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Blog : Communautarisme.netEntretien de Julien Landfried à la revue Humanisme : Non au communautarisme
Non au communautarisme, Entretien de Julien Landfried à la revue Humanisme (revue des Francs-Maçons du Grand Orient de France), n°278, septembre 2007, pages 9 à 15.
Voilà déjà quatre ans que l'Observatoire du communautarisme publie sur l'Internet des analyses de chercheurs et d'intellectuels sur le communautarisme, la laïcité, les discriminations et le racisme. Après la réussite de ce site exemplaire, Julien Landfried, son cofondateur et directeur, passe pour la première fois à l'essai avec Contre le communautarisme (Armand Colin, 2007). A lire d'urgence pour faire le point et méditer en ces temps difficiles.
Humanisme : Quel est le but de cet essai, parallèlement au travail de l'Observatoire du communautarisme ? Julien Landfried : Le but était de proposer une synthèse sous la forme d'un livre, mieux adapté pour des textes plus longs. Le problème du site internet de l'Observatoire du communautarisme (www.communautarisme.net), c'est qu'il a accumulé un grand nombre de ressources sur quantité de sujets sans nécessairement fournir une matrice permettant de comprendre la cohérence de l'ensemble. Pour les lecteurs assidus, pas de problème certes. Mais pour les autres, il fallait lever les ambiguïtés, dissiper les malentendus, revenir sur plusieurs interprétations erronées de notre travail. Ce livre vise, disons, à la formation et à l'intervention critique, et il vise celles et ceux qui ont un certain engagement politique. Humanisme : Est-ce aussi une manière de faire un bilan ? Julien Landfried : Oui. L'Observatoire a accompli un travail considérable : près d'un millier d'articles en ligne. Nous étions d'abord dans cette logique de production, d'où trois ou quatre articles proposés par semaine. Or, sur différents sujets, nous avons déjà publié les textes les plus significatifs, le site se présentant comme une école de formation en ligne, assortie d'une dimension spécifiquement polémique. Nous avons par conséquent fait le tour de plusieurs questions : par exemple, en matière de discrimination positive, nous proposons presque toutes les ressources critiques en langue française. Il fallait passer à autre chose. En novembre 2006, le colloque que nous avons organisé au Sénat avec le Comité Laïcité République (« La République face aux communautarismes ») en était l'illustration : il tendait à nous conférer une autre stature, tout en nous permettant de rencontrer notre public physiquement. Le livre a un impact beaucoup plus important que le site sur un public très ciblé et très militant. L'objectif était d'être lu par des personnes engagées dans des responsabilités politiques ou intellectuelles. Humanisme : Quel est l'apport de l'Observatoire à cette synthèse ? Julien Landfried : Un double apport. D'une part, avec la dimension visible de l'Observatoire : le site internet. D'autre part, avec sa dimension invisible : grâce à l'accumulation des lectures, la multiplicité des rencontres ainsi que l'ensemble des correspondances privées. D'où, en définitive, un gros travail de conceptualisation, de clarification et de vulgarisation et que, d'ailleurs, j'ai dû poursuivre et que je poursuis à l'occasion de la présentation même du livre. Humanisme : Pourquoi ce titre ? Julien Landfried : Je ne suis pas très satisfait du titre. J'aurais préféré intituler cet essai Du communautarisme, ce qui aurait été à la fois plus universitaire et plus neutre, et moins « bêtement » réactif. Mais le titre choisi a le mérite d'être directement identifiable et d'ailleurs beaucoup, quand on leur parle de l'Observatoire et quand ils s'interrogent en matière de communautarisme, se positionnent pour ou contre. Preuve que le positionnement a son importance. Humanisme : Se positionner en s'opposant ? Julien Landfried : Oui. La création de l'Observatoire s'est soldée par la volonté de rompre avec les pratiques militantes ou associatives des milieux républicains, parce qu'elles n'étaient pas tournées vers la production mais plutôt vers le côté groupusculaire et nombriliste, en additionnant les pétitions de principe… Il fallait en finir avec cet héritage du militantisme de gauche des années 1960 et 1970, car les gens se moquent aujourd'hui des « J'accuse ! » à la Zola. Premièrement, n'est pas Zola qui veut ! Ensuite, il s'agissait surtout de nommer l'adversaire et non de se payer de mots. L'Internet s'est présenté comme particulièrement adapté pour présenter une bonne bibliothèque républicaine, diffuser des idées, polémiquer, contourner la « censure » de la presse et faire avancer la réflexion de manière tout à fait autonome. Humanisme : D'où une critique des sciences sociales. Julien Landfried : Je suis consterné par leur niveau en France. Elles se nourrissent de tropismes nord-américains et se caractérisent par des déclarations tout à fait inintelligibles. On importe des lectures nord-américaines, si savantes soient-elles, au mépris de ce qui se passe en France. Une sociologie sérieuse doit décrire son périmètre d'études, énoncer des hypothèses; les valider, etc. : on ne regarde pas la France avec des outils nord-américains et inversement. Il faut une contextualisation historique rigoureuse. Il me semble que cette approche s'est complètement perdue dans les sciences sociales. On passe son temps à importer des interprétations en les calquant sur des réalités qui ne sont jamais tout à fait analysées. L'un des intérêts de notre Observatoire, c'est de donner un volume important de données factuelles, c'est-à-dire qu'on trouve dans la presse, dans les publications ou sur les sites communautaires, et qui sont étonnement absentes de nombreux travaux “universitaires”. Humanisme : Quelle définition donneriez-vous du communautarisme ? Julien Landfried : Il existe plusieurs possibilités de définition. Mais, dans le cadre français, il s'agit de la dynamique créée par la rencontre entre : a) des responsables communautaires (responsables de presse ou d'associations communautaires et, disons, « entrepreneurs » communautaires individuels, lesquels ont une surface médiatique leur permettant de faire avancer leurs idées dans l'espace public, ont des revendications d'ordre politique ou symbolique, ont accès aux médias, ou sont parfois pris dans des jeux financiers avec les pouvoirs publics ; b) des responsables politiques qui cherchent, identifient et sollicitent des responsables communautaires en tant qu'interlocuteurs dans la population quadrillant et segmentant le marché électoral ; et c) les médias, puisqu'un responsable communautaire sans accès aux médias n'a aucune visibilité. En effet, dans le cas français, le responsable communautaire s'appuie sur une base numérique extrêmement faible et, s'il ne dispose pas de médias pour amplifier, voire faire exploser tout rapport avec la réalité, il n'y aura aucune dynamique communautaire. Telle est la situation : non des communautés démographiques fermées sur elles-mêmes (qui peuvent exister à la marge, mais qui caractérisent beaucoup plus les pays anglo-saxons ou l'Allemagne, dont les taux de mariages mixtes sont très faibles), mais bien des entrepreneurs communautaires ayant des revendications et traitant avec les politiques et les médias. Humanisme : Les dernières élections ont-elles joué un rôle particulier en matière de communautarisme ? Julien Landfried : Elles ont obscurci le tableau. Elles ont marqué le retour sur scène de l'idée nationale, notamment avec le candidat Sarkozy qui était jusque-là le spécialiste incontesté de la segmentation du marché électoral par communautés. Par conséquent, la séquence électorale n'a pas permis de mettre en relief les dynamiques communautaristes : comme il s'agit de dynamiques la plupart du temps cachées, se faisant dans l'ombre ou ne donnant pas lieu en tout cas à une grande visibilité, ces dynamiques ont des calendriers politiques différents des calendriers électoraux. Humanisme : Quelles sont les questions qui vous semblent d'actualité ? Julien Landfried : Le travail visant à dévoiler et à dénoncer les stratégies d'organisations communautaires, lui, est déjà bien engagé. Désormais, le combat doit être politique et intellectuel, il doit concerner les partis politiques et notamment la gauche. Prenons le cas des nominations au gouvernement, qui se sont largement inspirées de la politique de discrimination positive. Il faut qu'on ait une Arabe, une Noire, etc., voilà leur esprit et ce indépendamment de toutes compétences, de toute expérience. Rama Yade par exemple, ce n'est plus de la nomination communautaire, c'est de la nomination ethnique. Cette personne n'a rien à son actif, son curriculum vitae est quasiment vierge. Et la gauche, elle, de regretter : ce que la gauche n'a pas réussi à faire, la droite le fait ! Dans quelque temps, on verra mieux que ce qui n'est aujourd'hui qu'une mode n'aura servi à rien. La présence d'une Arabe ou d'une Noire dans un gouvernement ne change absolument rien à la politique… Toute la difficulté du problème, c'est que lorsqu'on commence à s'affaiblir d'un côté, on s'affaiblit partout. C'est ce que j'appelle « la perversion du principe d'égalité » : quand le principe d'égalité s'effondre, les avantages indus réclamés par telle ou telle catégorie sont réclamés par les autres au nom même du principe d'égalité… Souvent, les plus grands adversaires du républicanisme le font au nom du r©publicanisme. C'est au nom de l'égalité qu'on détruit l'égalité. Humanisme : Qu'attendez-vous des nouvelles générations ? Julien Landfried : Je n'attends pas grand-chose des quadragénaires et quinquagénaires qui espèrent être aux commandes. Ils n'ont pas la carrure et la clarté idéologique nécessaires. Je mise plutôt sur la génération des trente, trente-cinq ans qui, la plupart du temps, ont subi les effets de la discrimination positive dans le monde politique - avec la parité, les minorités visibles, etc. - et qui militent pour un retour au républicanisme et à une certaine lutte des classes, puisque les conflits économiques surplombent très largement les discriminations ethno-raciales. Humanisme : En matière de communautarisme, quelle est selon vous la pensée dominante des élites ? Julien Landfried : Cette pensée s'appuie sur le remplacement de la nation démocratique par l'idéal européen comme technostructure, à quoi s'ajoute le remplacement de la matrice marxiste des différences socioéconomiques par celle des différences communautaires. Selon cette pensée dominante, la société n'est plus régie par des conflits de classes, mais par des conflits communautaires. Cependant, dans les élites, il y a des poches de résistance, d'ambiguïté ou d'hésitation. Dans cette configuration, mieux vaut énoncer un discours clair, comme l'a prouvé le travail de notre Observatoire. Humanisme : Et en dehors des élites ? Julien Landfried : En France, la plupart des gens ont intégré l'idée que leurs voisins doivent avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs qu'eux. Cette idée est restée beaucoup plus forte et plus résiliente dans les couches populaires que dans les élites, qui sont travaillées par des idéologies d'importation, par la volonté de casser le lien démocratique avec le peuple, par des stratégies économiques de fuite hors des mécanismes de solirarité nationale (c'est la thématique du chantage à l'évasion fiscale), etc. Humanisme : Condamneriez-vous le personnel politique ? Julien Landfried : Quand je considère ce qu'il est devenu, quel affaissement ! Le problème des jeunes générations tient d'ailleurs à cela : il y a cinquante ans, on disposait de figures d'une certaine étoffe, alors qu'aujourd'hui on les compte sur le doigt d'une main. Pour l'essentiel, le personnel politique n'a d'idée sur rien, ne lit pas et n'a aucune vision. Il est en permanence prêt à des compromis sur des sujets sur lesquels on ne transige pas. Je crois qu'il y a dans le peuple une pratique plus résiliente. Humanisme : N'est-ce pas une position volontariste ? Julien Landfried : Non. Dans les milieux les plus intellectualisés, il y a une mécompréhension complète de l'histoire de France, qu'on réduit à une succession de catastrophes et de massacres, ainsi qu'une mécompréhension complète de notre société, réduite à trois catégories polémiques : primo, les intellectuels de gauche qui sont le bien absolu ; secundo, les immigrés qu'il faut défendre envers et contre tout et, tertio, les autres sur lesquels il faut sans cesse taper. Dans les milieux populaires comme ceux de mes parents, il y a une compréhension beaucoup plus concrète de la République et de l'histoire de France. La France, c'est un certain idéalisme concret. C'est aussi un antiracisme concret. Il ne suffit pas d'être antiraciste par respect pour sa femme de ménage ! Il faut aussi accepter de vivre avec les immigrés. Le grand délire de la gauche actuellement, c'est de pétitionner pour les “sans-papiers” sans être capables de vivre avec eux, c'est-à-dire en ne voulant surtout pas vivre avec eux. Ma position ne résulte donc pas d'un pari. Humanisme : Elle résulte de la conjugaison entre une certaine idée de la République, une certaine idée de la Nation et votre histoire personnelle. Julien Landfried : Oui, l'idée républicaine est la seule qui permette de penser à la fois la méritocratie, l'écart social, la lutte pour l'amélioration de tous, etc. De ce point de vue-là et si on lui associe une certaine idée nationale - l'idée qu'on ne vient pas de nulle part, que nos ancêtres n'ont pas tous été des salauds mais qu'un peu de modestie ne fait pas de mal ! -, il s'agit bien d'une triangulation. Humanisme : Dans ce combat contre le communautarisme, votre indépendance surprend. Que pensez-vous, par exemple, de Caroline Fourest ? Julien Landfried : J'ai lu la plupart des livres de Caroline Fourest et j'ai même été abonné à la revue Prochoix qu'elle co-dirige avec Fiammetta Venner. Sur le fond, je pense que Fourest et Prochoix ne sont pas des républicains. Par exemple, dire que Ramadan est communautariste parce qu'il critique l'homosexualité (comme la majorité des intellectuels affiliés à un courant religieux, quelle que soit sa tendance, et son degré de radicalité) n'a rien de républicain, c'est simplement du gauchisme culturel. Quand on est laïque, on accepte que les personnes de telle ou telle religion aient une pensée religieuse dans leur vie privée : tant que leur croyance ne touche pas au domaine public, elle ne saurait faire l'objet de reproches. Il y a tout un pan très significatif de la pensée de Caroline Fourest qui relève plus du stalinisme de gauche - cette volonté de faire la chasse aux sorcières permanente sur les fascistes potentiels, les homophobes potentiels,… Notre but n'était pas d'établir des listes comme l'a fait Prochoix en dressant celle des maires opposés au Pacs, attitude digne du maccarthysme. Ce progressisme de Fourest et de Prochoix est une des tares de la gauche. De même, Ni Putes Ni Soumises a toujours été une anarque. Je connais la banlieue, j'en suis issu. Je sais que SOS Racisme et Ni Putes Ni Soumises n'existent pas : ce sont des créatures médiatiques. J'ai toujours pensé que les personnes qui étaient à leur tête s'appuyaient sur des structures financées indûment par la République : pour être clair, des machines à créer des emplois imaginaires et qui ne produisaient absolument rien (qui produit le rapport annuel sur le racisme ? Non SOS-Racisme ou les autres associations antiracistes, mais la CNCDH !). Pour moi, Ni Putes Ni Soumises est une machine à créer de l'islamisme politique. Dans un quartier où se trouve un imam intégriste faisant son travail et Ni Putes Ni Soumises, c'est-à-dire des beurettes qui ont envie de passer à la télévision, le choix est très vite fait. Il y a des gens qui seront capables de recruter localement et d'autres qui n'en seront jamais capables. Preuve que le milieu antiraciste est d'une inutilité profonde, il a une matrice intellectuelle globalement identique, mais qui fait des choix tactiques différents. Si d'un côté on donne la priorité à l'antisémitisme et, de l'autre, à l'islamophobie, c'est pour moi exactement la même chose. L'antiracisme authentique, ce n'est pas l'antiracisme de hiérarchisation permanente, de prébendes, de positionnement médiatique, etc. Je ne vois pas d'ailleurs comment on peut travailler avec des associations comme SOS Racisme qui, en dix ans, ont retourné leur veste sur tous les sujets (assimilation, voile islamique, délinquance des jeunes, etc.), ou à l'instar de Ni Putes Ni Soumises : en six mois, Fadela Amara dit qu'elle est contre la loi sur le voile pour déclarer ensuite qu'elle est pour, sans donner aucune explication… Est-ce sérieux sur le plan politique' Avec le recul, l'Observatoire a bien fait de n'être jamais dans une stratégie d'alliance. Pour le reste, étant donné les ruines laissées par la gauche, et qui ont des conséquences sur l'ensemble du spectre politique, il y a encore beaucoup à faire. Propos recueillis par Bertrand Levergeois À LIRE J. Landfried, Contre le communautarisme, Paris, Armand Colin, 2007, 18 €. À CONSULTER Le site de l'Observatoire du communautarisme : www.communautarisme.net Le blog de l'essai : www.communautarisme.net/contre Voir la présentation de la revue sur le site du Grand Orient de France. | Membre Juif.org
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