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Blog : Carand

PASSEURS DU JUDAISME

Armand et Éliette Abécassis,
passeurs du judaïsme par Albert Bensoussan
Par webmaster, dimanche 7 octobre 2007 à 14:39

Sur Le Blog de TERREDISRAEL.COM

Depuis la monumentale Anthologie Juive (1923) d'Edmond Fleg,
nous ne disposions de rien de semblable :
un ouvrage éclairant tous les aspects du judaïsme dans ses
écrits, depuis la Torah et le Talmud jusqu'aux lettres
contemporaines.
Cette lacune est aujourd'hui comblée par
Armand et Éliette Abécassis dans leur Livre des passeurs
(éditions Laffont, 2007, 480p., 23?), avec pour programme :
« De la Bible à Philip Roth, trois mille ans de littérature juive ».
Ce défi est relevé avec grand talent par un philosophe et sa
jeune romancière de fille, dont la grande entreprise est
menée de main de maître et d'une façon quasi exhaustive.

Au départ, en toute logique, nous retrouvons les trois grandes divisions des livres saints : Torah, Prophètes, Écrits, avec des extraits significatifs commentés à la lumière de notre modernité et d'une pensée qui, cohérente avec, notamment, l'?uvre d'exégète d'A. Abécassis, s'écarte de tout dogmatisme, privilégiant comme apport primordial du judaïsme ? car il s'agit bien là de dégager un vecteur essentiel ? l'interprétation.
Les auteurs vont donc souligner le mystère intrinsèque de la langue hébraïque, consonantique et non vocalique, ce qui ouvre la voie à la polysémie et fait de l'hébreu une langue jamais fermée sur elle-même mais, au contraire, ouverte à la riche pluralité des sens.
Que serait l'Écriture Sainte sans ses jeux de mots et paronomases enrichissant le sens de toute lecture ? La grande idée des Abécassis est de contourner le cliché qui fait des Juifs « les gens du Livre » en estimant plutôt que le « judaïsme est interprétation du Livre », et qu'il ne vise pas « à chercher le sens mais à produire du sens ». Du même coup est battue en brèche la sacralité des Maîtres : certes, ils sont admirables dans leur effort pour comprendre et transmettre, mais la vérité ne leur appartient pas ; de là que le Talmud s'articule autour de la confrontation permanente des multiples interprétations rabbiniques. L'étude de la Torah, dès lors, est « renvoi infini de significations les unes aux autres ». Le judaïsme ignore la souveraineté des Clercs et la pensée totalitaire : le fanatisme lui est ? doit lui être ? étranger.
Du même coup l'interprétation, qui reste toujours, hic et nunc, celle d'un individu et d'une époque, renvoie étroitement à l'humain et au contingent, car « l'univers du sens demeure transcendant à toute signification ». D'où ce magnifique éventail où chaque texte est « une face du prisme juif dont le centre n'appartient à personne ».

On l'aura compris, Armand et Éliette Abécassis sont des êtres libres, qui placent la liberté du jugement au-dessus des impératifs et des dogmes qui enfermeraient la pensée dans le carcan de l'intégrisme, tant il est vrai qu'à leurs yeux le judaïsme n'est pas une religion de « béni-oui-oui », mais un creuset où l'humain se confronte et s'exalte dans toute sa richesse et sa beauté. Dès lors chaque texte choisi, chaque leçon qu'en tirent les anthologues, est un pur régal pour l'esprit et le lecteur. Mais il serait bien vain de tout passer en revue. Reste à nos yeux le scintillement des meilleures pépites. Citant ainsi le texte de la promesse faite aux Patriarches et de l'élection du peuple juif, le seul défi retenu est cette mission de lutte permanente contre l'idolâtrie, interprétée comme « l'absolutisation » de toute forme vivante et de tout ordre naturel, social et politique, y compris la valeur morale et religieuse : « Tuer pour Dieu par exemple » ? car le commentaire va toujours vers notre présent critique ou douloureux. Et sans exclusive ni ?illères, comme lorsque les auteurs déclarent que la terre d'Israël n'appartient pas au peuple d'Israël « absolument et inconditionnellement » ? c'est sans doute là le point qui fera polémique ?, car, écrivent-ils, « il s'y trouve en gérant et doit rendre des comptes à YHWH de ce qu'il y fait et de sa capacité à y instaurer la justice, l'amour et la dignité humaine ». Et plus loin, commentant Rachi ? « le premier interprète » ?, ils reviennent encore à l'attribution à Israël de « la terre des sept nations » : « Dieu attend de lui qu'il fonde son existence sur cette terre, en la justifiant par l'éthique ». Autrement dit, sans « sa capacité à incarner quotidiennement la droiture », il n'est pas de terre pour Israël. Il est donc clair que pour les Abécassis le judaïsme est avant tout une morale, la plus haute et la plus exigeante. Aimer l'Autre, comme le proclamait Hillel, dont les maximes majeures sont ici fournies, passe avant tout respect formel des prescriptions rabbiniques et s'inscrit dans l'exigence des prophètes et des pères, dont on privilégie cet apophtegme : « Il ne suffit pas d'être pur devant Dieu, il faut l'être aussi devant les hommes ».

L'Étude est le fondement de la vie juive ? il ne saurait en être autrement de la bouche d'un professeur et d'un maître tel qu'Armand Abécassis. Le Midrash à ses yeux est la « seule voie à opposer à tout fondamentalisme et à tout extrémisme ». Dans toute cette galerie d'auteurs qui suit, une place spéciale est faite à Kafka ? que seule la maladie empêcha de rejoindre la Terre promise ? : pour les Abécassis ces romans majeurs de notre temps que sont Le Procès, Le Château ou La Métamorphose sont « d'une polysémie étonnante comme le Midrash rabbinique ». Quant au poète Edmond Jabès et ses rabbins imaginaires, il ne fait que « renouer avec la tradition du questionnement des textes », dont la formulation la plus moderne semble avoir été donnée par le philosophe Jacques Derrida qui, « par la déconstruction, a répondu à cette exigence par la notion d'exégèse et le renvoi infini des significations, les unes aux autres, sans jamais parvenir à atteindre le signifié dernier qui se confondrait avec la vérité ultime ». (On comprend qu'un Victor Malka ait remplacé le titre initial de son émission culturelle (France-Culture, dimanche à 9h05) « Écoute Israël » par celui de « La maison d'études ».) On ne peut tout évoquer de l'immense fleuve de pensée qui coule dans ces pages. Mais le problème de la terre d'Israël reste central ; ainsi de la prédication majeure du Rav Kook, nos anthologues retiendront qu'il faut que « l'État juif ne verse pas dans la fièvre du pouvoir », message relayé par le professeur Leibowitz, tant controversé, lui qui « traitait d'idolâtres les nationalistes religieux dévoués à la terre et au mur des Lamentations ». On revient alors, encore et toujours à l'éthique, fondement du judaïsme pour Einstein, et pour Lévinas qui oppose à celui des Lumières l'humanisme juif « parce qu'il demande à l'homme plus qu'il ne faut et exige de lui qu'il en témoigne dans chacune de ses activités organisée par le rite ».

Mais le judaïsme est aussi cette quête passionnée de la mémoire des origines qui caractérise tant de penseurs et d'écrivains, tels que Bergson et Freud, et, bien entendu, Proust chez qui les auteurs soulignent « ce souci juif de rassembler une mémoire dispersée et éparpillée dans les instants ».
En définitive ce survol des textes est d'une grande richesse et d'une évidente cohérence. Tout anthologue propose un choix à son image. On retrouvera ici les traces de Qumran cher à Éliette Abécassis, et sans doute lui doit-on aussi cette attention toute moderne portée à des poètes des marges tels que Paul Celan ou Allen Ginsberg. Mais ce qui demeure, pour l'essentiel, c'est la leçon philosophique d'Armand Abécassis telle qu'elle s'est exprimée dans ses nombreux ouvrages d'exégèse et ses commentaires télévisés : une attention presque exclusive portée à l'étude, à l'interprétation, à la confrontation des idées, servie par une grande ouverture d'esprit et la revendication d'une liberté justifiée, en définitive, par la plus haute exigence éthique. Mais, pour finir, laissons la parole à Albert Einstein, dont nos anthologues partagent à l'évidence les propos : « Les idéaux juifs.
La passion de la connaissance pour elle-même, la passion de la justice jusqu'au fanatisme et la passion de l'indépendance personnelle expriment les traditions du peuple juif et je considère mon appartenance à cette communauté comme un don du destin». Alors en refermant cet ouvrage ? que nous relirons et consulterons en toute occasion ? nous pouvons nous dire heureux de partager aussi, avec Armand et Éliette Abécassis, esprits éclairés de la pensée juive et de l'écriture française, le destin d'Israël.

Albert Bensoussan

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