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Blog : Carnets d'actualitéPour comprendre Katyn
Dans sa dernière émission du samedi matin sur France Inter, Alain Finkelkraut a reçu Marcel Gauchet, de la revue « le Débat », et Jean-Claude Monod, de la revue « Esprit ». La question était de savoir si l'on pouvait trouver, dans le proche avenir des intellectuels, une espérance de lumière pour éclairer notre période d'immense désarroi. Je cite Rossana Rossanda, qui aurait pu être présente dans cette émission : « Le vingtième siècle nous renvoie à ses inconséquences, à ses espoirs, ses échecs et irrésolutions. Depuis, il n'y a eu ni de grandes idées ni de grandes erreurs. Nous sommes dans une petite histoire aux effets pervers ». Les deux invités sont vite tombés d'accord pour ne pas voir se profiler à l'horizon le moindre courant d'idées novateur et dominant ni la moindre tête pensante qui illuminerait le XXIe siècle. Leurs diagnostics favoris stigmatisent l'éclatement, la dispersion, et l'atomisation. En dépit des recherches de haut niveau, il y a quelques années en histoire, mais désormais surtout en économie, on ne peut dire qu'il y ait des hommes émergents. Pour ma part je me serais contenté de savoir quel était, à leurs yeux, l'esprit le plus lucide, car c'est de lucidité que nous avons besoin et de rien d'autre. Je ne puis d'ailleurs m'empêcher d'observer que le débat de France Inter ne date pas d'hier. Voilà vingt ans au moins que j'ai entendu un discours semblable dans la bouche de Claude Lefort lorsqu'il regrettait l'époque d'Althusser, de Sartre et de Lacan pour convenir tout de même qu'il restait Foucault, Bourdieu, Deleuze et Castoriadis. Et il m'a été donné d'entendre Foucault observer que l'explication devait être recherchée non dans l'absence de maîtres à penser mais dans l'impossibilité qu'il y en eût un. Je cite sans me lasser son irremplaçable formule: « L'intellectuel est désormais dans l'incapacité d'opérer la synthèse dont il rêvait entre le sage grec, le prophète juif et le législateur romain. » Foucault ajoutait que, dans un certain sens, Kant et Hegel n'avaient pas renoncé à cette synthèse et que Nietzsche était certain de l'avoir réalisée. Qu'y a-t-il de nouveau dans la façon dont nos brillants penseurs d'aujourd'hui reprennent un débat si ancien ? Le fait peut-être de réfléchir à son archéologie. Le socle sur lequel repose leur réflexion, c'est la formation d'une idéologie antitotalitaire avant l'implosion du communisme. Ils soulignent que cette idéologie n'était ni de droite ni de gauche. Cela non plus n'est pas très nouveau pour ceux qui ont organisé maints débats d'idées au « Nouvel Observateur. » Analysant notre entreprise, Claude Lefort et Edgar Morin ont dit que nous réalisions le tour de force de réunir dans un combat commun les disciples de l'école de Francfort (Adorno, Illich, Marcuse), représentés par André Gorz , et ceux de l'école libérale de Chicago dont, selon eux, François Furet, pourtant nourri de Tocqueville et de Raymond Aron, était supposé se rapprocher. Mais il est vrai que l'idéologie antitotalitaire, en dépit de Hannah Arendt, de Camus, et de Ceslav Milosz, ne constituait pas un corps de doctrine. A quoi pensait Marcel Gauchet lorsqu'il évoquait une contribution de l'extrême droite à l'idéologie antitotalitaire ? Evidemment pas à Raymond Aron mais à tous ceux que leur anticommunisme viscéral conduisaient à déclarer : plutôt Hitler que Staline. C'est d'ailleurs en se souvenant de cette contribution de l'extrême droite que l'on peut expliquer la tentation à laquelle ont cédé des analystes français et des historiens allemands de donner une primauté à la barbarie soviétique qui aurait été antérieure à la barbarie nazie, et qui l'aurait inspirée. On se souvient sûrement des débats entre François Furet et un sociologue allemand Ernst Nolte, lequel acceptait avec une bienveillance suspecte la thèse selon laquelle c'était dans le stalinisme qu'Hitler aurait trouvé le sens de son action, et même de ses projets d'extermination. Tout cela a été passionnément discuté, et les débats qui nous sont présentés par d'éminents intellectuels aujourd'hui n'ont rien de nouveau en dehors du caractère brillant dans la façon de les reformuler. Mais ils doivent beaucoup, je le dis avec simplicité, aux combats de nos vingt premières années du « Nouvel Observateur », sauf que, tandis que cette idéologie antitotalitaire rejetait vers la droite les anciens progressistes, c'est elle qui nous a conduits à construire une social-démocratie que j'appelle désormais un réformisme radical. J'avais déjà ces débats à l'esprit lorsque, la veille de l'émission de France-Inter, j'ai vu le film « Katyn », ce document-fiction ou ce roman-témoignage d'Andrzej Wajda. Comment ai-je pu tarder à voir cette ?uvre imposante, cette immense réalisation ? Katyn, on le sait, c'est le nom du lieu où ont été exécutés 22 000 officiers polonais sans aucune raison, sans aucun jugement, sans que leurs familles en fussent informées. Puisqu'ils étaient polonais, ils ne pouvaient être que des contre-révolutionnaires, des ennemis déterminés de la patrie soviétique. Et puisqu'ils étaient polonais, leur arrogance d'aristocrates était insupportable et leur existence même injustifiée. Ce malheureux pays, frappé de malédiction, a été trois fois rayé de la carte. Comme le rappelait Kundera, la Pologne est le seul pays dont l'hymne national contient une évocation de l'éventualité d'une disparition de la patrie : « Si nous existons encore... ! ». En tout cas, dans le film, on voit le sadisme machiavélique avec lequel les Allemands ont exploité le fait que ce massacre devait être attribué aux soviétiques. Ils avaient l'occasion providentielle de faire croire que jamais, au grand jamais, ils n'auraient été capables d'un tel forfait. Wajda, dont le père a été l'une des victimes de Katyn, fait preuve d'une sorte de génie pour montrer comment se tricotaient les deux barbaries dans l'esprit du peuple polonais. On voit ce qui pouvait étayer la thèse du sociologue allemand que j'évoquais plus haut. Au fait, il y a une revue, « Commentaire », dont le dernier numéro, excellent, contient cependant un extraordinaire document dont l'exploitation a été ratée. Car c'est la première fois, que personnellement, je vois et je lis la lettre de Beria dans laquelle le monstre soviétique écrit à Staline pour lui recommander avec force le massacre de Katyn. Et tout le monde signe. On ne sort pas indemne d'un tel film. Wajda est aujourd'hui malade. J'ai jadis eu l'occasion de le rencontrer. Je fais des v'ux et même des prières pour sa guérison. J.D. Voir le blog de Jean Daniel sur www.nouvelobs.com
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