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Blog : Carnets d'actualitéL'ambition démocratique
L'ambition démocratique Par Jean Daniel
Il y aura toujours des professionnels du pessimisme et ils finiront tous par avoir en partie raison. Ils disent, par exemple, qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil et ils ajoutent que les révolutions n'évitent jamais les échecs et rarement les catastrophes. Il est évident qu'aujourd'hui si les convulsions égyptiennes conduisaient à fermer le canal de Suez, nous serions en présence d'un séisme mondial. Reste que la terreur de 1793 n'a pas effacé la gloire de 1789 même si, plus tard, Beethoven devait supprimer la dédicace à Bonaparte de l'une de ses symphonies le jour où Napoléon s'est fait couronner empereur. Et si nous nous contentions de prévoir aujourd'hui que ces révolutions du Jasmin ou du Narguilé finiront dans le pire, nous passerions à côté de l'essentiel. Car ce qui fascine dans cette révolution arabe, avec ce printemps des peuples moyen-orientaux, ce soulèvement des opinions publiques, c'est ce qui la rend profondément originale : sa dimension historique ne figure ni dans l'histoire, ni dans le souvenir des historiens. Si nous ne parlons pour le moment que de la Tunisie et de l'Egypte, ce sont les innovations et non les répétitions qui éblouissent notre regard. Ce n'est pas tous les jours qu'une armée refuse de tirer sur le peuple, surtout dans le cas de l'Egypte, lorsque cette armée est l'une des plus puissantes d'Afrique. Et puis il y a cette jeunesse, fière, innombrable et dont la marche est irrésistible. Jamais autant de jeunes ne se sont mobilisés et politisés dans un refus de l'autorité qui n'est motivé au départ ni par la haine de l'Occident ni par celle d'Israël. Au Caire, ils ont transformé une chanson égyptienne qui se termine par « Heureusement il y a l'islam » en « Heureusement il y a la Tunisie » Et ces jeunes ne sont pas conduits par un « surhomme » de type Nasser ou par un imam de type Khomeini. Ensuite, il y a la méthode de communication, à savoir Internet. Ces jeunes savent mieux s'en servir que leurs ainés et ils réussissent mieux à s'atteindre, à s'informer, à transformer leurs humeurs individuelles en consignes collectives. Autre élément : ces peuples en colère étaient jusque là gouvernés par des despotes indélogeables qui n'avaient pas la légitimité que procurent aux rois la monarchie ou l'Eglise mais seulement celle qu'ils ont obtenue par des élections truquées ou contestées. Enfin, ils vivent dans des pays de plus en plus pauvres où la richesse est de plus en plus ostentatoire. Les médias télévisuels ne cessent d'afficher les images du luxe dans lequel baignent les nouveaux riches. Toutes ces données n'ont rien à voir avec l'arabisme ou l'islamisme. C'est pourquoi il faut les étudier sous l'angle de leur contagion possible dans n'importe quel pays. Demeurons en Egypte, où les événements sont le plus explosifs : 80 millions d'habitants s'entassent dans un territoire plutôt étroit puisqu'il n'est habitable que dans le delta du Nil et le long des rives de ce fleuve. Le tourisme y fait vivre relativement bien au moins cinq millions de ces habitants. Le pays n'est pas gouverné par un monstre. Il n'y a pas, comme en Tunisie, une famille dirigeante de voyous et de voleurs de grand chemin. Les fonctionnaires n'y sont pas plus corrompus que dans bien d'autres pays du monde, mais ils le sont en effet, ce que les jeunes supportent de moins en moins parce qu'ils sont jeunes et parce qu'ils sont pauvres. Sur Moubarak, cependant, mon ami Jean Lacouture me demande de pas oublier qu'il a normalisé les accords qu'Anouar-El-Sadate avait signés avec Israël et qu'il a joué un rôle essentiel dans la recherche de liens entre les forces de paix palestiniennes et israéliennes. Mais comme bien d'autres, il s'est accroché trop longtemps au pouvoir, il s'est fait plébisciter par des élections trop insolemment truquées et il a prétendu désigner son fils comme son successeur. Bien que les situations soient partout différentes, des mouvements populaires pourraient ébranler ailleurs les régimes en place, par exemple au Yémen ou en Jordanie. A chaque fois, en Tunisie comme en Egypte, on ne peut éviter ce problème obsessionnel du péril islamiste. Le leader Rached Ghannouchi, revenant de son exil londonien, a été triomphalement accueilli à Tunis et les contre-manifestations préparées par les femmes n'ont pas eu le succès espéré. Ce triomphe, il est vrai, n'a concerné que quelques milliers de Tunisiens .Mais son parti, l'« Ennahda », est bien structuré parce qu'il a des souvenirs anciens et parce qu'il a une idéologie religieuse unitaire. La Tunisie, cependant, a changé. Rien n'indique, au moment où j'écris, que les femmes tunisiennes accepteraient d'être dépossédées de leur statut d'égalité avec les hommes. Rien n'indique non plus que les nouveaux islamistes ne trouveraient pas des formules pour rendre cette égalité compatible avec la loi coranique. Il est d'ailleurs important de noter que Rachid Ghannouchi a cru devoir déclarer, pour la première fois, qu'il n'était opposé ni à l'égalité des sexes ni à la liberté de culte. Il dit de ne faire confiance qu'à la démocratie car c'est elle qui lui a permis de revenir. Si bien qu'avec la concurrence des partis et la compétition des idées, la force reconstituée de la centrale syndicale et la garantie de l'armée, je fais le pari, peut-être risqué, qu'il n'y aura pas de retour massif ni dangereux d'un islamisme à l'ancienne en Tunisie.
Il n'en va pas de même pour l'Egypte et c'est ce qui fait peur à tout le monde. Tout simplement parce que les Frères musulmans y occupent une place éminente. Depuis l'arrivée au pouvoir de Nasser, l'armée et les militants de l'arabisme les ont persécutés mais sans jamais réussir à les écraser. Et cela parce qu'ils représentent une tradition respectée, servie par de fortes personnalités, et que les élites égyptiennes se sentent coupables d'avoir permis à leur gouvernement de faire la paix avec Israël. Reste qu'il faut constamment corriger ce passé à la lumière des données que j'ai évoquées plus haut. La jeunesse égyptienne d'aujourd'hui n'est plus aussi disponible pour la religion musulmane lorsque celle-ci fonctionne comme une idéologie autoritaire et obscurantiste. M. Tariq Ramadan, bien placé pour le savoir, peut nous faire observer que les Frères musulmans montrent aujourd'hui qu'ils peuvent s'adapter jusqu'à donner l'illusion du progressisme. Ce pays éminemment symbolique est terriblement important pour l'ensemble du Proche -Orient. D'où l'émotion et l'embarras de Américains. J'y reviendrai plus loin.
Le problème se complique encore depuis que l'on attend une victoire décisive du Hezbollah au Liban, qui ne peut que renforcer l'influence iranienne au c'ur du Proche-Orient et aux frontières d'Israël. C'est ce que les Egyptiens comme les Israéliens redoutaient le plus. Et nombre de diplomates arabes semblent impressionnés par la personnalité du chef du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah. L'un des grands échecs de la stratégie israélienne au Liban, qui met en cause ses meilleurs généraux, aura été de n'avoir su ni prévoir ni éviter la constitution d'une telle force islamiste. Or, si l'on est en droit de penser que l'islamisme rencontre partout des résistances nouvelles dans les opinions publiques et même dans ce qu'on appelle « la rue arabe », il n'est pas possible de douter du radicalisme des dirigeants iraniens et de leur volonté d'affirmer leur présence grâce au poids de leur influence sur le Liban, sur la Syrie et sur une partie du Hamas. Revenons aux Etats- Unis. L'histoire de leurs relations avec les pays arabes peut parfois se résumer à celles qu'ils ont nouées avec Israël et l'Egypte, deux pays auxquels ils accordent chaque année la même manne financière d'un milliard et demi de dollars en aide militaire ou autre. On peut avoir une idée de l'importance stratégique de l'Egypte en affirmant que les Etats-Unis n'auraient pu livrer les guerres qu'ils ont livrées en Irak sans la possibilité d'acheminer le pétrole par le canal de Suez. Sans doute l'armée égyptienne est-elle la plus puissante du monde arabe, mais les Egyptiens, ne disposant pas aux Etats-Unis d'un lobby comparable à celui des juifs américains, ils sont beaucoup plus dépendants qu'eux, de Washington. On peut dire que les chefs militaires égyptiens sont des alliés plus ou moins inconditionnels des Etats-Unis, alors que, pour le malheur de tous, les dirigeants actuels du gouvernement démocratique d'Israël se sentent en mesure de défier Obama. Nous avons déjà écrit ici que Benyamin Netanyahu peut se flatter d'avoir efficacement saboté les nombreuses initiatives du président américain en faveur de la paix. Et aujourd'hui, les Israéliens ont tout à craindre d'un changement d'orientation des successeurs de celui que les Egyptiens invitent, en français, à « dégager », Hosni Moubarak. Les Américains ne peuvent se permettre d'accepter la déstabilisation d'une région dont ils entendent garder le contrôle. C'est si vrai que, tout récemment, un spécialiste flegmatique des questions de géopolitique posait dans le « New York Times » la question de savoir si la démocratie, qui fait partie des principes fondateurs des Etats-Unis et de l'Occident, était forcément souhaitable dans cette région. « Tout ce que nous avons fait de pacifique au Proche-Orient, écrivait-il, nous l'avons fait avec des despotes, notamment avec Anouar El Sadate et le roi Abdallah de Jordanie ».
J.D.
P.S. - Je voudrais donner ma position sur deux questions qui ont agité, ces dernières semaines, notre société intellectuelle et politique. 1. Fallait-il accorder à l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, à l'occasion du cinquantenaire de sa mort, une place dans l'ouvrage consacré chaque année par le ministère de la Culture aux « Célébrations nationales » de l'année ? La question eut gagné à être posée par ceux des historiens qui ont eu la charge d'établir la liste des personnalités à y faire figurer. Le talent, certains iront jusqu'à dire le génie, de Louis-Ferdinand Céline comme écrivain n'est pratiquement plus discuté par personne, en tout cas par aucun écrivain français ou étranger qui ait une autorité internationale. Il est même courant d'entendre dire que si l'on s'abstenait d'évoquer dans notre patrimoine les noms de Céline et de Proust, on décapiterait la littérature française du XXème siècle. Ajoutons que toutes les ?uvres de Céline sont ou seront publiées dans La Pléiade ce qui constitue la consécration la plus prestigieuse, qu'elles soient diffusées dans tous les publics et qu'elles figurent dans les manuels scolaires. Les thèses sur Céline n'ont jamais été aussi nombreuses. La question est de savoir s'il convient d'y ajouter une célébration qui ne ferait pas l'impasse sur le caractère infâme, abject et déshonorant des écrits antisémites qu'il a publiés, y compris dans le moment même où il savait que les juifs étaient déportés en Allemagne pour y être gazés. Poser la question comme je viens de le faire, c'est y répondre. Même les admirateurs inconditionnels de Céline ne devraient pas souhaiter une telle célébration.
2. On sait qu'un conflit est né à partir du moment où, avec semble-t-il la caution de Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur, Mme Monique Canto-Sperber, directrice de l'Ecole Normale supérieure, a interdit qu'une réunion eût lieu rue d'Ulm autour de Stéphane Hessel et en solidarité avec les Palestiniens. Les protestations contre cette décision ont été véhémentes. Stéphane Hessel et Régis Debray ont publié un texte convainquant et mesuré sur ce qu'ils s'apprêtaient à dire au cours de la réunion si elle n'avait pas été interdite. Il n'est pas sûr, cependant, que ce texte aurait suffit aux organisateurs. Monique Canto-Sperber a répondu dans un long article du « Monde » avec des arguments qui méritent l'attention et l'examen. Si on la comprend bien, on lui a présenté ce meeting de solidarité comme un colloque où la contradiction eût été admise, et lorsqu' elle s'est aperçu qu'il s'agissait d'une réunion de militants pro-palestiniens pouvant susciter des contestations, elle a proposé un autre local à l'extérieur de l'Ecole Normale Supérieure. Tout son exposé aurait été d'avantage concluant s'il avait contenu cette seule phrase : « Je déplore vivement que le président du Crif ait affirmé sa fierté d'avoir arraché aux autorités une décision que j'ai prise seule, sans entendre parler de Richard Prasquier une seule fois et sans que les personnalités dont il invoque la caution aient pris le moindre contact avec moi. Ni Alain Finkielkrault, ni Bernard-Henri Lévy et encore moins Richard Prasquier lui-même, qui les invoque, ne m'ont adressé la moindre demande ». Pourquoi Monique Canto-Sperber n'a-t-elle pas osé formuler une telle vérité qui découle de son auto-défense indignée et qui eût été à son avantage ?
| Membre Juif.org
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