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Blog : Carnets d'actualitéFaut-il rire des « intellos » ?
Faut-il rire des « intellos » ? I. Halte aux ricanements, foin de la dérision ! Je voudrais mettre un peu d'ordre et de simplicité dans les débats qui tournent autour de l'existence, du rôle et de l'avenir des intellectuels. Car la confusion est devenue encore plus redoutable que pour les thèmes de l'identité nationale et de l'Europe. En un mot : depuis que nous n'avons plus confiance dans les idéologies, nous avons un frénétique besoin des idées. C'est-à dire des intellectuels. Ce que l'on appelle le tapage médiatique sur les affrontements d'intellectuels peut exaspérer, c'est mon 0cas. Mais il a un sens. Il répond, même au prix d'impostures et de vedettisation choquantes, à un vrai besoin. Sinon, on ne verrait pas, à peu près tous les mois, à la une des magazines ou des suppléments littéraires, Descartes, Rousseau, Voltaire, Nietzsche et Spinoza. Sinon, il n'y aurait pas à la radio, à la télévision et sur Internet tant de débats d'idées et de colloques d'experts en tout genre. Il y a ceux qui parlent de ce qu'ils ne connaissent pas, parce qu'ils estiment posséder la méthode pour bien penser, et il y a des spécialistes qui, en dépit de leur jargon, sont entendus du public, même lorsqu'il s'agit d'économie. Des hommes célèbres mettent leur notoriété au service d'une grande cause et de plus obscurs acquièrent une grande notoriété parce que leur cause est grande .Les uns et les autres ont droit au respect. Lorsque Zola défend Dreyfus, il est déjà illustre. Mais avant qu'il ne s'engage dans ce même combat, qui connaissait Bernard Lazare ?
II. En fait, nous sommes tous devenus des intellos parce que nous n'avons plus de maîtres à penser. L'occasion d'agiter à notre tour ce débat, c'est, dans ce numéro, le désir de reconnaitre le parcours (les trente ans) d'une équipe, celle du « Débat » de Pierre Nora, Marcel Gauchet et Krystof Pomian, qui, après s'être inscrite dans la lignée du « Nouvel Obs » de la grande époque, s'est imposée avec une autorité un rien hautaine mais partout saluée. Je suis un grand lecteur de revues. Pour ce qui est de la littérature je me suis jadis abandonné aux prosternations d'usage devant la NRF. Mais pour ce qui est du domaine de la réflexion sur l'actualité, « le diagnostic de l'évènementiel », j'ai trouvé pendant un certain temps une revue plus attachante que les autres. C'était « Esprit ». Sa sensibilité chrétienne, progressiste et historique contribuait à l'exigence, à l'ouverture à la rigueur. Sur les démocraties populaires, sur le Portugal, sur l'Italie, je me souviens de numéros spéciaux qui demeurent une référence. C'est, de plus, « Esprit » qui a publié ma réponse aux « Temps Modernes » sur l'Algérie. J'y soulignais le désir de Camus d'ignorer la dimension nationaliste des musulmans algériens, et l'ignorance radicale de Sartre sur la dimension religieuse de l'insurrection algérienne. J'ai été ensuite invité à collaborer à « Preuves » dirigé par François Bondy et Raymond Aron à laquelle devait succéder plus tard, dans l'actuelle revue « Commentaires », une réunion des Aroniens de droite que seul l'humour érudit de Jean-Claude Casanova rend libérale.
III. Il reste que, lorsque nos amis du « Débat » ont publié leur revue, nous nous sommes reconnus sur bien des points. Pour ma part, j'y ai retrouvé l'abandon du doctrinal péremptoire, le renoncement aux illusions du progrès et à la surestimation du rôle des intellectuels. C'est tout de même dans « le Nouvel Obs » que Michel Foucault préconisait (dans sa morale de l'inconfort) qu'on ne juge plus les hommes sur leurs positions mais sur leur trajectoire. Autrement dit, il fallait se donner, à soi comme aux autres, le temps de la réflexion. C'est Foucault qui a décrit la fin de l'intellectuel « dans son rêve de faire la synthèse entre le sage grec, le prophète juif et le législateur romain ». D'autant que cela n'empêchait nullement un certain nombre de grands intellectuels de cheminer dans la présomption et dans l'erreur. Rappelons que si l'intellectuel peut contribuer à reconstituer le passé , s'il peut nous offrir à un « diagnostic de l'événementiel » dans le présent, il doit se méfier de la prévision comme de la peste. Il doit se dire, comme Woody Allen citant sans le savoir Pierre Dac, que la seule chose qu'il ne peut pas prévoir, c'est l'avenir. En fait, aucun des grands évènements que nous avons vécu depuis un demi siècle n'a été prévu.
IV. Nombreux ont été, par exemple, ceux qui affirmaient, et avec quel brio, que si les dictatures de droite pouvaient se succéder, comme en Amérique Latine, l'empire stalinien, lui, pouvait être assuré d'un avenir ottoman ou austro-hongrois. L'homme politique que je tiens pour l'un des plus grands intellectuels, Henry Kissinger, voyait déjà les forces soviétiques à Lisbonne et a demandé à l'Otan de se préparer à une occupation longue et conflictuelle. Les préjugés idéologiques des intellectuels de droite ont longtemps perduré. Par exemple, lorsque Mitterrand est arrivé au pouvoir, on a redouté qu'il ne facilite la « finlandisation » de la France et de l'Europe. C'est contre cet état d'esprit, et précisément dans « le Débat », que j'ai publié un article intitulé « L'heure des intellectuels ». Je m'adressai aussi, d'ailleurs, à mes amis du « Débat ».Selon moi, au lieu de bouder cette gauche devenue, au pouvoir, antistalinienne, il fallait préparer sa succession et ne pas se reposer sur le mol oreiller de l'ancienne contestation. C'était en 1983. J'observais que la stratégie mitterrandienne de rupture avec le capitalisme s'était transformée en une réalité de rupture avec le socialisme. Je soulignais alors le fait que la gauche avait besoin de théoriser ses changements plutôt que de laisser s'accréditer l'idée d'une trahison de ses idéaux par ses chefs. François Mitterrand m'a convoqué. Il était furieux parce que, selon lui, je proclamais partout qu'il avait changé, et que je l'écrivais même dans une revue « snob » qui lui était « hostile ». Il m'a dit qu'il avait désormais adopté une « économie mixte » aussi éloignée du capitalisme que du marxisme et totalement opposée aux programmes des syndicats allemands et des réformistes suédois. Le grand homme n'était pas dans ses meilleurs jours. C'est à partir de cet article du « Débat » qu'ont été relancées, à l'intérieur de la gauche des discussions que Jacques Delors et Michel Rocard ont orchestrées. Je dois dire que celui qui a été le plus sensible aux contradictions du président, ce fut Lionel Jospin. Il préparait déjà, lui, pour un futur rapport, une révision du dogme socialiste comparable à ce que la social-démocratie allemande avait faîte à Bad Godesberg, en 1959.
V. Maintenant, je veux parler d'un intellectuel qui demeure encore, pour moi, un modèle. Il suffit de citer son nom pour stopper le cours du désenchantement. Il s'agit de Pierre Vidal-Naquet. C'était un grand helléniste. Plusieurs fois, Jean-Pierre Vernant m'a fait l'éloge de son disciple en termes éblouis. Et nous sommes au moins deux, Jean Lacouture et moi, qui avons pensé, à propos de Vidal Naquet, à ce que Péguy écrivait de Bernard Lazare pendant l'affaire Dreyfus : qu'il était un saint. Il a été, dans le combat contre l'usage de la torture, l'intraitable qui dénonce, qui dérange, qui perturbe. Tous l'ont reconnu, de François Mauriac à Claude Bourdet et de Henry Alleg à Pierre-Henri Simon. Pierre Vidal Naquet était incontournable, intransigeant, indestructible. Personne ne peut dire que cet intellectuel n'a pas contribué à la mobilisation d'une grande partie de l'opinion et, comme Germaine Tillon l'a souligné, au rappel à l'ordre d'un certain nombre de tortionnaires trop zélés.
Reste un autre aspect essentiel. Vidal-Naquet avait vu ses parents enlevés par la police de Vichy et emmenés en déportation, d'où ils ne devaient pas revenir. Il en a tiré la plus exemplaire des leçons. Il a en effet décidé de se battre sur deux fronts avec une vigilance qui n'a cessé de m'en imposer. Il a été le dépisteur acharné du négationnisme et le dénonciateur infatigable de Faurisson. Il a proclamé que les « assassins de la mémoire » n'auraient jamais de répit avec lui. Mais c'est aussi ce même intellectuel, grandi dans l'ombre terrible de la Shoah, qui prendra progressivement parti, surtout après 1967, contre le sort réservé au peuple palestinien. Il n'a pas cessé d'écrire et de chercher sur son terrain d'étude, la Grèce antique, et il n'a pas cessé non plus, en-dehors de sa discipline et sans jamais se servir de sa notoriété, de lutter contre la torture et pour une paix en Palestine. Voilà ce que peut-être de plus grand, à mes yeux, un intellectuel. J.D.
1 commentaire
En tout cas ceux de J.Call me font rire.
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