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Blog : Carnets d'actualité

Sauvetage d'un printemps

Le Point de vue de Jean Daniel

 

1. Résumons : apocalyptique, monstrueuse, dévastatrice, la tragédie tellurique du Japon est le résultat d'une conjonction totalement inédite, celle d'une terrible secousse sismique, d'un gigantesque tsunami et de l'installation des réacteurs nucléaires près du littoral. Mettons sur le compte du destin les deux premiers éléments de cette conjonction. Le troisième met en cause les responsables de ce nucléaire auquel on attribue depuis le début des capacités infinies de nuisance. C'est donc l'homme qui est en cause. Il a oublié Il s'est conduit comme Prométhée qui avait eu l'audace, tant admirée par le jeune Marx, de vouloir dérober aux Dieux leurs secrets, et qu'il l'a payée très cher.

Les spécialistes les plus exigeants admettent que l'on pouvait difficilement prévoir la hauteur sans précédent de la vague du tsunami. Reste que cette vague a déferlé, et que, puisque c'est arrivé, tout peut arriver avec le nucléaire. Faut-il en accepter le risque ? Ne convient-il pas de se convertir enfin à un choix d'énergies plus innocentes ? L'économie, certes en pâtirait gravement dans tous les domaines qui assurent notre aisance matérielle. Mais n'est-ce-pas une occasion de redéfinir ce que l'on considère comme « aisance matérielle » ? Je me souviens du grand débat qu'il y avait eu au  «  Nouvel Obs », en avril 1979 à l'initiative de Michel Bosquet, pseudonyme sous lequel écrivait chaque semaine le philosophe André Gorz.  « Si au lieu de nous fixer sur les techniques lourdes du tout -nucléaire, nous misions sur celles, légères, de l'avenir ? Ce choix n'est pas simplement technique, car l'option du tout-nucléaire implique une société de consommateurs passifs(...) les nucléocrates ont-ils déjà gagné, n'ont-ils pas déjà choisi pour nous « le nucléaire où le chaos » qui deviendrait en cas d'accident « le nucléaire et le chaos » ? En fait, c'était une manière de revenir sur la notion de progrès telle que l'ont définie Eschyle, Joachim de Flore, Condorcet (surtout lui) et Auguste Comte. C'est seulement avec la guerre de 14-18(et ses tranchées), puis avec les génocides et les bombardements nucléaires que l'on a commencé à évoquer  « les illusions du progrès » et à faire le procès des alarmantes conséquences écologiques des avancées scientifiques. Nous en sommes là. Albert Camus, en 1945, après les explosions d'Hiroshima et de Nagasaki, a été le seul observateur à déclarer : « Il y a quelque indécence à célébrer une découverte qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles. »

La maîtrise de l'énergie nucléaire a aboutit pendant la guerre froide aux politiques de dissuasion. Puis moment son l'utilisation pacifique pour la production d'énergie est devenue la panacée, jusqu'au moment où l'on en est venu à s'interroger sérieusement sur cette panacée. On ne peut plus éviter aujourd'hui un débat qui prend une si tragique actualité. Il sera le bienvenu, à la condition de se souvenir que s'il contenait jadis une alerte sur les périls entrainés par la politique du « tout-nucléaire » il n'était alors nullement question de l'incidence d'un tremblement de terre ou d'un tsunami sur l'éventuel contrôle des réacteurs nucléaires.

 

2. Avec la décision prise dans la nuit du 17 au 18 mars, d'empêcher au besoin par la force des massacres des populations civiles en Libye, l'ONU vient pour la première fois d'affirmer qu'il existe bien une communauté internationale. C'est un évènement considérable. Ce que les européens n'ont pas pu faire chez eux, ce que l'OTAN s'est heureusement refusé à faire, les représentants de l'humanité toute entière l'ont réalisé aux Nations Unies. La communauté internationale s'est donné le droit de s'ingérer dans un pays souverain par la force. Elle seule pouvait se donner ce droit. La France ne pouvait pas y prétendre et encore moins avec son allié britannique. « Français et Anglais ?!», me disait un diplomate arabe de Tunis, il ne manquait qu'Israël pour refaire l'expédition de Suez de 1956. Il était essentiel qu'une intervention dans un pays arabe fût approuvé par la Ligue Arabe. C'est ce qu'Alain Juppé a obtenu lors de son voyage au Caire. Il est essentiel qu'une intervention ne portât pas la marque de « l'arrogance occidentale » et que la Russie et la Chine n'utilisent pas leur droit de véto au Conseil de Sécurité. A vrai dire, si ces conditions n'avaient pas été réalisées, il est probable qu'Obama n'aurait pas donné l'accord des Etats-Unis. D'abord parce que les guerres en Irak et en Afghanistan lui suffisent, ensuite parce que son objectif prioritaire est de ne plus jamais opposer les Etats-Unis et l'islam. C'est ce qu'Hillary Clinton a bien marqué lors de ses voyages à Tunis et au Caire. Tout cela constitue un succès dont la diplomatie française avait un grand besoin. A-t-elle perdu du temps ? Je ne lui ferai pas ce procès. Il en fallait beaucoup pour persuader les Russes et les Chinois. S'est-elle prononcée trop tôt ? Je le crains, car la reconnaissance, par Sarkozy, du Comité insurrectionnel de Benghazi a précipité l'offensive de Kadhafi. Mais il n'importe. Une décision humanitaire et musclée prise au nom de l'Humanité toute entière a sauvé d'un massacre atroce et inacceptable une insurrection des jeunes arabes décidée pour défendre les valeurs au nom desquelles l'ONU a été fondé. J'ai cru et redouté que l'ébranlement planétaire provoqué par le désastre de Fukushima, profiterait à Kadhafi en détournant le Conseil de sécurité de s'occuper d'autres choses. Il n'en a rien été et c'est l'une des rares raisons de se réjouir aujourd'hui. Lorsque ces lignes seront publiées, il se sera passé des choses que je ne puis prévoir. Peut-être des combats acharnés, peut-être une résignation à accepter une partition entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque, peut-être une guerre civile opposant les tribus les unes aux autres. Je ne vois pas quelle mauvaise issue pourrait être pire que celle qui aurait consisté à abandonner les insurgés qui ont voulu protéger le printemps arabe.

 

3. C'est une chose que de considérer que le paysage social de la France s'est modifié avec le nouveau spectacle de sa diversité .Les Français d'origine étrangère affichent des différences auxquelles nous devons faire bon accueil , parce que , comme disait François Mitterand «  Ils sont chez eux , chez nous » C'est une autre chose , surtout pour un ministre de l'Intérieur que de déclarer que «  les Français ne sont plus chez eux ».Autrement dit qu'il y a des étrangers qui les ont délogé et que comme ministre il se doit de mettre fin à une situation qui provoque le malaise des « vrais » Français. Mr Claude Guéant a eu tort de prononcer une telle phrase et de flatter un sentiment répandu qui va de l'innocente allergie à la dangereuse xénophobie. Ce n'était pas vraiment à lui de le faire.

 

4. Pour laisser entrer un peu d'oxygène dans ce sombre inventaire, je voudrais saluer l'entrée dans la prestigieuse Pléiade, de l'?uvre de Milan Kundera. Le fait en lui-même m'a procuré une joie et une fierté que je n'hésiterai pas à qualifier de familiale. Mais la façon dont cet homme s'est isolé en refusant les interviews, les émissions de télévision et de radios ou en étant traduit dans près d'une quarantaine de pays, n'a pas fini d'en imposer .J'ajoute que cette nouvelle édition de la Pléiade est une révolution typographique. Il n'y a plus d'appareil critique ni de biographie. Il n'y a que l'histoire des ?uvres. Choisissant Proust contre Sainte-Beuve dans leur fameux débat, condamnant le fait que l'on ait publié des ?uvres de Kafka contre la volonté de leur auteur , s'enfermant dans une ascèse de roman si pur, choisissant, enfin, de protéger son ?uvre plutôt que de vivre sa vie, Milan Kundera donne un exemple intimidant mais aussi déconcertant de la façon dont un écrivain choisit de donner toute sa place à la littérature et à elle seule.

 

 

 

 

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 31 minutes