English Version Force de Défense d'Israel sur Internet
Inscription gratuite
AccueilInfos IsraelBlogs Juifs et IsraéliensVidéo IsraelOpinions : monde Juif et IsraelLe MagTOP SitesLa BoutiqueJuif.org TV

Blog : Carnets d'actualité

Les mots justes

1. Ai-je pris la semaine dernière un risque en commentant le discours de Nicolas Sarkozy devant le Congrès de Washington une nuit avant qu'il ne soit prononcé ? L'expérience n'a pas été trop négative mais Dieu me garde de la renouveler. Le président va-t-il sortir vainqueur des combats qu'il a lui-même provoqués ? Je n'en sais rien, rien de rien et je laisse volontiers aujourd'hui à Jacques Julliard le pari du pronostic.

2. Le service de presse qui organise la promotion du dernier livre du cardinal Roger Etchegaray (1) a eu la bonne idée de nous faire déjeuner ensemble. Une humeur ce jour-là espiègle nous a conduit à faire comme si nous ne nous connaissions pas. Notre première rencontre est si lointaine ! Je l'ai revu pratiquement après chacun de ses voyages. Ils n'en finissaient pas. Partout et notamment en Bosnie, au Rwanda, à Cuba et en Irak. Dans ce dernier pays, il a voulu rester jusqu'au bout. Le pape l'en a empêché. Il avait l'impression de tout savoir sur Saddam Hussein. Puis nous nous sommes revus pendant les années où je jouais, aux rencontres de la communauté Sant'Egidio, le rôle du mécréant de service et celui du juif lié à André Frossard, à Maurice Clavel et au cardinal Lustiger.
A ce déjeuner où une bronchite ajoutait encore à sa pénétration et à sa lumineuse indulgence, Mgr Etchegaray m'a confié qu'il ne réalisait pas son rêve : celui de finir ses jours à Jérusalem, comme le fait en ce moment son grand ami Mgr Carlo Maria Martini, archevêque de Milan, qui eut son heure de gloire aux temps où il était « le progressiste du Vatican ». Il était papabile et tous les jeunes désiraient qu'il fût pape - avant que Benoît XVI ne le devînt. Aujourd'hui, Mgr Etchegaray habite, comme tous les cardinaux en retraite, un appartement du palais Saint Calixte dans le Trastevere.
Le cardinal me demande quel est le défaut dont je souffre le plus dans ma rencontre avec l'autre, à l'âge qui est le nôtre. Il m'embarrasse. Je finis par lui répondre : le ressentiment. Mais c'est sa réponse que j'attends. Et il me dit : « Pour moi, c'est le manque de désintéressement, c'est la présence têtue de l'intérêt. Je ne m'y résigne pas. Alors je m'efforce de chercher le Christ dans chacun et je finis par l'y trouver. »

3. Je suis resté dans un climat religieux en voyant la deuxième partie seulement, hélas ! du documentaire délicat et sensible d'Yves Jeuland sur les juifs en France, inspiré par le livre de Michel Winock (2) dont j'avais moi-même rendu compte ici. Quel plaisir d'entendre Robert Badinter, Théo Klein et tous leurs compagnons parler de manière si juste : c'est cela qui m'a frappé, la justesse des mots qui n'étaient ni au-delà ni en deçà et qui ne venaient à la bouche qu'après une recherche intérieure où un regard promené au plafond. Sur d'autres écrans (dont Public Sénat), Simone Veil fait cela de manière à la fois admirable et intimidante.
Je voudrais évoquer ici deux moments d'émotion. Parlant des victoires d'Israël en 1967, Robert Badinter a confié avec un mélange de culpabilité et d'attendrissement la fierté toute virile qu'il avait alors ressentie. Et comme lui, j'ai connu le temps où les juifs avaient la réputation de ne pas savoir risquer leur vie, affronter la violence, participer aux révolutions ou aux guerres. On avait beau opposer à ces arguments tous les exemples possibles du contraire, et ils sont innombrables, rien n'y faisait. Et au fond de nous-mêmes, nous avions quelque peu intériorisé cette accusation, au point que je connais des amis qui, pendant la guerre, ont perdu la vie pour avoir voulu « en remettre ». L'humiliation ! C'est depuis toujours le sentiment qui m'a paru la source des blessures les plus profondes, des révoltes les plus intenses. Peut-être est-ce pour cela que j'ai mieux compris les Arabes lorsqu'ils ont été soumis, après 1967, à l'occupation israélienne.
L'autre sentiment de complicité, c'est avec Annette Wieviorka que je l'ai éprouvé. Lorsqu'elle a évoqué le fameux discours du général De Gaulle qui contenait la phrase terrible, « Peuple d'élite, sûr de lui et dominateur' », elle a dit que ce qui avait été le plus choquant à ses yeux, c'était que De Gaulle parlât d'un peuple, d'une ethnie, en tout cas d'une communauté. C'est exactement ce que j'ai ressenti et je l'ai alors écrit longuement, ici même. De Gaulle ôtait toute valeur à l'enracinement des juifs en France depuis des siècles et à leur appartenance à son histoire. Nous avons été très solidaires dans cette réaction, Romain Gary et moi-même. Nous ne nous le sommes dit l'un à l'autre qu'après que Gary ait eu un entretien avec De Gaulle. Je ne comprenais pas la réaction de Raymond Aron qui a été retentissante du fait de l'autorité de son auteur et qui est la seule que l'on évoque. Raymond Aron était révolté par la part que prenait volontairement ou non le général De Gaulle à l'antisémitisme éternel et collectif. Aron n'a jamais vraiment aimé De Gaulle. Mais là, je crois qu'il se trompait. Les propos du Général sont certes inexcusables mais la prophétie qui les suit et que l'on évite de citer ? sur les conséquences d'une victoire qui faisait des juifs des « occupants » - est, hélas, incroyablement lucide.

4. Toutes ces femmes et ces hommes ont écrit de beaux livres. Je reviendrai un jour sur ce chef-d'?uvre passé inaperçu, « Ta'ayush », de David Schulman. Il faut prendre le temps de les lire. Il y a, bien sûr, comme toujours, celui de Théo Klein (3), si personnel, si original et, bien que ce soit un petit volume, si imposant. Théo Klein entend distinguer le judaïsme de tout ce qui concerne la Shoah et Israël. Ainsi lui conserve-t-il son miracle originel.
Et puis, il y a le livre de Simone Veil (4). Cette grande dame que l'on ne peut décidément qu'aimer et admirer. En dépit du fait qu'elle a vécu « l'enfer », elle pense qu'il y a parmi les hommes des « justes » qui sont capables du bien. Mais elle n'en continue pas moins de pourfendre Hannah Arendt qui, selon elle, en parlant de la « banalité du mal », a relativisé la notion de culpabilité. Si tout le monde peut faire le mal, personne n'en est vraiment responsable. Or, chère Simone Veil, ce n'est pas cela que dit Hannah Arendt. Simone Veil a eu l'immense mérite de défendre la France contre les accusations israélo-américaines d'avoir toujours été antisémite, et elle a été pour beaucoup dans la promotion des Justes, c'est-à-dire des centaines de milliers de Français qui ont aidé les juifs à échapper au nazisme et au régime de Vichy. Mais tout cela n'est nullement incompatible avec la « banalisation du mal ». Au contraire. Hannah Arendt veut dire que n'importe quel homme est capable de faire le bien autant que le mal. C'est précisément cette liberté qui augmente notre responsabilité lorsque nous choisissons de faire le mal.


(1) « J'ai senti battre le c'ur du monde », entretiens avec B. Leconte, Fayard
(2) « La France et les juifs de 1789 à nos jours », Seuil
(3) « Une manière d'être juif », Fayard
(4) « Une vie », Stock
Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 23 minutes