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Blog : Communautarisme.net

La République sommée de se mettre à table

Le statut acquis par le discours du CRIF pose problème. En effet, il s'exprime et il est entendu en tant que représentant politique « des juifs » auprès du gouvernement français. Or, s'il y a des juifs en France, « les juifs de France », ça n'existe pas. Interrogez deux juifs, vous aurez trois opinions : pour usée qu'elle soit, cette blague recèle quelque vérité. Le sionisme, la politique israélienne et l'antisémitisme sont l'objet d'âpres débats, en particulier entre juifs, en particulier en France. Sur ces questions, nous (auteurs de cette tribune) ne sommes pas d'accord, ne serait-ce que parce que l'une est sioniste et l'autre pas.

Français, juifs, et bien d'autres choses encore, nous sommes aussi des républicains « farouches » – selon le terme employé par le Premier ministre au cours du 22e dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif ). Comme chaque année, tout ce que le monde politique et médiatique compte de célébrités avait répondu présent. « Moment républicain », proclamaient les uns, sans que l'on comprenne bien, en l'occurrence, où se nichait la République ; « événement important de notre vie publique », répétaient les présidentiables, sans expliquer en quoi ce soir-là était si différent des autres soirs. Et on n'apprenait pas non plus, en écoutant les politiques toujours ravis de s'exprimer, ce qui aurait manqué à notre vie publique si ce raout n'avait pas eu lieu. Il faut croire que cette manifestation relève de l'intérêt général. Chacun a pu en juger en assistant à la retransmission (sur Public Sénat) de l'échange des discours entre président du Crif et Premier ministre de la France. Roger Cukierman n'a pas, comme en 2002, passé un savon aux représentants de la République. Il a, au contraire, décerné un satisfecit à la France, devenue, a-t-il dit en substance, la championne du monde de la lutte contre l'antisémitisme. Au point qu'il est désormais fier d'être français – on a eu chaud. Ses adieux n'ont donc pas ressemblé à un « tribunal dînatoire », selon l'heureuse formule d'Alain Finkielkraut, mais plutôt à une distribution des prix. « Bien en antisémitisme, peut mieux faire en diplomatie » : ce fut en somme l'appréciation du Pr Cukierman. En effet, le président du Crif a prononcé un discours de politique étrangère qui avait tout d'une interpellation : la France fut donc, entre autres, priée de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël, d'approuver la position du gouvernement israélien sur le Hamas et le Liban et d'admettre que le président iranien est une réincarnation d'Hitler. Le Quai d'Orsay fut sommé de convoquer l'ambassadeur d'Iran à Paris et de rappeler provisoirement son représentant à Téhéran. L'impératif d'agir étant placé, comme il se doit, sous l'imposant parrainage de Churchill.

Il n'y a rien de choquant dans le fait que le président d'une institution juive fasse part au gouvernement de son inquiétude sur les actes antisémites, exprime les attentes des juifs français concernant leurs lieux de culte, écoles et activités culturelles et sociales, ou œuvre à la coexistence entre religions. On comprend également que le Crif condamne la conférence négationniste de Téhéran et appelle le Premier ministre à réagir à cette infamie orchestrée par le président iranien, blessante pour tout citoyen français. Dans la République laïque, c'est son rôle. Seulement, il s'agissait là de tout autre chose. Le propos de Roger Cukierman fut presque entièrement politique, focalisé sur le Moyen-Orient et sur la politique que devrait y mener la France. Qu'on ne s'y trompe pas. Peu importent les opinions énoncées par Roger Cukierman.C'est le statut acquis par son discours qui pose problème. En effet, il s'exprime et il est entendu en tant que représentant politique « des juifs » auprès du gouvernement français. Or, s'il y a des juifs en France, « les juifs de France », ça n'existe pas. Nul n'est donc autorisé à s'exprimer en leur nom – en notre nom. Par ailleurs, il est pour le moins discutable que le Crif se comporte comme une seconde ambassade d'Israël en France – les Israéliens pourraient même s'en offusquer… Nous ne voyons aucun scandale à ce qu'un groupe de pression pro-israélien (ou de toute autre obédience) s'emploie ouvertement à influencer notre diplomatie. Ce type d'activités fait partie du débat démocratique – et notre Parlement abrite de nombreux groupes d'amitié voués à la promotion de tel ou tel pays.

Le plus atterrant n'est pas que le Crif prétende à un magistère qui excède des prérogatives légitimes, mais qu'il soit reconnu comme tel par l'ensemble de la classe politique. A l'évidence, les exigences de Roger Cukierman n'ont pas plus dérangé le Premier ministre que les éminences politiques présentes. L'affermage de notre diplomatie à des communautés signe pourtant un recul des principes républicains. Le rôle politique accordé au Crif s'inscrit dans la même logique que la mission confiée en 2004 à Fouad Alaoui, alors vice-président du Conseil français du culte musulman, envoyé dans les pays arabes pour négocier la libération des otages français. Il ne faudra pas s'étonner, demain, quand les dirigeants du Conseil représentatif des associations noires (Cran), qui, au passage, ont parfaitement intégré le « modèle juif », seront mandatés pour définir notre politique africaine.
Ajoutons qu'au-delà même des principes républicains les dirigeants des institutions juives sont peut-être de piètres stratèges au regard de leurs propres objectifs. « Combien de divisions ? » – le jour où les aspirants au pouvoir se poseront cette question, il est peu probable que les « amis d'Israël » en sortiront gagnants. Il faut le savoir : la compétition des « communautés râleuses » finira, là aussi, par se jouer à l'Audimat.

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auteurs avec Alain Finkielkraut de «La discorde», Mille et une nuits, 2006

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 36 minutes