Publié sur Actu.co.il
Imaginons un instant le scénario suivant : en 2014, Reouven Rivline est devenu Président de l'Etat d'Israël sous un 2e gouvernement Netanyahou. Mais les élections de 2016 amènent aux affaires un
gouvernement d'union dirigé par Tsipi Livni, et composé de Kadima, des Travaillistes, d'un Likoud amputé de son aile droite, d'un nouveau rassemblement de gauche laïque et écologiste, ainsi que
d'une nouvelle formation religieuse « modérée ».
Sur le plan extérieur, le nouveau gouvernement se fixe comme objectif d'accélérer le processus de création d'un Etat palestinien, et pour ce faire, cesse définitivement toute construction juive
en Judée-Samarie, annonce qu'il est prêt à « de douloureuses concessions sur Jérusalem », et que le « rêve d'un Israël de la Méditerranée au Jourdain est définitivement enterré ».
Le nouveau ministre de l'Education se charge de faire entrer dans les programmes scolaires « tous les ingrédients pour former la jeunesse israélienne à la paix qui s'annonce », celui des Finance
réduit drastiquement les budgets destinés aux localités de Judée-Samarie, et le ministre de la Défense se montre impitoyable avec les avant-postes. Quant au ministre des Affaires Etrangères, il
parcourt les capitales pour annoncer la bonne nouvelle : « la période obscure est finie, Israël est résolument tourné vers la paix avec le monde arabe et il est prêt à payer un prix lourd pour
cela».
Mais Rivline, le Président de l'Etat, vétéran du Likoud traditionnel, ne l'entend pas de cette oreille et tient à le faire savoir partout où il prend la parole. Arrivé en fin de carrière
politique, il refuse de voir bafouées les idées pour lesquelles il s'est battu toute sa vie.
Alors advienne que pourra, il prend son bâton de pèlerin, et de réception en conférence, à la Knesset comme à la Résidence Présidentielle, de New-York à Bruxelles en passant par Paris et Londres,
devant des auditeurs interloqués, il martèle à chacune de ses apparitions ses convictions politiques qui n'ont rien à voir avec la politique prônée par le nouveau gouvernement:
« Non à un Etat palestinien qui serait un danger mortel pour Israël !», « Jérusalem est la capitale une et indivisible du Peuple Juif et de l'Etat d'Israël !», « la Judée-Samarie est le berceau
de notre peuple et nous ne l'abandonnerons jamais !», « il est hors de question d'abandonner le patrimoine national et millénaire du Peuple juif !» et ainsi de suite.
On imagine le tollé dans les rangs de la majorité et l'indignation des médias, « Haaretz* en tête. Les députés ruent dans les brancards, et les attaques envers le Président de l'Etat fusent:
« Le Président sort de ses prérogatives constitutionnelles ! », « Rivline sape la politique du gouvernement à l'étranger! », il « ignore superbement qu'une autre majorité a été choisie par les
électeurs » etc. Et l'on parle de convoquer une séance spéciale à la Knesset sur « l'immixtion intolérable du Président dans les choix politiques du gouvernement légitimement élu », voire « d'une
saisine de la Cour Suprême ».
Chers lecteurs, pas difficile de deviner à qui je fais allusion à travers ce scénario de politique-fiction qui je l'espère d'ailleurs restera à l'état de fiction !
Il se passe dans la démocratie israélienne un phénomène bien étrange dans le déni systématique de la volonté de l'électorat lorsque la droite est majoritaire dans l'opinion. Ceci concerne les
médias, le système judiciaire, le monde universitaire mais aussi et surtout celui qui fut jadis qualifié par son ennemi intime, Itsh'ak Rabin, « d'éternel intrigant ».
Depuis qu'il a été élu à la Présidence de l'Etat, en 2007, « sorte de couronnement de carrière » ou » ou de « mise au placard » selon les avis de l'époque. Que l'on croyait ! En réalité, Shimon
Pérès ne cesse de rester l'homme politique de gauche qu'il a toujours été, et avec une combativité étonnante vu son âge.
Mais à la différence de l'épisode de politique-fiction, ses innombrables déclarations et interventions, n'ont évidemment pas suscité d'indignation médiatique, mais n'avaient jusqu'à présent
entraîné que peu de réactions de la part de la droite. Sorte de compromis entre « cause toujours » et « il faut respecter la fonction présidentielle ».
Certains allant même jusqu'à parler d'un « partage des rôles » et une alliance tacite contractée entre Netanyahou et Pérès ? qui s'entendent très bien d'ailleurs ? laissant à ce dernier le soin
d'arrondir les angles à l'étranger, où il jouit évidemment d'une excellente réputation puisque favorable à un maximum de concessions israéliennes.
Mais deux faits récents ont commencé à agacer ouvertement des responsables du Likoud : la rencontre prochaine annoncée entre Pérès et Abou Mazen en Italie, lors d'un sommet sur la paix décidé
dans le dos du Premier ministre israélien, et une déclaration du Président selon laquelle « Netanyahou est persuadé qu'il faut aller vers un compromis mais pour cela il doit aller avec Kadima et
les Travaillistes, car il est menotté par les partis de droite ». Le journal « Haaretz » croit même savoir que Shimon Pérès ?uvre depuis un moment déjà en coulisses pour promouvoir une telle
coalition, ardemment souhaitée à Washington et Bruxelles.
Parmi les « anciens routards » de la politique, Yossi Ben-Aharon, qui a servi sous Itshak Shamir, connaît très bien Shimon Pérès. Et il est formel :
« C'est une seconde nature chez lui, il ne peut s'empêcher de s'immiscer et d'utiliser tous les moyens pour faire avancer ses idées politiques, eussent-elles été balayées par la réalité comme les
Accords d'Oslo.
Il faut donc à tout prix exclure le Président de tous les sujets touchant au processus de paix, car il est en train de causer un tort énorme à Israël ».Ben-Aharon prétend que « Netanyahou a sans
doute de bonnes intentions lorsqu'il essaie de mettre Shimon Pérès ?dans sa poche', mais il est loin de savoir à qui il a réellement affaire, et on n'est pas sûr de qui phagocyte l'autre ».
Ben-Aharon a travaillé avec Shamir lors de la fameuse « rotation » entre 1988 et 1992, et se rappelle à quel point Shamir « avait souffert des intrigues et des coups bas de Pérès, mais avait
préféré laissé passer afin de préserver la stabilité des institutions et l'intérêt national».
« Aujourd'hui », rappelle Ben-Aharon, « Shimon Pérès se promène dans le monde entier et parle au nom d'Israël avec des déclarations qui ne sont pas du tout en phase avec la politique du
gouvernement, voire qui lui sont totalement contraires, et sa parole fait foi ».
Ce qui a confirmé à Ben-Aharon l'existence de tractations en sous-main du Président israélien, est le fait que le journal italien « Corriere della Sera » a révélé que l'homme qui est le cheville
ouvrière de ce prochain sommet à Rome n'est autre qu'Ouri Savir, ancien Directeur du Ministères des Affaites Etrangères sous Shimon Pérès, et « accessoirement » l'un des principaux artisans des
Accords d'Oslo ainsi que de l'Initiative de Genève avec Yossi Beilin, et actuel Directeur du « Centre Pérès pour la Paix ».
« L'activité politique ininterrompue de Shimon Pérès donne l'impression dans le monde qu'Israël dispose de deux organes de décision en matière de politique étrangère, et elle laisse à penser
qu'il exprime l'opinion de la majorité de la population. Et comme à l'étranger, on préfère de loin la vision de Shimon Pérès' », affirme l'ancien Directeur de cabinet d'Itshak Shamir, qui avertit
« que le Président de l'Etat est en train de court-circuiter le Premier ministre, plus jeune que lui, en faisant croire à l'étranger que lui, le ?vieux sage', sait ce qui est bon pour Israël ».
Il serait temps que les organes les plus officiels, politiques comme constitutionnels, fassent comprendre à Shimon Pérès, non seulement qu'il outrepasse totalement les compétences que lui confère
la loi, qu'il bafoue la démocratie dont il est l'un des garants, mais surtout, qu'il n'a pas été élu à ce poste honorifique pour y mener à bien la politique suicidaire qu'il a poursuivi durant sa
carrière politique.
Il y a des limites de la décence à ne pas dépasser lorsqu'on est à l'origine d'un processus qui a ligoté Israël, donné une respectabilité internationale à une bande de terroristes assassins, et
qui jusqu'à présent, n'a amené que violence, sang, larmes et divisions dans la population israélienne.
par Shraga Blum