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Blog : DrzzLa nouvelle propagande « antisioniste », ou la réinvention de la question juive, Par Pierre-André Taguieff (part 2)
Seconde partie
Cette reconstruction diabolisante a pour l'essentiel consisté à retourner contre Israël et le « sionisme » l'accusation de « racisme », avec son corrélat : celle de « génocide », principal opérateur de la nazification de l'État juif1. L'accusation est maximale, et représente l'aboutissement d'un long processus de radicalisation idéologique commencé dans les années 1950. Elle implique une inversion de la réalité comme de la vérité historique : les Israéliens et ceux qui les soutiennent - caractérisés comme « sionistes » ou plus simplement comme « Juifs » - sont accusés de meurtre de masse, et, partant, de crime contre l'humanité. Certains idéologues, les négationnistes, y ajoutent la dénonciation de la Shoah comme un « grand mensonge historique », tandis que d'autres ? dont des Juifs supposés « progressistes » ? dénoncent l'« industrie de l'Holocauste » ou le « Shoah-Business », ou encore les usages politiques ? « sionistes », bien entendu - de la « religion de la Shoah ». Tel est l'aboutissement du processus de réinvention de la judéophobie comme vision du monde auquel la guerre des Six-Jours a donné une impulsion décisive. L'une de ses principales conséquences aura été l'inscription de l'antisionisme dans le programme d'action antiraciste, où il est devenu central.
Quoi qu'il en soit, par ces dénis et ces accusations, les Juifs sont transformés en représentants d'un non-peuple, du non-peuple juif, et à ce titre chassés comme des intrus du concert des nations. Dans la perspective antisioniste radicale, tous les individus humains sont censés avoir droit à une nation ou à un État. Sauf les Juifs. Le succès en France - ou, plus exactement, dans la France intellectuelle et médiatique - de l'indigeste pamphlet, à la fois « post-sioniste » et « antisioniste », de l'historien d'extrême gauche israélien Shlomo Sand s'explique par le fait qu'en affirmant que le peuple juif n'existe pas, qu'il n'est qu'une fiction idéologisée par des leaders nationalistes aux XIXe et XXe siècles, il paraît justifier historiquement la principale proposition des antisionistes radicaux : l'élimination de l'État d'Israël2. Pourquoi un « peuple » imaginaire, un non-peuple, devrait-il bénéficier d'un État-nation indépendant et souverain ? Les Juifs peuvent dès lors être traités comme s'ils étaient étrangers au genre humain, formé de « peuples » tous respectables, libres de se donner un État. Et les Juifs, ainsi « dé-normalisés », dénoncés comme des étrangers-ennemis, à figure inhumaine : la nazification croissante de ces « non humains » leur donne en effet la figure d'ennemis du genre humain.
Cet amalgame polémique (« sionisme = nazisme ») a permis de fabriquer des analogies et des métaphores de propagande par lesquelles a été réactivé un très ancien thème d'accusation visant les Juifs : celui du meurtre rituel3. La construction du grand récit sur Israël, « État criminel », a été alimenté et accéléré par les effets planétaires de l'opération médiatique, parfaitement réussie, consistant à accuser les soldats israéliens d'avoir « tué de sang-froid », le 30 septembre 2000, le jeune Palestinien Mohammed al-Dura, érigé en « martyr ». Ce prétendu assassinat a été présenté dès les premiers jours de la seconde Intifada comme la preuve des penchants criminels des « sionistes » et le symbole du statut de « victimes » monopolisé par les Palestiniens. Dès lors, dénoncer le « sionisme », c'était dénoncer autant le « racisme » des « sionistes » que leur propension à tuer des non-Juifs, pour assouvir leur cruauté naturelle, leur goût du sang, pour se nourrir symboliquement du sang de leurs ennemis et ainsi satisfaire leur cruauté héréditaire, ou encore pour prélever leurs organes ? l'accusation de trafic d'organes a été lancée par un journaliste suédois en août 2009, et reprise sur les sites anti-israéliens de toutes obédiences4. En outre, la nature supposée sanguinaire des « sionistes » porterait ces derniers à privilégier, parmi les non-Juifs, les enfants, et plus spécialement les enfants palestiniens, arabes ou plus généralement musulmans. Dans le discours de propagande des pays arabes à la suite de la guerre des Six-Jours, la légende du meurtre rituel juif avait été réactivée en même temps que le mythe du complot juif mondial, ce dont témoignent les nombreuses rééditions des Protocoles des Sages de Sion au Proche-Orient et le succès rencontré par les libelles accusant les Juifs de meurtre rituel, comme celui du général syrien Mustafa Tlass (1932-), La Matza de Sion, paru en 19835. La vision conspirationniste du « sionisme » est cependant restée longtemps dominante dans la rhétorique anti-israélienne, en dépit de l'inflexion provoquée par la dénonciation orchestrée du massacre de Sabra et Chatila (16-18 septembre 1982), perpétré par des phalangistes chrétiens et abusivement attribué à Tsahal. Cette attribution calomnieuse d'un massacre à Israël n'est ni la première, ni la dernière. Mais elle est devenue paradigmatique en ce qu'elle a constitué la première victoire médiatique mondiale de la propagande « antisioniste » fondée sur la dénonciation des « sionistes » comme criminels-nés.
La criminalisation des « sionistes » est devenue un thème majeur de propagande avec l'application du schème du meurtre rituel aux opérations israéliennes de maintien de l'ordre à l'époque de la première Intifada (lancée le 9 décembre 1987), où les jeunes Palestiniens étaient cyniquement placés en première ligne, voués à faire des victimes émouvantes idéologiquement exploitables. D'une façon croissante à partir de la seconde Intifada, en réalité la première guerre israélo-palestinienne, lancée le 29 septembre 2000, les « sionistes » ont été construits et dénoncés par leurs ennemis comme des « tueurs d'enfants » - précisons : d'enfants non juifs. L'exploitation internationale, par la propagande anti-israélienne, des images de la mort supposée du jeune Mohammed al-Dura a marqué l'entrée dans ce nouveau régime d'accusation des « sionistes », et, par synecdoque, des Juifs. Le stéréotype du Juif comme « criminel rituel » était réinventé et adapté au nouveau contexte de l'affrontement israélo-palestinien6.
De telles projections des traits du bourreau sur la victime font partie des mécanismes élémentaires de la propagande visant
à mettre en acceptabilité des pratiques criminelles contre un ennemi. Mais ce processus d'attribution abusive par inversion causale est particulièrement pervers visant les Juifs à travers les
Israéliens : on ne saurait l'analyser sans en souligner l'abjection.
Pierre-André Taguieff
Fin de la seconde partie.
1- Voir P.-A. Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, Paris, Mille et une nuits, 2002, p. 93 sq. ; id., Prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire, Paris, Mille et une nuits, 2004, p. 91 sq. ; id., La Judéophobie des Modernes. Des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 407 sq. 2- Voir Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé. De la Bible au sionisme, tr. fr. Sivan Cohen-Wiesenfeld et Levana Frenk, Paris, Fayard, 2008.
3- P.-A. Taguieff, La Judéophobie des Modernes, op. cit., p.
262-308 ; id., La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit., p. 229-374, 492 sq. 5- Mustafa Tlass, La Matza de Sion, Damas, 1983 (en arabe) ; 2e éd., 1986 ; trad. angl. : Matzo of Zion, Damas, Family Bookshop, 1991. 6- P.-A. Taguieff, La Judéophobie des Modernes, op. cit., p. 300-308 ; id., La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit., p. 281-374. 7- Voir P.-A. Taguieff, La Judéophobie des Modernes, op. cit., p. 300 sq., 407 sq. ; id., La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit., passim. | Membre Juif.org
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