English Version Force de Défense d'Israel sur Internet
Inscription gratuite
AccueilInfos IsraelBlogs Juifs et IsraéliensVidéo IsraelOpinions : monde Juif et IsraelLe MagTOP SitesLa BoutiqueJuif.org TV

Blog : Communautarisme.net

Catherine Kinztler: «la laïcité engage un modèle politique fondé sur un paradoxe : c'est la supposition de la suspension du lien communautaire qui rend possible la formation du lien politique»

Catherine Kinztler: «la laïcité engage un modèle politique fondé sur un paradoxe : c'est la supposition de la suspension du lien communautaire qui rend possible la formation du lien politique» - © Communautarisme.net
Dans cet entretien à l'Observatoire du communautarisme, Catherine Kintzler, professeur de philosophie à l'université de Lille-III, résume le propos de son dernier essai Qu’est-ce que la laïcité ? (Vrin, 2007), solide réflexion philosophique sur la notion de laïcité. Elle revient également sur la dernière décennie - pendant laquelle on aura beaucoup polémiqué autour de la laïcité, sur le sens d'un engagement ou d'un militantisme laïque, enfin sur la nature du féminisme républicain qu'elle oppose au féminisme essentialiste. Observatoire du communautarisme : Quelle est la thèse centrale de votre essai Qu'est-ce que la laïcité ? (Vrin, 2007) ? En quoi prolonge-t-il vos travaux antérieurs sur le concept et le principe de laïcité ?

Catherine Kinzler :
Je pars dans cet ouvrage d'une distinction que j'ai déjà étudiée auparavant entre tolérance et laïcité et je lui donne un développement philosophique plus large. Le dispositif de pensée est très différent dans les deux concepts et cette différence conduit à réfléchir sur la forme de l'association politique.

A la différence de la simple tolérance, qui pose la question de faire coexister les libertés telles qu'elles sont, les gens tels qu'ils sont, les communautés telles qu'elles sont dans une société donnée, la laïcité construit un espace a priori qui est la condition de possibilité de la liberté d'opinion de chacun. Cela semble très complexe et très abstrait, mais il s'agit tout simplement de construire un espace qui ne se contente pas de prendre en compte les données sociales, qui ne fonctionne pas avec des groupes d'influence. La liberté de chacun est reconnue a priori, pourvu qu'elle reste dans le cadre du droit commun : j'ai le droit d'avoir une religion, de ne pas en avoir, d'en avoir une dont je suis le seul fidèle… Il faut aller jusqu'au comble de l'abstraction pour exprimer cela : dans un Etat laïque, on assure la liberté de chacun, y compris de celui qui n'existe pas, parce que c'est celui-ci qui est le critère de mon droit réel. Cette abstraction est en réalité très concrète : lorsque je m'arrête au feu rouge à 3 h du matin et qu'il n'y a personne de l'autre côté, je respecte le droit d'une personne fictive. Mais cette personne, c'est également moi : je pourrais être là-bas. La laïcité fonctionne un peu comme cela à l'égard de la liberté de croire et de ne pas croire : elle est la condition de possibilité de la tolérance qui règne dans la société civile et elle assure toute liberté d'opinion, pourvu que celle-ci respecte le droit commun. C'est un dispositif aveugle qui ne regarde pas s'il y a telle ou telle religion, telle ou telle opinion, et qui ne se demande jamais si telle ou telle religion, telle ou telle opinion est numériquement importante. On a le droit de croire et de penser comme personne d'autre ne le fait…

On voit tout de suite que le principe de laïcité est fondé sur la priorité absolue du droit de l'individu sur celui de tout groupe. Pour faire respecter mon droit je n'ai pas besoin de m'associer à d'autres pour former un groupe de pression. Non seulement je n'en ai pas besoin, mais aucun groupe en tant que tel n'a plus de droits qu'un individu : le fondement de la décision politique n'est pas dans l'obligation d'appartenance, l'association politique repose au contraire sur la suspension des appartenances, sur la volonté de chaque citoyen. C'est un modèle anti-communautaire par définition. Cela ne signifie nullement que les communautés sont absentes : elles peuvent parfaitement recevoir un statut juridique, mais elles n'ont aucune compétence politique. Je peux appartenir à une communauté, je peux changer de communauté, je peux me soustraire à toute communauté : mes droits restent les mêmes. Pour jouir de mes droits, je n'ai pas besoin de passer par une « minorité » de pression, visible ou pas : je n'ai pas besoin de me constituer avec d'autres en groupe d'influence. Mais bien entendu cela n'est pas interdit ! Un groupe peut essayer de peser sur une décision politique, mais jamais il ne sera reconnu en tant que tel comme faisant partie de l'autorité politique, laquelle ne peut être exercée que par les citoyens et leurs représentants élus.

C'est pourquoi je dis dans mon livre que la laïcité engage un modèle politique fondé sur un paradoxe : c'est la supposition de la suspension du lien communautaire qui rend possible la formation du lien politique. Autrement dit, dans une association politique laïque, la proposition je ne suis pas comme le reste des hommes est non seulement une proposition que chacun peut revendiquer, mais elle est au fondement même de la cité.

En termes philosophiques, on peut dire que la laïcité a pour base une sorte de « vide expérimental » : c'est comme un tube de Newton, on fait abstraction de certaines données pour voir apparaître un principe fondamental. Ici le vide, c'est celui de la croyance et de l'incroyance comme doctrines, comme contenus : la laïcité fait le vide sur ce que nous croyons ou pas, elle dit « la puissance publique n'a pas besoin pour être et pour être pensée d'un quelconque acte de foi ». C'est une position minimaliste.

Cette position minimaliste écarte donc tout contenu doctrinal de croyance (ou d'athéisme) du fondement de la loi : on peut et on doit faire des lois sans avoir besoin de se référer à une croyance quel que soit son contenu. C'est une incroyance formelle : on n'a pas besoin d'être croyant sur la question du lien pour former association politique. Le seul lien nécessaire, le lien politique, n'est pas appuyé sur un acte de foi puisqu'il suppose au contraire que chacun pourra être le plus indépendant possible de tout autre et de tout groupe.

Ici apparaît le noyau philosophique de la laïcité : c'est une association politique qui écarte toute religion civile, qui ne fait pas de la loi elle-même un acte de foi. L'association ne repose pas sur une adhésion dont le modèle est l'adhésion religieuse, mais sur un consentement mutuel garantissant des droits. C'est pourquoi je dis souvent que ce qui est opposé à la laïcité, ce ne sont pas les religions, c'est la partie civile des religions, leur prétention à faire la loi au nom d'une communauté ou d'un ensemble de communautés préconstituées, préalables à l'association politique elle-même. Et j'ajoute : ce qui est absolument contraire à la laïcité, c'est la religion civile, l'idée que la loi doit être acceptée comme une forme de croyance, qu'on doit y adhérer, qu'il faut l'aimer, comme un acte de foi.

C'est pourquoi je suis très critique à l'égard de toutes les déclarations brandissant des « valeurs » comme des dogmes intangibles auxquels il faudrait croire. Les valeurs ne sont que des objets de croyance, elles peuvent être supplantées par d'autres valeurs, par définition les valeurs fluctuent, elles sont sujettes à une mode d'opinion. En revanche, des principes rationnels minimaux n'ont pas besoin d'être traités comme des objets de culte : on les discute, on y consent parce qu'on en établit l'utilité et la nécessité, et on les améliore au fur et à mesure que l'expérience politique s'enrichit. C'est beaucoup plus solide et beaucoup moins dangereux car cela repose sur la discussion. Et puis c'est beaucoup moins pesant : on n'est pas tenu à l'adhésion, on n'est pas obligé de les aimer.

Dans mon livre, je retrace cet itinéraire conceptuel par une séquence de trois grandes références classiques qui ont construit les jalons essentiels en posant et en répondant à la question : « peut-on fonder l'association politique en dehors de toute référence religieuse ? ».

Le mérite de l'avoir posée clairement revient à Locke, grand théoricien de la tolérance. Il répond de manière extrêmement intéressante parce qu'il dégage le problème principal : on peut et on doit rester indifférent à ce que les gens croient, mais on ne peut pas rester indifférent à l'acte même d'adhésion – et il exclut donc les incroyants de l'acte politique parce qu'ils sont incapables d'adhésion. Bien entendu la théorie de Locke est bien plus riche, mais je m'en tiens à cette question qui me semble déterminante.

Une étape supplémentaire va être franchie par Bayle, qui va au contraire penser que les incroyants peuvent être admis dans l'association politique du fait qu'ils ne peuvent prétexter aucune autorité transcendante pour récuser les lois… C'est vrai ! Mais on reste tout de même sur une question de fait « que fait-on de ceux qui ne croient pas ? ».

Il faut attendre la Révolution française et Condorcet pour que la question soit articulée de façon totalement différente : non seulement le fait de ne pas croire n'est pas gênant, mais c'est précisément la non-nécessité de tout lien préalable qui fonde l'association républicaine. On revient donc à la thèse de Locke, mais elle est retournée : ce que Locke pensait être rédhibitoire pour former association, c'est précisément cela qui va être placé au principe de l'association ! L'obstacle (l'absence de croyance à un lien préalable sur le modèle du lien religieux) est transformé en condition de possibilité de l'association politique.

A cela j'ai ajouté une réflexion plus large, débordant le cadre de la stricte philosophie politique, sur les rapports entre la laïcité et une conception de la culture, une façon dont la pensée se rapporte à elle-même et que je rapproche du concept des humanités. Car si on consent à un fondement immanent de la cité, si on s'efforce de la construire sur un socle qui écarte a priori toute référence transcendante, cela met la pensée en relation avec elle-même. Pour construire la cité, la pensée et les efforts humains ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

Cela entraîne une conception critique, une réflexion sur la façon dont la pensée peut et doit elle-même se réfléchir, se corriger, s'améliorer : et cela est inséparable d'une expérience et d'une théorie de l'erreur. Parce qu'elle veut faire l'économie de la transcendance, la laïcité ne peut pas faire l'économie d'une réflexion critique, d'une position critique. Ne pas croire préalablement à un lien, c'est s'obliger à réfléchir au bien-fondé des lois et de tout ce qu'on fait et de tout ce qu'on pense. Il y a un devoir de la pensée à l'égard d'elle-même qui devient virulent dans une association laïque plus qu'ailleurs : je ne dis pas que ce devoir est absent ailleurs et qu'on ne s'en préoccupe pas , je dis que si ce devoir est négligé dans une république laïque, alors celle-ci est en danger.

Les dix dernières années ont été marquées par de vigoureuses polémiques autour de la laïcité même. Le monde intellectuel et le monde politique semblent malgré le vote de la loi du 15 mars 2004 ne pas être « au clair » avec les principes laïques… Quel regard retrospectif portez-vous sur la dernière décennie ?

Pour répondre à votre question, j'ai besoin d'abord de bien préciser les champs d'application respectifs des principes de laïcité et de tolérance. Il résulte de ce qui précède que l'abstention caractérisant la laïcité (minimalisme) s'applique à la puissance publique et à ce qui relève de son autorité : ce qui la représente et agit en son nom ou est investi par elle d'une mission. Là, on observe la réserve en matière de croyance et d'incroyance. Par exemples les instituteurs ne doivent pas montrer s'ils sont ou non croyants, pas plus que les policiers, les juges, etc. En revanche dans la société civile (les lieux publics et les lieux privés) c'est le principe de tolérance qui s'applique, dans le respect du droit commun. Dans la rue, dans le métro, chez moi, dans un hall de gare, un musée, etc., j'ai le droit de manifester ma croyance ou mon incroyance. Cela est réglé par le droit commun (par exemple, une procession, une manifestation, sont soumises à certaines contraintes). Cette articulation entre les deux domaines est vitale : c'est précisément pour que les gens soient libres que la puissance publique s'astreint à la stricte abstention. En dehors de cette articulation, la laïcité n'a plus de sens.

Le principe de laïcité est sur la sellette depuis près de 20 ans : c'est l'affaire dite « du voile » à Creil en 1989 qui a ouvert l'abcès. J'ai alors cosigné en novembre 1989, avec Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut et Elisabeth de Fontenay, l'Appel paru dans Le Nouvel Observateur en faveur d'une interdiction des signes religieux à l'école publique (primaire et secondaire). A l'époque, et cette époque a été close par la loi du 15 mars 2004, on avait affaire à une dérive de la laïcité qui prétendait étendre la tolérance qui règne dans la société civile à une partie de la puissance publique : l'école. Il a fallu, pour que la loi de 2004 soit possible, montrer pourquoi à l'école les élèves aussi sont pris dans le champ de l'autorité de la puissance publique. Cela n'allait pas de soi, il fallait en effet montrer que les élèves sont des libertés en voie de constitution : autrement dit que l'école relève d'un domaine fondateur des droits, et qu'elle n'est pas un lieu de « consommation » ou d'exercice des droits. Cela a été en grande partie démontré a contrario : les affichages ostensibles d'appartenances religieuses rendent de facto impossible l'acte même d'enseignement en abolissant l'espace critique commun dans lequel l'école doit évoluer – et puis cela produisait des affrontements intercommunautaires.

Mais la dérive symétrique existe : vouloir étendre le principe d'abstention à une partie de la société civile, vouloir par exemple interdire les affichages religieux dans un commerce, dans un lieu public comme un restaurant… Cette dérive, que j'appelle « l'ultra-laïcisme », a existé dans l'histoire de la laïcité, elle est restée discrète de nos jours tant que la question de la laïcité scolaire a occupé le devant de la scène. Elle refait surface récemment avec l'affaire dite « du gîte d'Epinal » qui pose la question de l'extension de l'interdiction des manifestations d'opinion religieuse dans un commerce. J'ai pris position très clairement sur cela, et il serait trop long de développer ici tous les arguments (1). En gros je pense que cette extension serait contraire à la finalité même de la laïcité, qui a pour effet de rendre possible la coexistence des libertés dans le cadre du droit commun. Porter un voile ou une croix ou un drapeau noir à la boutonnière dans un hôtel, esquisser un discret signe de croix avant le repas, c'est un droit, je dois pouvoir le tolérer même si ça me choque, même si ça ne me plaît pas (d'ailleurs à quoi bon la liberté si elle ne bénéficie qu'à ce qui a mon assentiment ?). En revanche, faire sa prière à haute voix dans le salon commun d'un hôtel ou imposer la récitation du Benedicite au début du repas dans un restaurant, c'est empiéter sur le droit d'autrui, c'est un trouble à l'ordre public qu'on ne doit pas tolérer.

Ce qui frappe l'observateur aujourd'hui, c'est la faiblesse des institutions d'éducation populaire et le quasi-abandon par une bonne part de la gauche de toute référence à l'école laïque dans son programme politique. En tant que intellectuelle travaillant sur la laïcité depuis de nombreuses années, quel regard portez-vous sur les différentes initiatives prises ces dernières années (pétitions, création d'association, sites internet de réflexion ou plus polémiques) ? Quel équilibre imaginez-vous entre éducation civique à la laïcité, réflexion politique et militantisme laïque ?

Je crois que la seule éducation vraiment efficace à la laïcité, c'est sa pratique réelle d'une part et son explicitation critique de l'autre : il serait contradictoire d'en faire une « valeur », un prêchi-prêcha pour les raisons que je viens d'aborder plus haut. Il s'agit, dans la vie de tous les jours, de faire la démonstration de sa puissance, de son caractère libérateur. Il s'agit, dans la réflexion abordée en histoire, en instruction civique, en philosophie, d'expliquer le concept dans sa dimension critique, de remonter au dispositif de pensée. Cela peut se faire à tous les niveaux, avec des exemples. Mais je ne suis pas favorable à l'idée d'une « foi laïque », cela me semble relever d'une religion civile. Donc tout ce qui permet le débat est bon. Et la pire chose qui puisse arriver à un concept, c'est de devenir évident, c'est de s'assoupir : c'est de ne plus être pensé. C'est pourquoi je pense que ce que nous vivons actuellement est à la fois une épreuve et une chance pour la laïcité : les attaques, les difficultés et les dérives que nous rencontrons sont l'adjuvant le plus efficace pour réveiller la pensée, pour la mettre en demeure de se préciser, de devenir ferme, de ne pas s'assoupir. Et tout ce qui maintient dans notre pays la mixité à tous les niveaux est une bonne chose : mixité des sexes, des origines, des mariages, des habitats, mixité sociale. Tout ce qui maintient ou produit des « ghettos » est mauvais. Le travail accompli par un site comme l'Observatoire du communautarisme est extrêmement précieux parce que vous soulevez constamment les questions relatives à la segmentation de l'humanité, et que vous distinguez parfaitement entre les « communautés » qui peuvent très bien avoir pignon sur rue, et le « communautarisme » qui consiste à prendre appui sur des « communautés » réelles ou fantasmées pour conduire un projet politique, pour fractionner la collectivité des citoyens.

Autour de la question de la laïcité, on a pu voir se recomposer dernièrement le champ du militantisme féministe, la laïcité structurant et divisant tout à la fois le champ féministe. Quelle analyse faites-vous de cette évolution ? En particulier quelle définition donner à un « féminisme républicain » qui s'opposerait au victimisme et à son corrollaire, discrimination positive par la parité, et qui éviterait la récupération par les idéologies inégalitaires travaillant le monde anglosaxon (en particulier l'impérialisme du Bien théorisé par les néo-conservateurs américains), tout en luttant bien entendu contre les multiples assujettissements dont sont victimes les femmes ?

Je suis féministe au sens où je pense que le droit d'une femme quelconque dans une société donnée est la mesure du droit tout court dans cette société. C'est en regardant les droits d'une femme x qu'on peut juger de l'état du droit pour tous : a-t-elle le droit de contrôler sa vie, de s'instruire, de construire sa propre liberté, d'accomplir les actes de la vie politique et civile sans recourir à une autorisation, de jouir de tous les droits dont jouissent les hommes, d'accéder à toutes les responsabilités auxquelles ils peuvent prétendre, de gérer ses biens, de gagner autant qu'un autre à travail égal, de se promener sans craindre le harcèlement, de s'habiller comme elle l'entend, de choisir ou non la maternité, et aussi de se libérer de la « deuxième journée de travail » ? La liste mériterait d'être allongée, mais c'est ainsi que je définirais le féminisme républicain : il suffit de faire un petit exercice de substitution et de se demander si un homme quelconque perdrait des droits en changeant de sexe. D'ailleurs il faut faire l'exercice dans les deux sens – il me semblerait monstrueux qu'on bascule dans un droit de faveur pour « rattraper » les choses. La discrimination positive me semble injustifiable en raison et dangereuse en fait.

La parité est quelque chose d'artificiel et c'est inefficace : en exigeant abstraitement la présence quantitative des femmes dans la représentation politique, on ne fait rien d'autre que de promouvoir les petites bourgeoises et en plus on introduit ce qu'il faut bien appeler un quota, au détriment de la valeur des unes, des uns et des autres. Il serait bien plus efficace et utile de donner un statut plus adapté aux élus, car ce qui éloigne les femmes des responsabilités politiques, c'est avant tout leur deuxième journée de travail ! De plus, en inscrivant la différence des sexes dans la Constitution là où elle était superflue (puisque personne n'est exclu du droit), on a pris un risque de détermination de la loi qui peut ouvrir la porte à des dérives autrement dangereuses. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il y aurait des droits « spécifiques », réservés aux femmes : le droit qui protège la maternité par exemple est le droit de tous. Le droit d'accéder aux soins est le droit de tous. Le droit de ne pas être violé, de ne pas être harcelé, de ne pas être battu est le droit de tous.

Je ne suis pas féministe au sens « essentialiste », parce que je crois qu'on a un sexe biologique comme on est grand ou petit, comme on a la peau claire ou pas, les yeux petits ou grands, clairs ou foncés, le squelette lourd ou léger, l'estomac fragile ou pas, etc… On doit s'arranger avec ça, et la société ne doit pas faire « payer » à quelqu'un le fait d'être grand ou petit, frisé ou non, brun ou blond, mâle ou femelle. Elle n'a pas non plus à le favoriser pour ce genre de chose. Tout ce qui nous échoit sans qu'on l'ait choisi, il faut l'accepter et essayer de le vivre le mieux possible, et ce n'est un malheur que si la société vous en fait grief, transforme cette donnée en destin.

Il faut méditer sur la fameuse prière ancienne par laquelle, dit-on, un Grec devait remercier chaque jour les dieux de l'avoir fait homme et non femme, grec et non barbare, libre et non esclave. On cite souvent cette prière dans les milieux « progressistes » comme le comble de l'abomination alors qu'elle dit une chose très juste et très profonde : le hasard aurait pu faire naître chaque Grec femme, barbare, esclave. Mais, en énonçant chaque division, elle dit en même temps l'unité de l'humanité, elle dit que les femmes, les barbares, les esclaves font partie de l'humanité, et que l'humanité est niée en eux. Alors il faut ici reprendre et transformer cette prière ambivalente. Chacun doit pouvoir se dire : j'aurais pu avoir le bonheur et le malheur de naître avec l'autre sexe (je pense que le sexe qui nous échoit est à la fois une force et un fardeau…), et c'est pourquoi la loi et la société n'ont pas le droit de décider d'avance que c'est un bonheur ou un malheur, que c'est un privilège ou un handicap.

----------
1) Je me permets de renvoyer sur ce sujet à un article publié en ligne : « La laïcité face au communautarisme et à l'ultra-laïcisme » sur mon blog Mezetulle et sur le site de l'Observatoire du communautarisme

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 21 minutes