20h
OÙ : Théâtre de la Bordée
BILLETS : 22 $ à 30 $
TÉL. : 418 694-9721