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Blog : Carnets d'actualité

Un nouveau Moyen-Orient

 

L'évolution de la situation en Tunisie et surtout en Egypte fait trembler une partie du monde. Après l'expulsion de Ben Ali et celle de Hosni Moubarak - quand elle aura eu lieu -, rien ne sera plus comme avant. On comprendra donc que je me soucie peu des déplacements en avion privé de Mme Alliot-Marie. Eussé-je été de ceux qui demandent aux ministres leur démission, c'eût été surtout, pour ce qui la concerne, parce qu'elle me semble ne rien comprendre à sa mission. Ce n'est pas la première fois que nous avons quelqu'un d'un peu «égaré» au Quai-d'Orsay' Ce n'est pas une raison pour s'y résigner. Mais passons vite.

Galopons, même, lorsqu'il s'agit du «silence» que l'on reproche à certains «intellos», lesquels n'ont jamais autant parlé ni de manière aussi péremptoire. J'avoue que pour nous qui, depuis le début, clamons notre enthousiasme devant la nouvelle révolution arabe, je trouve cela plutôt insupportable. D'autant que, après tout, un intellectuel, ce devrait être tout simplement quelqu'un qui se sert de son intellect pour essayer de comprendre et de faire comprendre. Et je veux à ce propos signaler une remarquable tribune publiée dans «le Monde» du 6 février par le professeur Gilles Kepel, qui met enfin les choses à leur place, telles au moins que nous les avons nous-mêmes pensées et vécues sans disposer de son érudition.

Résumons. Il y a en Egypte trois forces :

la première, c'est le peuple aux mille visages, sans cadre, merveilleusement spontané dans sa soif de liberté et dont le soulèvement a tout déclenché.

La deuxième, c'est l'armée, épine dorsale du régime, loyaliste par fonction et dont

on ne sait pas si, en refusant de tirer sur le peuple et en affectant de prendre des distances à l'égard du raïs, elle n'a pas été en réalité complice de Moubarak lui-même. Le raïs, les généraux et les Américains ont tout fait pour gagner du temps, et c'est terrible car chaque jour qui passe renforce le camp des religieux.

La troisième force, enfin, ce sont les Frères musulmans, structurés, toujours persécutés mais tolérés et chaque fois renaissants. Ils ont jadis tenté d'assassiner Nasser, et réussi à le faire pour Sadate. Le formidable mouvement de la jeunesse les a fait évoluer. Ils veulent bien aujourd'hui défendre les droits de l'homme, mais en y ajoutant les devoirs de l'homme musulman. Minoritaires mais représentant un tiers des 80 millions d'Egyptiens, ils contrôlent à peu près toutes les organisations caritatives, de même que celles de la société civile : professeurs, médecins, avocats, ingénieurs... Interdits dans la vie politique, ils s'y sont réintroduits en douceur. Si bien qu'aujourd'hui on ne peut rien faire sans eux et qu'après de

longs pourparlers secrets les Américains ont autorisé les responsables du nouveau pouvoir, encore liés, d'ailleurs, à Hosni Moubarak, à traiter avec eux. C'est un coup de théâtre programmé, c'est-à-dire que c'est énorme mais que c'était attendu.

 

On ne connaît pas encore le résultat des négociations avec les Frères Musulmans. Il leur faut employer un langage qui concilie la revendication de la liberté et l'affirmation de la foi, le désir d'une Constitution démocratique et la détermination à imposer la charia. Ils ont

approuvé les cérémonies religieuses faites pour la première fois en commun entre musulmans et coptes. C'est une façon de condamner solennellement le massacre des chrétiens dans une église du Caire par des «fanatiques» musulmans qui étaient peut-être des leurs. En tout cas, ils viennent d'être promus interlocuteurs du pouvoir et des Etats-Unis. Et cette promotion est désormais irréversible.

Nulle part et dans aucun domaine il ne faut oublier les intérêts américains. Barack Obama et Hillary Clinton ont navigué avec prudence et habileté avant de se rendre compte qu'ils devenaient obligatoirement les parrains d'un compromis d'où les Frères musulmans pourraient un jour sortir vainqueurs. Et ils ont dû se poser les mêmes questions que les Israéliens et les Palestiniens de Mahmoud Abbas : la transformation du soulèvement du peuple égyptien en un mouvement islamo-républicain, comme c'est le cas en Turquie, peut-elle être un moindre mal' Ou faut-il déjà redouter un processus iranien à l'issue dela révolution égyptienne'

Pour répondre d'abord à la deuxième question, il faut rappeler que si, en 1979, la révolution de Téhéran a commencé par la tentation d'installer une république laïque, le processus qui a conduit à un Etat théocratique et au règne des ayatollahs et des mollahs s'est révélé implacable. Et cela parce qu'il y avait en Iran une force inconnue ailleurs, celle d'un clergé puissant, structuré et cimenté par une foi incontournable. Il y avait aussi et surtout un leader, l'ayatollah Khomeini, vénéré comme un saint et qui incarnait la nation. La situation en Egypte est toute différente et les experts dont j'écoute les analyses sont convaincants lorsqu'ils écartent l'« éventualité iranienne'» qui terrifie non seulement les Israéliens mais plusieurs grands Etats arabes.

Resterait donc la perspective «islamo-républicaine» cautionnée par les Etats-Unis, lesquels continueront de verser leur milliard et demi de dollars par an, de garantir la liberté de navigation sur le canal de Suez et de protéger le tourisme. Sans doute tout est-il toujours plus compliqué et est-il trop tôt pour négliger la force de résistance que pourra opposer le grand mouvement populaire et laïque qui incarne l'espérance. Mais on peut spéculer avec réalisme sur les conséquences des compromis en cours. J'en parle avec Lakhdar Brahimi, ancien secrétaire général adjoint des Nations unies et ancien ministre algérien des Affaires étrangères. Selon lui, si l'on accepte de négocier avec les Frères musulmans, il sera difficile de refuser de négocier avec leur réplique palestinienne, le Hamas. Et dans ce cas, les autorités de Gaza auront des chances de devenir des négociateurs virtuels des pourparlers de paix avec Israël. C'est-à-dire que le président Mahmoud Abbas finirait par perdre sa légitimité à Ramallah. Audacieuse spéculation.

Davantage : si les Palestiniens étaient à nouveau unis et soutenus par un nouveau pouvoir égyptien, les Israéliens pourraient difficilement refuser de remplir les conditions mises à une reprise des pourparlers sur la création d'un Etat palestinien. Quant aux Etats-Unis, ils ne peuvent que rêver d'un ensemble qui serait constitué d'une Egypte dont l'islam serait modéré, d'une Palestine réunie et d'un Etat d'Israël formant bastion contre l'Iran. Conjectures' Tout devient aujourd'hui possible, y compris l'impossible, c'est-à-dire qu'un grand mouvement de la jeunesse israélienne et de ses élites mette en cause la tragique irresponsabilité de leurs dirigeants qui, après s'être opposés au plan arabe de 2002 puis avoir saboté le plan de Barack Obama de 2009, ont refusé les concessions faites par les Palestiniens au cours des négociations secrètes. Je l'écrivais au début de cet article, l'évolution de la situation en Egypte peut bouleverser l'ordre d'une partie du monde.

Je ne veux pas terminer sans revenir à cette Tunisie qui m'a inspiré des élans jugés parfois trop lyriques. Je serais désespéré que ses divisions liées aux difficiles problèmes de la transition démocratique n'altèrent une exaltante image. Rappelons que toutes les conditions sont réunies, dans l'Etat fondé par Habib Bourguiba, pour reconstruire une démocratie moderne. Les syndicats ont une longue tradition de lutte. Les classes moyennes sont nombreuses et responsables. L'armée est au service du peuple. Il n'y a pas de clergé. La capacité d'offrir aux déshérités qui ont déclenché les révoltes contre la misère une série de réformes sociales et urgentes est à prendre au sérieux. La possibilité d'établir un Etat de droit, avec élections libres, séparation des pouvoirs et laïcité de la Constitution, est si réelle que les islamistes du mouvement Ennahda s'imposent une habile prudence. Au mieux, ils se réclament du parti islamo-démocrate turc AKP de Tayyip Erdogan. Pour les 10 millions de Tunisiens, rien ne va être facile mais tout est possible. C'est d'ailleurs en quoi on ne peut pas parler encore de modèle tunisien.

J. D.

 

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 24 minutes