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Blog : Communautarisme.net

L'école face à l'obscurantisme religieux - 20 personnalités commentent un rapport choc de l'Éducation nationale

L'école face à l'obscurantisme religieux - 20 personnalités commentent un rapport choc de l'Éducation nationale - © Communautarisme.net
Note de lecture d'Isabelle de Mecquenem, Professeur à l’IUFM de Reims Évoquer à nouveau le rapport présenté en 2004 par Jean-Pierre Obin, inspecteur général « Etablissements et vie scolaire » à travers les commentaires de vingt écrivains, enseignants et chercheurs de grande notoriété n'amortit pas « le choc » qui continue de se produire lors de ce qui n'a jamais été mieux nommé une « réception ». Faut-il alors décrire une hystérésis, comme le feraient des physiciens ? Car si la diversité des lectures fonde la légitimité de la publication présente et lui donne toute sa pertinence, d'aussi fortes divergences d'interprétations dans un contexte de polémique qui retentit encore dans la plupart des contributions incitent à revenir au texte princeps, joint dans son intégralité en annexe du livre.

De fait le document provoque l'effarement alors que son propos consiste à relater sobrement les multiples formes de transgression du principe de laïcité dont l'école est le centre. En effet, l'enquête intitulée « Signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires » met en évidence une montée en puissance telle, qu'elle conduit à considérer autrement que sous l'angle de faits divers sporadiques, des événements qui, de plus, ne se réduisent pas à l'affichage de convictions religieuses par des tenues spéciales.

À distance de toute polémique, la tonalité clinique du rapport ajoute de la force et de la gravité aux témoignages que l'équipe d'inspecteurs généraux et de chargés de mission a recueilli dans soixante et un établissements répartis dans une vingtaine de départements, y compris d'outre-mer. Telle est la base d'une enquête qualitative qui, lucidement, ne prétend pas à un bilan exhaustif : « cette étude ne peut donc prêter à généralisation et à dramatisation excessive » (p.300). Dans la mesure où cette précision conditionne le sens même des constats opérés, il ne s'agit donc pas d'une clause oratoire et plusieurs commentateurs l'ont heureusement gardée en mémoire, évitant de glissantes extrapolations.

La contribution majeure du rapport consiste à révéler l'intensité de comportements radicaux d'opposition aux principes de l'enseignement conçu et organisé par l'école publique. Des allégations empruntées à diverses confessions sont invoquées par des élèves pour faire obstruction à telle question des programmes ou tel aspect de la vie scolaire. Dans la mesure où des élèves musulmans sont fréquemment mentionnés, cette focalisation est une des données litigieuses que le rapport explique par un contexte de discrimination systémique, facteur aussi puissant que silencieux dont le rôle est donc jugé déterminant. Mais l'enquête montre aussi le développement de l'antisémitisme qui semble profiter d'un terrain favorable et d'une insidieuse impunité : « si le racisme le plus développé dans la société française reste le racisme antimaghrébin, ce n'est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme antijuif » (p.343). Terrible constat qui identifie l'école à un commutateur de haines.

Ayant fait l'expérience des terrains scolaires difficiles, Emilie Frêche et Thierry Jonquet confirment ce tableau très alarmant. Barbara Lefebvre rappelle que l'ouvrage Les Territoires perdus de la République publié par Emmanuel Brenner en 2002 mettait déjà au jour les problèmes soulevés par le rapport Obin. Rien de nouveau en effet à décrire l'usant rapport de forces idéologiques qui s'est substitué à la relation pédagogique normale, même si l'état de la boîte noire de l'Éducation nationale actuelle doit continuer à être divulgué et à faire l'objet d'observations sans complaisance. Mais le rapport complète l'état des lieux en parvenant à restituer le climat délétère des établissements visités. Or cette approche indirecte et par touches successives fait justement ressortir l'aspect systématique de la détérioration, car les conditions de possibilité de l'enseignement s'avèrent détruites. Aussi l'inventaire sidérant de 2004 redonne-t-il une singulière actualité aux circulaires de 1936 et 1937 du ministre Jean Zay qui dénonçaient « des manœuvres d'un genre nouveau » en matière de propagande politique et étendaient l'exigence de neutralité à l'ambiance même des établissements « qui doivent rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». À l'aune d'une telle priorité, combien de collèges et de lycées réussiraient aujourd'hui l'audit de sérénité ?

D'un point de vue plus général, le rapport décrit un contexte professionnel éreintant et souvent sous-estimé, voire dénié par les responsables et les personnels des établissements eux-mêmes. Parmi les recommandations, les inspecteurs proposent un « pilotage plus ferme » qui passe d'abord par la diffusion de l'information à tous les niveaux du système éducatif, autrement dit, la levée de quelques tabous. Certes, on peut considérer que la compilation de témoignages convergents correspond à une grille de lecture latente. Parmi les chercheurs, Esther Benbassa remet en cause la méthodologie de l'étude et, partant, le bien-fondé d'analyses débouchant sur des préconisations urgentes. Pourtant, il suffit de relire l'hypothèse des enquêteurs pour dissiper cette suspicion a priori légitime : il s'agit d'attester la réalité et l'acuité des revendications religieuses incubant dans des établissements plus perturbés que d'autres. L'orientation du terrain de l'enquête est donc tout à fait assumée et dûment mise en exergue, sachant qu'elle ne peut induire de tels phénomènes et qu'elle n'interdit nullement des découvertes, rassurantes le cas échéant. En effet, il arrive que le quotidien sous tension de la vie scolaire déroge à la fatalité des quartiers d'exil où s'exercent des luttes d'influences et la pression d'activistes locaux sur les plus vulnérables, les jeunes filles en particulier. À ce titre, les inspecteurs généraux soulignent l'effet salutaire d'un large bassin de recrutement qui permet aux élèves d'échapper à l'enclavement local. Plusieurs commentaires, dont ceux Jean-Paul Brighelli, Fadela Amara et Mohammed Abdi en particulier, dénoncent les intimidations insupportables dont les filles sont la cible, que le rapport relate aussi à travers des exemples accablants, ne laissant planer aucun doute sur l'assujettissement auquel la condition féminine veut être réduite. Dominique Schnapper relie ces constats aux lois dégagées par l'histoire et la sociologie pour en formuler la sinistre signification : « Les femmes et les juifs sont toujours les cibles idéales pour tous ceux qui détestent les autres et refusent de les connaître ou de les reconnaître » (p. 281).

Compte tenu de la teneur particulièrement sensible du rapport, sa caractéristique majeure doit être soulignée. Certes, la neutralité axiologique est de rigueur pour un tel projet. De fait, aucune interprétation globale n'est assénée ou même suggérée et le document se tient à distance de toute qualification théorique des événements évoqués. Il est vrai que cette impression est favorisée par le matériau même de l'enquête, c'est-à-dire le verbatim des entretiens scrupuleusement mis entre guillemets. Ce minimalisme ne cherche-t-il qu'à repousser les idéologies, spontanées ou constituées, qui obèrent la réflexion sur les fractures ouvertes de la société actuelle ? La contribution d'Annette Coulon intervient de façon très éclairante, puisqu'elle retrace les péripéties de la réception du rapport Obin tant à droite qu'à gauche, ainsi que la fulgurante politisation de sa problématique dont le soupçon d'« islamophobie » fut le point de mire névralgique. Démontrant l'ineptie de l'appropriation effectuée par Philippe de Villiers afin d'attiser le rejet des immigrés, elle rappelle que les mouvements de gauche, d'abord réticents devant des constats qui les embarrassaient et bousculaient leurs convictions, ont cherché à rétablir l'équilibre en soutenant la diffusion du document, mais en ratant ainsi le rendez-vous avec l'exigence de lucidité.

On comprend la fonction pertinente des commentaires qui comblent la brèche sémantique dûment préservée par le rapport. Dans cet ensemble de réflexions, tout à la fois dense et contrasté, domine une série de lectures qui déclinent les menaces du communautarisme et la concurrence des fondamentalismes. Mais certains auteurs approfondissent aussi les lignes directrices du rapport et proposent des hypothèses explicatives. Ainsi Alain Seksig attribue les affrontements communautaires d'aujourd'hui à l'exaltation des différences culturelles qui a prévalu dans les politiques scolaires de la décennie 1980-1990. Paul Thibaud invoque la perte du référent national pour éclairer les revendications d'aujourd'hui. Il durcit le ton pour dénoncer les ravages de l'égalitarisme qui a sonné le glas de l'école républicaine. En tant que psychanalyste, Fethi Benslama renvoie la contestation identitaire à une « psychologie du préjudice », véritable point commun du fonctionnement psychique des enfants de migrants.

Quelles sont les causalités à l'œuvre selon le rapport Obin ? Dès la première partie intitulée Les quartiers et leurs évolutions, l'analyse réfère les diverses observations à une « dynamique » beaucoup plus globale, celle de la construction du ghetto français. C'est donc une inférence qui livre la clé de la deuxième partie centrée sur l'école (L'établissement et la vie scolaire) dans la mesure où la source des événements que celle-ci subit est finalement exogène : « une vague de fond la travaille certes, mais elle n'en reçoit que l'écume » ( p. 365). Certes les termes récurrents de « dynamique » et d'« évolution » représentent un choix paradoxal, puisque des connotations positives s'attachent à ces maîtres mots de la sociologie du dix-neuvième siècle, encore calée sur les sciences naturelles triomphantes. S'agit-il de la nomenclature du physicien spécialiste des fondations et expert en inertie des organisations sociales qu'est Jean-Pierre Obin ? Dans le document, ils désignent la synergie de plusieurs facteurs hétérogènes : la paupérisation croissante, les illusions de mixité sociale des travailleurs sociaux et des politiques locales irresponsables ont renforcé la ségrégation en lui donnant une tonalité inédite. En effet, le rapport enregistre un tournant tout en l'exprimant avec prudence et sous la seule dictée des faits : « Pour la première fois dans notre pays, la question religieuse se superpose-au moins en partie- à la question sociale et à la question nationale » (p. 364). L'enquête scolaire qui a tant retenu l'attention n'est au fond qu'une étude de cas dont la toile de fond est sociétale.

En tout état de cause, le rapport Obin ne souscrit pas à la surenchère de diagnostics des interlocuteurs de terrain : l'islamisme, le fondamentalisme, le communautarisme, l'obscurantisme jouent le rôle d'imputation ultime et forment l'acmé des propos, mais ne sont en aucun cas repris par les rapporteurs. Or, de ce point de vue la parution destinée à étendre la publicité de ce document exceptionnel intervient sous un titre qui relève davantage de l'emphase idéologique et du médialecte dénoncé par Gérard Genette, alors que le rapport s'est évertué à les désamorcer. Il est vrai que plusieurs contributions se réfèrent aux Lumières et invoquent l'héritage des philosophes qui ont dédié la raison à la critique des dogmatismes. Nous prenons acte de la gravité des enjeux ainsi posés. Reste que le combat pour les libertés ne perdrait ni en dignité, ni en efficacité à proscrire l'outrance d'un manichéisme rhétorique.

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 54 minutes