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Blog : Michelle GoldsteinLa kermesse des mots![]() Isaac Franco
La kermesse des mots J?avais toujours refusé. Sans trop savoir pourquoi, cette fois, j'ai dit oui. Toute la nuit qui précéd!it ce jour de fin janvier, j'ai lu, j'ai écouté les bruits de la ville qui sommeillait d'un oeil, j'ai grignoté pour tromper le temps paresseux, allumé la télévision, lu encore et, avant l'aube, gravement, je me suis habillé de vêtements chauds avant de rejoindre l'aéroport. Deux heures plus tard, des dizaines d'adolescents bruyants en voyage de « sensibilisation », quelques parlementaires somnolents, un austère ministre de la défense, un duo de rescapés inquiets et une poignée de « représentants des communautés juives » animaient l'aérogare ridée. L'avion, la tête un peu lourde, quelques vertiges de fatigue, l'arrivée à Cracovie. Il ne fait pas froid, lumière grise, les bus, quelques plaques de neige gorgées d'eau noire sous le vent doux et sale, les plaines lasses de Silésie, des bouquets de bouleaux, et, une heure plus loin, Oswiecim. Une petite ville parée du visage triste et anonyme de cette Pologne sans âge. Un peu à l'écart, dans les faubourgs, le nom jadis donné par les Autrichiens et « immortalisé » par les Allemands, Auschwitz. Mais Auschwitz aussi pour les Polonais, soucieux d'apparier un nom germanique à cet « anus mundi », comme s'il exemptait à lui tout seul une large majorité d'entre eux du devoir de répondre d'un inguérissable antisémitisme identitaire. Oswiecim pour ne pas se sentir tenus par ce qui s'écrivait hier à Auschwitz dans un alphabet de sang et de cendres. La guide égrène les « expériences médicales », la sélection, la mort qui rôde et emporte tous les jours son tribut dans son antre empuantie, le travail des esclaves jusqu'à l'épuisement, les chambres à gaz, les fours, les maladies, le cynisme, la cruauté, la peur, la délation, l'avilissement de créatures réduites à un numéro tatoué sur le bras, le froid qui casse des os friables comme des gressins, la canicule, la faim, la soif, les aboiements des chiens et des « surhommes », les coups, la schlague, les pendaisons, le mur des fusillés' Avec les autres, j'écoute un peu hébété le modus operandi du traitement réservé aux damnés d'Auschwitz. A gauche, derrière une vitre, une avalanche de valises, derrière une autre, un océan de lunettes, ici, des prothèses désarticulées ou des cascades de cheveux, là, des montagnes de vêtements ou un chaos d'ustensiles de cuisine. Je n'éprouve rien. J'ai un peu honte. Je ne vois que des valises, des lunettes, des prothèses, des cheveux, des vêtements et des ustensiles de cuisine, exposés dans un lieu de mort tué par son nouvel office. Les yeux restent secs, l'énormité du crime extrait le meurtrier du commerce et de l'entendement des hommes. « Plus jamais ça », quand la dimension du « ça » le soustrait à l'intelligence ? « Plus jamais ça », quand personne ne sait comment désapprendre la haine aux hommes ameutés ? « Plus jamais ça », quand les fils des assassinés sont diabolisés et abandonnés à la fureur des fils spirituels des assassins, par ceux-là même qui s'obligent dévotement à ce « devoir de mémoire » ? « Plus jamais ça », quand Auschwitz rôde partout là où l'homme n'est pas seul ? « Plus jamais ça », quand Auschwitz hante d'autres foules saturées d'exaltation où l'homme s'enivre de s'oublier et se perdre ? « Plus jamais ça », quand Auschwitz commence déjà lorsque l'homme fuit le silence pour lui préférer la kermesse des mots et les torrents de slogans convenus ? « Plus jamais ça », comment ? Le « pèlerinage » à Auschwitz ou le « devoir de mémoire » pour démentir que « Toute culture consécutive à Auschwitz, y compris sa critique urgente, n'est qu'un tas d'ordures » (T. Adorno) ? A l'improviste, visitée par un pressentiment éphémère, elle se fait plus attentive et se tait, surprise, comme pétrifiée. Mais c'est le temps d'un insaisissable instant. Aussitôt évanoui, la réalité, à peine effleurée, s'éloigne et les mots, de nouveau, étendent leur empire réducteur. Tenter alors de « réduire » ce crime immense à un seul pour le faire exister. Je convoque le doux visage de ma mère. Je me commande de l'imaginer quand elle était ici, dans ce cul de basse fosse, jeune fille dont je ne suis pas encore le fils, abandonnée, fragile et apeurée, prisonnière sans recours du désespoir et d'une indicible solitude dans cette multitude d'infortunés. Je revois le dessin de sa bouche qui préférera le silence à la langue improbable, inopérante et superflue des mots pour parler de son intransmissible calvaire auquel elle-même était peut-être devenue aussi irrémédiablement étrangère que moi. Je pense à sa famille décimée, à celle carbonisée de mon père. Je pense aux cendres éparpillées de mes grands-parents inconnus et aux arrière-grands-parents des enfants que je n'ai pas eus. En vain. On ne dévoile le mystère du mal et de la solitude que par surprise. C?est ce que, à Auschwitz, j'apprends d'Auschwitz. Et un présage aussi : Un avertissement auquel la réunion du 09 février en la Basilique du Sacré C'ur de Jésus de Cracovie à l'initiative de « Radio Maryja » et du « Comité contre la diffamation de l'Eglise et de l'identité polonaise » sur le thème « Les youpins doivent cesser de cracher sur nous » donnait une lugubre résonance' Isaac Franco © Primo, Bruxelles, Mars 2008 | Membre Juif.org
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