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Blog : Ragazou

Un marin ne tire pas sur un autre marin

Par Guy Millière

Cet hommage est en reproduction et diffusion libres, en mentionnant le nom de l'auteur, le copyright de la
Metula News Agency et en respectant scrupuleusement la mise en page.

 

Je ne suis pas communiste. Je ne suis pas socialiste. Si on me parle d'amour, de fraternité, de liberté, de droits de l'homme, j'écoute, par contre, car j'ai toute ma vie tenté de donner de l'amour et de la fraternité. J'ai toujours défendu la liberté et les droits de l'homme.

 

Je parle de tout cela pour une raison précise : la disparition de Jean Ferrat m'a touché, profondément.

 

Tout en ne partageant aucune de ses options politiques et en pensant que sur ces plans, il se trompait, j'ai apprécié la limpide beauté de nombre de ses chansons non politiques, qui restent et resteront des classiques.


J'ai eu, à l'époque où j'ai travaillé dans le secteur artistique, l'occasion de rencontrer l'homme, et de discerner et ressentir chez lui de la bonté, et une bienveillance simple et ample. J'ai parlé avec lui, précisément, du communisme, et j'ai compris qu'il pouvait exister dans ses attaches des éléments se situant en deçà de la raison : avoir vu son père victime de l'antisémitisme et envoyé vers un camp d'extermination, avoir eu la vie sauve grâce à des communistes, avoir vécu tout cela lorsqu'on a onze ans à peine crée des blessures qui ne se referment jamais, et qu'on tente ensuite de recoudre comme on peut.

 

Longtemps avant de l'avoir rencontré et d'avoir conversé avec lui, je dois, qui plus est, à Jean Ferrat, d'avoir eu l'esprit ouvert sur les camps de concentration nazis. Je ne puis réécouter « Nuit et brouillard » sans émotion et sans que tous les souvenirs me reviennent.

 

Lorsque j'ai entendu la chanson pour la première fois, on ne parlait pas des camps nazis, de la déportation et d'Auschwitz ; la France gaulliste avait occulté, et reconstruit l'histoire.

 

Le texte énonce : « On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours ». Deux décennies après la guerre, les mots n'avaient plus cours, effectivement : ils n'avaient, même, jamais eu vraiment cours, sinon de manière épiphénoménale.

 

Jean Tenenbaum dit Jean Ferrat

Le poète a toujours raison, qui voit plus haut que l'horizon


Près de cinq décennies plus tard, occultations et reconstructions de l'histoire continuent, même si, de temps à autre, un rappel des faits survient. Tel celui permis par le superbe film de Rose Bosch, La rafle, récemment sorti dans les salles de cinéma en France. Que certains critiques imbéciles ont méprisé en soulignant, par exemple, qu'on avait fait appel à dix mille figurants : pourquoi un tel nombre en effet (?!).

 

La chanson dit : « Je twisterais les mots s'il fallait les twister pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez ». L'époque était au twist, et l'expression est datée, mais, alors que j'étais encore enfant, j'ai commencé à savoir, grâce à la chanson, et en l'écoutant à nouveau, je me répète à moi-même que le travail de la mémoire doit être effectué, inlassablement.

 

Après avoir entendu la chanson en 1964, à l'âge de quatorze ans, j'ai posé des questions à mon père. Il m'a parlé d'un camp, en Alsace, le Struthof, et il m'y a emmené.

 

Ensuite, j'ai lu, beaucoup. J'ai voyagé, beaucoup aussi. Toute une trajectoire, dont je parle dans un livre autobiographique à venir, s'est dessinée, qui m'a mené à la vigilance scrupuleuse face à toute forme de racisme et d'antisémitisme ; au respect de la connaissance, et, sur les routes du monde, vers les Etats-Unis, mais aussi vers le Proche-Orient, où, avant d'aller en Israël, je me suis rendu en Syrie, au Liban, dans des camps palestiniens. Où j'ai vu que la haine nazie à l'encontre des Juifs se perpétuait.

 

Et que nul ne s'indigne et ne clame qu'il n'y a aucun rapport ! La seule fois où on a osé me suggérer explicitement de lire Mein Kampf, c'était dans un camp palestinien, pas très loin de Beyrouth, en 1971.

 

Je ne sais quelles étaient les positions de Jean Ferrat sur le conflit israélo-arabe. Je n'ai jamais cherché à le savoir. J'aurais peut-être été déçu. Mais dans les substrats de ma mémoire, il y a toujours une chanson : « Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers ». Il y a, au travers d'elle, le rappel du risque de l'oubli et de la nécessité de ne pas écrire pour passer le temps.

 

En réécoutant « Nuit et brouillard » - paroles et musique de Jean Tenenbaum, fils de Mnacha, jeune juif venu de la Russie des pogroms et que la France a ignominieusement livré aux nazis par l'intermédiaire zélé de la police dirigée par René Bousquet -, je sais ce que je dois à un homme qui n'est plus, mais qui restera dans les têtes et les c'urs de multitudes.

 

En écoutant quelques chefs d'?uvre comme « Un jour, un jour » ou « Aimer à perdre la raison », je sais aussi que l'art, quand il est grand, transcende tous les clivages et élève l'être humain.


http://www.menapress.org/
Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 26 minutes