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Blog : Carnets d'actualité

L'espoir

 

1. Le nouveau gouvernement tunisien n'est pas celui que l'on attendait ? On verra. Les milices de Ben Ali n'ont pas encore désarmé ? Patience. Ne laissons pas la ferveur retomber en mélancolie. Gardons la grande espérance née dans ce petit pays. Soyons près de ce peuple qui refuse le chaos désiré par ses oppresseurs qui ont fui comme des voleurs aux abois. Surtout, arrimons-nous aux deux ou trois choses que l'histoire, de toute façon, ne pourra jamais effacer. Rappelons : d'abord, le martyre, celui de ce diplômé devenu marchand ambulant, Mohammed Bouazizi, qui, en s'immolant par le feu, ne pensait sans doute pas qu'il allait déclencher une telle insurrection. Ensuite, la réaction de ce petit peuple tunisien qui s'est senti dans l'obligation d'être digne de ce martyre en prolongeant l'immolation d'un seul par la révolte de tous. Ensuite encore, le soulagement des élites enfin délivrées de leur humiliante paralysie après une longue période de soumission désenchantée.

Enfin, et c'est là que je veux en venir, il y aura eu ce général tunisien Rachid Ammar, Chef d'Etat major de l'Armée de Terre, qui a refusé d'obéir à l'ordre du président Zine el Abidine Ben Ali de tirer sur les protestataires, conservant à la révolution - malgré les morts dues aux tirs de la police - son qualificatif « de jasmin ». C'est un acte décisif, fondateur et déterminant. Lorsqu'il a été connu par les autres Etats arabes, tous les despotes ont pris peur. Si l'armée s'insurge, plus rien n'est possible pour le pouvoir. Le jour, et même à l'heure, où  l'on a appris ce refus d'obéissance, les plus avisés ont compris que c'en était fini de Ben Ali. Et le moment d'après, lorsque ce dernier a démis Rachid Ammar de ses fonctions, tous ont compris que ce général devenait le héros de la nation.

 

Mais on ne prévoyait pas qu'il ferait preuve d'une autorité si efficace si discrète, et d'une détermination si habile. C'est lui qui, en effet, a déjoué les différents complots des policiers et des milices dévoués à Ben Ali, en conseillant aux habitants d'organiser leur auto-défense. C'est lui qui a permis que le peuple puisse retrouver à la fois fierté et confiance, même si certains ont eu, un moment, peur de leur propre audace et de ses conséquences. C'est Rachid Ammar enfin, qui, sans jamais prétendre jouer un rôle politique et en  évitant de se présenter comme un successeur possible du despote en fuite, a permis aux Tunisiens de maintenir une admirable dignité .

 

2. Au  moment où j'écris et en dépit des  trop nombreux morts  au cours  des affrontements, on peut dire que la situation paraît rassurante. En particulier par le fait que l'on n'a pas entendu un seul cri conspuant - comme d'ordinaire dans les manifestations organisées par les gouvernements arabes - l'étranger, la France, l'Occident ou le sionisme. A ce propos, il me faut dire, contre les miens, que si les déclarations de Michèle Alliot-Marie offrant son aide pour « maintenir l'ordre » m' ont paru un dérapage aussi absurde que choquant, je pense, en revanche, que toute déclaration du gouvernement français avant la fuite de Ben Ali, je dis bien avant, n'aurait pu que servir ceux de ses partisans qui étaient prêts à se battre  pour retenir leur chef. On voit très bien ce qu'auraient pu dire un Ghannouchi, chef du parti islamiste en exil, ou un Kadhafi, qui a montré dans son dernier discours qu'il ne renonçait pas à exercer sa néfaste influence sur son voisin. C'est d'ailleurs une chance que Ben Ali n'ait pas choisi La Libye comme pays d'accueil et de résidence. Enfin et surtout, comme l'écrit notre confrère Béchir Ben Yahmed, de « Jeune Afrique », on ne sache pas qu'aucune puissance, grande ou petite, qu'aucun pays arabe ait choisi de condamner Ben Ali avant que son peuple ne le répudie. Et s'il faut regretter, bien sûr, le manque d'efficacité des services de renseignements du Quai d'Orsay et d'ailleurs, on serait heureux de savoir avec quels dictateurs ils nous recommandent de rompre aujourd'hui. Et l'on apprendra avec intérêt quels sont les Etats détenteurs de pétrole où ils souhaiteraient que l'on encourage des insurrections.

3. Je voudrais rester sur le débat que suscite cette révolte populaire arabe qui affiche une ambition démocratique. Certains ont cru pouvoir dire que l'arabisme n'était pas soluble dans la démocratie. C'eût ignorer maints exemples, et je me contenterai ici de rappeler celui de l'Egypte et du parti Wafd, quand Nahas Pacha a formé son gouvernement au début de l'année 1930. Il y a eu alors des élections, des parlements, des mises en minorité du pouvoir et des changements de gouvernement. On ne doit pas parler non plus d'une incompatibilité entre l'islam et la démocratie parce que, là aussi, ce serait ignorer tout ce qui s'est passé en Turquie et en Asie. En revanche, la question demeure de savoir si un Etat théologique islamique permet l'exercice de la démocratie. Lorsque les Algériens ont pris la grave décision d'interrompre une consultation électorale parce que le premier tour avait assuré le succès des islamistes, ils ont commis un acte anti-démocratique pour déjouer la victoire d'un parti qui proclamait sa volonté d'en finir avec la démocratie.

4. D'autre part, on croit pouvoir tirer  de l'émergence du mouvement populaire tunisien la conclusion que la liberté compte d'avantage ou autant que le pain. Et selon les Ecritures, en effet, « l'homme ne vit pas seulement de pain ». Sans doute. Mais si un marchand ambulant dont la police avait saisi le gagne-pain ne s'était pas suicidé il y a trois semaines, combien de temps aurait-il fallu attendre pour qu'éclate l'insurrection ? Les guerres du pain sont nombreuses dans tous les pays. En France, elles ont déclenché les jacqueries que l'on sait. Et parmi les slogans du Front Populaire, il y avait «  D'abord le pain, ensuite la paix, enfin la Liberté ».

Tout cela pour rappeler, contre la pensée répandue, qu'il y a eu une période, disons pendant les deux premiers quinquennats de Ben Ali sur cinq, où le peuple tunisien n'a pas manqué de pain et où celui dont se nourrissaient les classes moyennes n'était pas de mauvaise qualité. Il y a eu une période ou tous les chefs d'Etat du monde, et pas seulement les Français, n'ont pas eu honte de donner l'accolade à Ben Ali parce qu'il y avait en Tunisie peu de chômage, moins d'analphabètes qu'ailleurs, que l'économie y était sûre et surtout, surtout, que les femmes y étaient libres.

Quant au caractère arbitraire et oligarchique du despotisme, comme la suppression de la liberté de la presse, il ne date pas de Ben Ali. Je dois rappeler, douloureusement en raison de l'admiration que j'ai eu pour lui, que, dans les dix dernières années de son pouvoir, le « Combattant Suprême », Bourguiba, fondateur de la Tunisie moderne, a eu des caprices caligulesques  dans tous les domaines, après avoir été l'un des plus grands hommes d'Etat de la Méditerranée et du monde arabe.

Autrement dit, quand le pouvoir de Ben Ali s'est mis à devenir insupportablement policier et scandaleusement  prévaricateur, ce n'est pas un masque qui est tombé, c'est un changement radical et démentiel qui a atteint le despote .Le pouvoir qui corrompt l'a corrompu absolument. Ce que l'on n'avait pas prévu, c'est que cette corruption coïnciderait avec l'émergence de la crise, du chômage et de la misère dans des régions ou même la solidarité bien connue des hommes du sud n'arrivaient plus à assurer la subsistance. Ce que l'on n'avait pas prévu non plus , c'est que cet efficace policier, qui avait su avec tant d'habileté mettre en scène le pouvoir que lui avait laissé un Bourguiba défaillant, en arriverait à tomber dans la dépendance d'une famille dont le comportement le conduirait à une fuite honteuse, comme celle du Shah d'Iran .

 

5. Quelle est le plus grand problème que les Tunisiens vont rencontrer pour construire une démocratie ? Certains animateurs politiques, habités par un frémissement révolutionnaire qui leur rappelle 1789, souhaitent l'élection d'une Assemblée Constituante. La difficulté réside dans l'obligation de choisir des constituants représentatifs de la révolte, alors que tout le monde, pratiquement tout le monde à part quelques courageuses victimes du régime, s'était ou rallié ou soumis. Sans doute y-a-t-il eu dans les derniers mois quelques manifestations de résistance des Femmes Démocrates, de la Ligue des Droits de l'Homme, de l'Ordre des avocats et des syndicats tunisiens qui tentaient de renouer avec une grande tradition. Mais c'est un fait qu'à chacun de mes voyages, j'ai entendu les élites les plus exigeantes se résigner à l'impuissance et à l'humiliation. Nombreux sont ceux qui ont trouvé refuge dans la pratique de l'islam, comme pour protester contre les abus de la terreur exercée contre les islamistes, et l'on a vu peu à peu un grand nombre de femmes de ce pays qui étaient pourtant si fières d'avoir été les premières Arabes émancipées par Bourguiba, adopter le port du voile y compris sur les plages lumineuses qui invitent à la liberté.

Alors il est sans doute facile, aujourd'hui, de condamner une famille, celle de Ben Ali, si évidemment corrompue, cynique, tragiquement coupable, et d'arracher à ceux qui ont été ses complices ou ses protégés leur puissance et leur morgue. Mais il sera très difficile, pour faire surgir une nouvelle élite dirigeante, de faire le tri entre ceux qui se sont, volontairement ou non, compromis avec Ben Ali et ceux qui se sont réellement opposés à lui.

6. Je suis un homme âgé, mais dans ces dernières années, deux événements m'auront rajeuni: l premier aura été l'arrivée d'Obama à la Maison Blanche, le second de voir mes amis fraternels de Tunisie accomplir la première révolution d'un pays arabe après sa décolonisation. Jeune homme, je ne suis entré dans l'engagement politique et le témoignage que par l'anticolonialisme. Tout m'a passionné dans ce combat, y compris la découverte de la civilisation  des peuples en marche vers leur émancipation.

Né en Algérie, j'aurai du m'intéresser à ce qui s'y préparait et dont pourtant j'ignorais tout. Mais c'est ailleurs qu'un événement m'a esthétiquement et politiquement fasciné.: la rencontre entre un Français juif et un Arabe laïc, entre Mendès-France et Bourguiba, deux hommes d'Etat exceptionnels qui ont su l'un et l'autre combattre leurs extrémistes en prenant tous les risques, pour aboutir à ce qui devait être, en 1956, le premier geste décolonisateur de l'Empire français. J'ai été amené à connaître ces deux hommes, à me lier à eux, et j'ai souvent écrit que j'avais avec la Tunisie des liens qui ressemblaient à des racines. J'ai assisté jadis à la conquête par ce pays de son indépendance avec la même émotion qui me rend aujourd'hui passionnément attentif à la conquête de sa liberté. Mais, les deux fois, j'ai appris à préférer le possible à l'idéal, le bien au mieux, et je préfère les grandes réformes aux révolutions incertaines. C'est mon pari pour la Tunisie.

 

P.S : Et l'Algérie ?

On se demande partout avec raison si la révolte du jasmin peut s'étendre à d'autres pays arabes. Il est évident que d'autres peuples auront l'idée qu'un soulèvement  est désormais possible, et c'est un sentiment à la fois nouveau et considérable. Mais ne croyons pas que l'état de l'opinion chez le grand voisin algérien puisse être  forcément le même. Ce peuple a trop souffert de la guerre civile avec les islamistes dont la réalité chez eux n'était pas fantasmatique : près de 200 000 morts ! Je  peux me tromper car tout ce qui se passe en ce moment est imprévisible. Mais je suppose que  les Algériens s'y prendront à deux fois avant de prendre les risques de retomber dans la guerre civile. D'ailleurs, le président Bouteflika a constamment justifié sa présence par la nécessité de la réconciliation entre laïcs et islamistes. Cette réconciliation a d'ailleurs souvent profité aux islamistes non violents et à l'islamisation des corps constitués. Il reste que ce qu'il y a de commun entre les pays du Maghreb c'est que les pères sont morts pour assurer l'indépendance d'un pays dont tous les fils veulent partir.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Dernière mise à jour, il y a 4 minutes