Blog : Ragazou

By ELIAS LEVY, Reporter (CJN)

 

Trois écrivains, Maurice Chalom, Juif sépharade, né en France, établi à Mont réal depuis le début des années 80, Edem Awumey, Togolais vivant depuis quelques années à Gatineau, dans l'Outaouais, et Onésimo Almeida, Portugais, né aux Açores, installé aux États-Unis depuis 1975, qui abordent avec perspicacité dans leur travail littéraire les thèmes épineux de l'errance, l'exil, la quête d'identité et la condition d'immigré, ont donné leurs points de vue respectifs sur le débat acéré sur l'identité nationale qui sévit au Québec, en France et dans d'autres pays occidentaux au cours d'une table ronde, intitulée ?Lire le monde en quête d'iden­tité?, qui a eu lieu dans le cadre du Festival littéraire international de Montréal, Metropolis Bleu. L'auteur de cet article fut le modérateur de ce panel.

 

Pour Maurice Chalom, cofondateur, avec Alix Laurent, de la Semaine d'Action contre le racisme à Montréal et auteur d'un remarquable récit de vie, Va, Moshone, publié cet automne aux Éditions Leméac, le débat sur l'identité collective est ?fondamentalement sain', mais c'est plutôt la méthode employée pour mener celui-ci qui pose un sérieux problème.

 

?En termes de convivialité ou de vivre ensemble, le débat sur l'identité nationale est salutaire. Personne n'est contre la vertu de la tarte aux pommes! C'est au niveau de la méthode utilisée que les choses se gâtent. On a établi des amalgames pernicieux.

 

On pose souvent l'immigration en termes de problème, en focalisant tout le débat sur des particularismes très marginaux. Au Québec, on pointe du doigt les Juifs orthodoxe alors que ces derniers ne représentent qu'une réalité sociale infinitésimale.

 

Même cas de figure en France, où tout le débat est axé sur la question du port de la burqa. C'est trois fois rien, mais on stigmatise ainsi certaines Communautés. On réduit alors l'identité nationale à des réalités sociales infinitésimales.?

 

D'après ce spécialiste chevronné des questions interculturelles et des stratégies d'intégration des immigrants, au Québec et en France, le discours sur l'immigration martelé dans les cénacles politiques et sociaux, qui renforce la dichotomie entre le ?Vous' et le ?Nous', est très dommageable.

 

?On est enclin à aborder la complexe question de l'immigration comme si nous étions en pleine ère des barbares! C'est une conception totalement fal la cieuse de ce qu'est réellement l'immigration. Force est de rappeler qu'au Québec, en France et dans les autres pays occidentaux, les immigrants sont ?sélectionnés' par les autorités gouvernementales.

 

Avant d'obtenir leur visa d'immigration, ces derniers doivent répondre à un certain nombre de critères préétablis. Ce n'est pas un espèce de ?free for all'! Le discours qu'on entend actuellement laisse l'impression que les immigrants sont constamment sous le mode revanchard! C'est faux! 99.9% des Communautés ethniques -c'est l'appellation qu'on utilise au Québec pour désigner les Communautés immigrantes- vivent selon les lois du pays.

 

On stigma tise l'immigration en établissant une équation très incongrue entre les immigrants et l' identité nationale. Et, bien souvent, on associe l'immigration à ses éléments les plus marginaux, qui sont ceux qui retiennent l'attention des médias et des pouvoirs publics. Il est temps de remettre les pendules à l'heure!?

 

Dans son deuxième roman, Les pieds sales' (Éditions Boréal), qui a figuré cet automne sur la première sélection du prestigieux Prix littéraire français Goncourt, Edem Awumey relate les errances d'un jeune immigré au passé trouble qui fuit un Sahel ravagé par la guerre et la famine pour établir ses pénates dans des squats insalubres de Paris.

 

Pour ce jeune Togolais, le débat sur l'identité nationale ne pourra être ?efficient' que s'il est porteur d'un ?projet de vivre ensemble constructif et harmonieux'.

 

?Jusqu'ici, au Québec et en France, ce débat très houleux s'est surtout ca racté risé par des dérapages disgracieux et des incartades à connotation raciste. Ce débat a servi de défouloir à des xénophobes de tout acabit qui ont éructé leur haine contre les immigrants.

 

Ce n'est pas étonnant que quand on ouvre une boîte de pandore aussi hideuse, on n'arrive plus à la refermer! Ce qui est déplorable dans le débat sur l'identité nationale, c'est qu'au lieu de mettre l'emphase sur les défis communs auxquels les immigrants et les populations d'accueil autochtones sont aujourd'hui confrontés, on focalise tout le débat sur des différends existant entre ces deux groupes, qui souvent sont grossis d'une manière démesurée et ne correspondent pas du tout aux réalités vécues au quotidien.

 

Une certaine rhétorique empreinte de xénophobie est en train d'aliéner des groupes minoritaires, qui se sentent exclus et marginalisés. Nous sommes aux antipodes d'une démarche socio-politique susceptible de nous aider atteindre notre objectif collectif final: le vivre ensemble.?

 

Professeur de Culture portugaise et d'Histoire des idées intellectuelles à l'Uni vers ité Brown, à Rhode Island, Onésimo Almeida, auteur d'un essai en anglais sur l'intégration des immigrés de langue portugaise aux États-Unis -Tales from the Tenth Island (Seagull-Faoilean Publisher), a tenu à rappeler qu'aux États-Unis, il n'y a pas de débat sur l'identité nationale car celui-ci est contraire à l'idée que les Américains se sont forgée de la nation.

 

?Pour les Américains, la question de l'identité fait obligatoirement référence au passé. Or, la nation américaine a été bâtie en tablant uniquement sur le futur et non sur le passé, très funeste pour beaucoup d'immigrants.

 

Les Américains détestent qu'on leur dise quoi faire, ce qui est bon et mauvais pour eux et quel type de nation ils doivent édifier.? Par contre, la question de l'immigration ne laisse pas indifférente l'opinion publique américaine, ajouta Onésimo Almeida.

 

?Aujourd'hui, le débat sur l'immigration et le débat sur la réforme du système de santé américain se téle scopent car les deux sont de plus en plus interreliées. Dans le passé, les immigrants qui s'établissaient en Amérique trouvaient rapidement des emplois, surtout manuels, bien rémunérés.

 

Ce n'est plus le cas aujourd'hui, la majorité des nouveaux immigrants décrochant des emplois très mal rémunérés, notamment dans des chaînes d'alimentation fast-food et des méga-centres commerciaux.

 

Donc, dans le contexte éco no mique actuel très difficile, les Américains de la classe moyenne vont devoir payer via leurs impôts la portion que les nouveaux immigrants seront incapables de débourser afin de bénéficier de la nouvelle couverture médicale instituée récemment par le Congrès américain. C'est ce qui enflamme les esprits.?

 

Le grand écrivain montréalais d'ori gine haïtienne, Dany Laferrière, récipiendaire du Grand Prix Metropolis Bleu 2010, était présent dans l'assistance. Durant la période de questions, il prit la parole pour livrer ses réflexions sur le débat sur l'identité nationale.

 

?Au Québec, il y a deux discours identitaires parallèles dans lesquels la notion très ambiguë du ?Nous' et du ?Vous' est constamment ressassée et remixée. On peut toujours arriver à nuancer celle-ci.

 

Si on pose à Pauline Marois la question suivante: ?Un immigrant qui vote pour l'indépendance du Québec est-il pour vous un meilleur Québécois qu'un Québécois de souche francophone qui est fédéraliste'?, on confère alors une autre dimension à la réalité du ?Vous' et du ?Nous'.?

 

D'après Dany Laferrière, la question de l'?extrême minorité? explique les ?généralisations abusives' auxquelles donne lieu le débat sur l'identité nationale québécoise.

 

?Tout le débat est axé sur une poignée de Juifs ultra-orthodoxes et deux ou trois burqas. C'est ce qui le rend inintéressant. On croit que les choses qui blessent certains groupes sont extrêmement importantes pour tout le monde.

 

C'est un leurre. Souvent, ces choses n'ont aucune espèce d'importance dans la société. Nous nous énervons alors pour rien!?

A panel of three authors of different backgrounds discussed the question of national identity, during this year's Blue Metropolis International Literary Festival.