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Blog : Michelle Goldstein'Porteur de mémoire' : Le livre pour ne plus dormir tranquille.'Porteur de mémoire' : Le livre pour ne plus dormir tranquille. Par Caroll Azoulay pour Guysen International News Comme il est long le chemin qui nous mène à la rencontre des 6 millions. Abrupte et ingrat, il ne fait que nous conduire à de nouvelles incompréhensions. Jonché de questions sans réponses, de douleur, de colère et d'une peine incommensurable, ce chemin-là se transforme quasiment toujours en une impasse. Mais pour tous ceux qui ressentent comme un devoir, le besoin de savoir, aucun mur ne saurait se dresser entre Eux et nous. Au risque de se blesser, à coup de tête s'il le faut, ce mur du silence doit être détruit. Comme il serait injuste en effet, de laisser les victimes de l'autre côté de la barrière sans tenter de partager une infinitésimale partie de leur souffrance. Il faut, il est vrai, un certain courage pour se replonger dans un nouveau chapitre de l'abysse.Nouveau, me demanderez-vous ? Oui le livre du père Patrick Desbois soulève en effet le voile sur une nouvelle Shoah.Dans celle-ci point de chambre à gaz, ni matricule, pas de sélection, ni Kapo. Sorte de génocide annexe, la Shoah par balles dont l'ouvrage du père Desbois révèle l'ampleur, ne fait intervenir 'que' des douilles, des fosses communes, et des meurtres individuels par milliers.Dans ce cimetière géant que représente l'Ukraine, les nazis tuèrent en effet, en les regardant dans les yeux, des femmes tenant des bébés sur leur poitrine, des enfants, des vieillards vacillants, et des hommes nus. Une balle par juif. Une fosse pour des milliers de juifs enfouis à la va vite dans la terre de cette contrée maudite, et précipités dans l'oubli.C'était cependant sans compter l'obstination d'un homme d'église, qui, confronté presque par hasard, à ce chapitre peu connu de l'histoire, eut le désir d'arracher les victimes à l'anonymat.Entre 1941 et 1944, près d'un million et demi de Juifs d'Ukraine a été assassiné lors de l'invasion de l'Union soviétique par l'Allemagne nazie. L'immense majorité est morte sous les balles des Einsatzgruppen (unités de tueries mobiles à l'Est), d'unités de la Waffen SS, de la police allemande et de collaborateurs locaux. Seule une minorité d'entre eux l'a été après déportation dans les camps d'extermination.Connus par les Britanniques et les Américains dès 1941, ces massacres sont partiellement recensés par les commissions soviétiques en 1944-1945. Les principaux auteurs de la 'Shoah par balles' sont jugés lors du procès des Einsatzgruppen à Nuremberg en 1947-1948 et, à partir de la fin des années 1950, en République Fédérale d'Allemagne. Il faudra cependant attendre les années 2004 pour que les morts puissent se faire entendre du plus grand nombre."J'ai toujours entendu mon grand-père, qui avait été capturé par les nazis, dire qu'il avait eu bien plus de chance que d'autres. Durant toute mon enfance, ces 'autres' m'ont toujours intrigué. Qui étaient ils ? Où étaient-ils passés ?" indique le père Desbois.C'est à 12 ans, dans une bibliothèque, qu'il réalise qui sont ces 'autres'. Il découvre pour la première fois dans un 'album' des photographies des camps de concentration des juifs de Bergen-Belsen. "Je me rappelle avoir refermé le livre brusquement et m'être dit : "j'ai tout compris ! J'ai compris le secret de mon grand-père. Les autres ce sont les juifs !"."Depuis" explique t-il dans son livre, "je pense avoir toujours cherché à comprendre ce qui s'était passé là-bas, ce drame dont mon grand-père avait été un des témoins forcés.Des témoins forcés de l'innommable, il en rencontrera des centaines, à qui inlassablement il posera les mêmes questions afin de retracer le martyr des juifs d'Ukraine.Nommé, Directeur du Comité Épiscopal pour les Relations avec le Judaïsme, le père Patrick Desbois, entame en effet dès 2003 une enquête dont il ignore encore la portée.Patiemment, et dans des conditions extrêmement difficiles, il sillonne l'Ukraine pour recueillir les précieux témoignages de ceux qui ont "vu".Adolescents et enfants pendant la guerre, "ils ont été réquisitionnés par l'occupant nazi pour creuser une fosse ou la combler". Aujourd'hui ils sont des "petites gens rencontrées à la sortie d'une église greco catholique dans un village de Galicie". Ils "n'existent nulle part, ni dans les rapports officiels, ni dans les archives allemandes ou soviétiques. Tout au plus on les évoque en employant la forme passive : "les corps ont été évacués, les fosses ont été creusées, les vêtements ont été emmenés". Mais par qui ? Ils étaient le tiers invisible. Ni victimes ni coupables seulement là" constate le père Desbois.- Comment vous appelez-vous ?- En quelle année êtes-vous né ?- Où étiez-vous pendant la guerre ?- Qu'avez-vous vu ? - Que s'est il passé ?- Les gens descendaient-ils directement dans les trous ou se deshabillaient-ils avant ?- Les gens ont-ils été fusillés de dos ou de face ?- Combien de temps cela a-t-il duré ?- Compreniez-vous que l'on était en train de tuer des enfants ?- Recouvrait-on les corps de terre ?Les questions heurtent, les réponses encore plus, mais, explique le père Desbois, "grâce à ces témoignages nous accédons au quotidien des tueries"."Les objets réveillent la mémoire du témoin" rapporte le père Desbois."De nombreux éléments que je connais bien déclenchent les souvenirs et fonctionnent comme des 'passeurs de mémoire'. Les figures du village, les chevaux, les chariots (qui convoyaient les juifs vers les fosses N.D.L.R.) [?] les saisons des cultures, le froid, la neige, les repas, l'écurie, les pelles (qui servaient à recouvrir les corps de terres NDLR) les couleurs, les odeurs etc."La patience et l'impartialité du père Desbois peuvent parfois heurter. Ces témoins ne sont-ils pas des complices ? Ne cachent-ils pas des méfaits perpétrés sur ces juifs qui n'ont jamais été véritablement acceptés par les Ukrainiens, accoutumés des pogroms et des viols sur la population juive ?Le père Desbois ne répond pas.Il évoque cependant ce dilemme dans son chapitre traitant des réquisitions : Ivan Lichnitski, un témoin alors âgé de 16 ans au moment des faits avoue que son frère a été contraint de tuer deux juifs qui tentaient de s'échapper. Réquisitionné par la gendarmerie, Ivan Lichnitski raconte avoir été prévenu que si un juif s'échappait les 'gardiens' seraient eux même fusillés.-"J'ose la question interdite" explique le père Desbois. "Est-ce qu'il y a des juifs qui ont tenté de s'évader ?" -Ivan Lichnitski : "Oui, deux juifs ont essayé de s'évader, mon frère à dû les tuer"."Le malaise est palpable" reconnaît le père Desbois. "Dans ce cas la frontière entre réquisitionné et culpabilité est bien mince".De façon récurrente, les témoignages de ces fermiers et agriculteurs font souvent état de la mort devant leurs yeux d'un ami d'enfance ou d'un copain de classe, d'une "famille que mes parents connaissaient bien"?Un souvenir atroce avec lequel a par exemple vécu Petrivna, une gamine ukrainienne qui a vu sa copine de pupitre, arriver nue devant la fosse, et se faire fusiller. Réquisitionnée avec une trentaine d'autres adolescentes ukrainienne, Petrivna a ensuite été contrainte de descendre dans la fosse pour tasser, à pieds nus, les corps des juifs, et jeter une fine couche de sable dessus, afin que d'autres victimes puissent s'allonger pour y être abattues."Au cours d'un entretien, nous sommes souvent confrontés à l'horreur" affirme le père Desbois."Il faut accepter d'entendre l'innommable. Il faut surmonter le dégoût provoqué par des récits d'un sadisme sans fin. Parfois nous sommes obligés de nous arrêter au milieu d'un entretien tellement l'horreur dépasse l'entendement. Il faut se calmer reprendre son souffle, s'extirper du récit se détacher des obscénités faites aux femmes et aux enfants".Et tout cela au nom de la mémoire des victimes, qui sans ces témoignages, ne pourraient 'raconter' leurs souffrances indicibles.Alors bien sûr, et comme après chaque nouvelle découverte des monstruosités perpétrées par les Allemands, on se demande comment croire encore à cette humanité capable du pire.Le père Desbois, confronté de plein fouet avec les détails du génocide, livre une vision philosophique et empreinte d'une profonde tolérance face à ce questionnement légitime :"Je suis convaincu qu'il n'y a qu'une espèce humaine qui fusille des enfants de deux ans et qui est fusillée alors qu'elle a deux ans. J'appartiens à cette espèce humaine pour le meilleur et pour le pire".Mais précise t-il : "plus nous étudions le génocide des juifs, le comportement des nazis des collaborateurs, des curieux, des passifs ,ceux que l'on assassine pour rien, plus nous nous rendons compte que croire en l'espèce humaine est une responsabilité lourde et une réalité à construire. Il ne suffit pas de l'affirmer, de le proclamer, il faut réellement s'engager dans un travail d'éducation de la conscience, car, apparemment, la conscience est un bien fragile".Récit autobiographique, l'ouvrage de Patrick Desbois est un texte à la fois sensible et inédit sur son parcours, ses travaux en Ukraine et la Shoah oubliée. Articulé autour d'une vingtaine de chapitres et une trentaine de témoignages in extenso, il comprend également des photos exceptionnelles de témoins, de lieux et des preuves retrouvées par l'équipe du père Desbois.Ce livre est un livre sans complaisance. Adouci par les seules reflexions du père Desbois, lequel nous accompagne avec pudeur tout au long de cette terrible enquête, 'Porteur de mémoire' nous invite à ne pas détourner le regard du supplice méconnu enduré par nos frères juifs ukrainiens. Même si, comme le confirme le père Desbois : "le plus difficile dans l'appréhension et la connaissance personnelle d'un génocide est d'accepter de savoir".Il ne s'agit pas de rester dans des impressions, des haut-le-c'ur, et encore moins de demeurer figé dans l'effroi. L'effroi fait partie de la stratégie des génocidaires, qui comme les prédateurs, mettent en place des stratagèmes pour pétrifier leurs victimes avant de les tuer. [?] Lorsqu'une famille d'un kolkhoze juif était conduite au pas de course au bord d'un puits d'irrigation profond de 70 mètres pour y être jetée, elle était tétanisée par la peur.Soixante ans plus tard, si nous entrons dans l'effroi à l'évocation d'un génocide, à la lecture d'un livre, à la vue d'images d'archives, à la visite d'un ancien camp d'extermination, nous donnons aux génocideurs du IIIe Reich une victoire supplémentaire. L'effroi peut figer la pensée, la conscience et entraver la capacité de demeurer responsable, résistant et fort face aux génocideurs. [?] Eux n'entrent pas dans l'effroi et savent que la plupart des gens ne peuvent, ne veulent pas penser à la potentialité d'un acte génocidaire. L'homme ordinaire souhaite dormir tranquille, or la pensée du génocide empêche de dormir. Le génocideur en est conscient. Il peut ainsi en toute tranquillité mettre en place la machine à tuer en masse à laquelle personne ne voudra, ne pourra croire".Oui c'est vrai, 'Porteur de mémoire', est un livre qui s'adressent à tous ceux qui refusent de dormir tranquille. Un petit inconfort bien léger que l'on peut endurer en hommage à ces mères juives à qui les SS demandaient de porter leur enfant un peu plus bas que leur poitrine, histoire de faire mouche en une seule balle sur deux victimes''Porteur de mémoire' L'enquête du prêtre qui révèle la Shoah par balles' , Chez Michel Lafon. Prix de vente 20 euros.À noter que les droits du livre seront reversés à l'association YAHAD-IN UNUM. YAHAD-IN UNUM a été créée en janvier 2004 à l'initiative du Cardinal Jean-Marie Lustiger, alors archevêque de Paris, avec le Cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et le Cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et du Rabbin Israël Singer, Président du Directoire du Congrès Juif Mondial, et de M. Serge Cwajgenbaum, Secrétaire Général du Congrès Juif Mondial, avec pour objectif d'approfondir la connaissance et la coopération entre Catholiques et Juifs. Pour exprimer l'ambition du projet, l'association prend le nom de YAHAD-IN UNUM, "YAHAD " et " IN UNUM " signifiant l'un et l'autre " ENSEMBLE " en hébreu et en latin. Parmi les autres membres fondateurs, il faut ajouter : le Père Patrick Desbois, le Dr. Richard Prasquier, président du CRIF. Vos réactions à l'article Ecrire à l'auteur Imprimer Envoyer | Membre Juif.org
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