Autriche: l'anniversaire de l'Anschluss - COMMEMORATION par Laurent Ribadeau Dumas
Autriche: l'anniversaire de l'Anschluss
Manifestation populaire à Vienne le 15 mars 1938 fêtant, en présence d'Hitler, la proclamation de l'Anschluss
© AFP Il y a 70 ans, le 12 mars 1938, les troupes allemandes entraient en Autriche pour réaliser l'Anschluss
Le terme allemand Anschluss, repris par les historiens, signifie en français "réunion", "rattachement".
Le 15 mars, l'Allemagne nazie annexait officiellement l'Autriche qui devenait une province du "Reich millénaire". Hitler, Autrichien de naissance, vint spécialement à Vienne pour marquer l'évènement, acclamé par quelque 250.000 personnes.
Les troupes allemandes avaient, elles aussi, été accueillies avec enthousiasme. A tel point que pour la Wehrmacht, son entrée en Autriche avait été une "guerre des fleurs" (Blumenkrieg).
Le 10 avril, un référendum ratifiait l'Anschluss par plus de 99 % des voix.
La célébration de l'évènement
L'anniversaire de l'Anschluss est célébré ces jours-ci dans la capitale autrichienne.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, 80.000 bougies seront allumées sur le Heldenplatz (place des Héros) à Vienne en hommage aux 80.000 victimes autrichiennes du nazisme. Intitulée "la Nuit du silence", cette cérémonie oecuménique, à laquelle participeront des survivants de l'Holocauste, veut offrir dans le recueillement un contrepoint à la liesse qui avait salué l'arrivée des nazis.
Cet épisode est rappelé dans une exposition intitulée "Victimes, coupables, spectateurs", dans laquelle le prestigieux Staatsoper (l'Opéra d'Etat) revient sur son passé nazi: "Il fallait apporter plus de lumière et de propreté dans l'histoire de la maison", souligne son directeur, Ioan Holender. "Nous n'avons pas été et ne sommes pas des petits saints", rappelle-t-il.
Au cours d'une réunion de la conférence épiscopale qu'il préside, le cardinal-archevêque de Vienne, Christoph Schönborn, a lui aussi déploré l'attitude conciliante de l'Eglise catholique d'Autriche envers les nazis.
Une reconnaissance difficile
Les observateurs constatent que ces démarches autocritiques sont isolées. "L'Opéra est l'une des institutions prêtes à regarder en face son douloureux passé. Dans l'Autriche de 2008, ces institutions sont encore malheureusement l'exception", a déclaré le chancelier social-démocrate Alfred Gusenbauer lors de l'inauguration de l'exposition du Staatsoper.
De fait, plusieurs institutions, notamment culturelles, refusent toujours d'ouvrir leurs archives sur cette période, déplore l'historienne Bernadette Mayrhofer.
De leur côté, les autorités ne sont pas en reste. Après la défaite de 1945, l'Autriche a été largement considérée comme une victime du nazisme, à l'instar d'un pays conquis. Et jusque dans les années
1980, l'Etat autrichien s'est présenté comme "la première victime d'Adolf Hitler".
Aujourd'hui, alors que l'attitude de la population autrichienne au moment de l'Anschluss fait encore débat, l'Etat est accusé de manquer à certains de ses devoirs envers les victimes des nazis. Et ce contrairement aux efforts effectués par l'Allemagne. La vice-présidente verte (opposition) du Parlement, Eva Glawischnig, a ainsi exigé une indemnisation des victimes oubliées, notamment les homosexuels ou les déserteurs. La loi devrait aussi contraindre l'Etat à respecter ses obligations d'entretien des vieux cimetières juifs, souvent laissés à l'abandon.
L'Autriche est également critiquée pour les lacunes de sa législation sur la restitution des oeuvres d'arts volées aux juifs par les nazis. A un moment où une exposition au Musée Leopold de la capitale est soupçonnée de receler plus d'une dizaine de tableaux d'origine suspecte.
Vienne se trouve par ailleurs dans le collimateur du Centre Simon-Wiesenthal de Jérusalem pour son "peu d'empressement" à poursuivre les criminels de guerre nazis. Fin février, une Autrichienne de 86 ans, ex-gardienne de camp de la mort, est ainsi décédée sans jamais avoir été traduite en justice.
Persécutions
Le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne et l'arrivée de la Wehrmacht avait donné le coup d'envoi de terribles persécutions contre les juifs et les opposants. Quelque 76.000 personnes furent arrêtées dans les jours qui suivirent. Dès le 1er avril, un premier convoi de 151 personnalités anti-nazies avait pris le chemin du camp de concentration de Dachau, en Allemagne.
Interdites aux juifs, les universités perdirent en quelques heures plus de 40 % de leurs étudiants et professeurs. Au total, 65.000 juifs autrichiens furent assassinés sous le IIIe Reich et 130.000 contraints à l'exil. Parmi eux: le "père" de la psychanalyse, Sigmund Freud, et le peintre Oskar Kokoschka ainsi que plusieurs prix Nobel. Cette "destruction du Vienne intellectuel", selon les termes du professeur Egon Schwarz, s'accompagna aussi du départ de personnalités non-juives refusant la dictature nazie, comme l'écrivain Robert Musil ou Alma Mahler, veuve du compositeur Gustav Mahler.
Paradoxalement, cette saignée conduisit le Staatsoper à réduire son programme d'opéras de Richard Wagner, le compositeur préféré d'Hitler... faute d'interprètes appropriés après l'éviction des artistes juifs.
La portée historique de l'évènement
L'Anschluss était censé conclure un processus commencé en 1848, à l'époque du Parlement de Francfort qui entendait réaliser l'unité de l'Allemagne.
En 1848 éclatait à Paris un mouvement révolutionnaire qui fit tâche d'huile dans toute l'Europe, notamment en Allemagne. Une "Assemblée nationale allemande constituante" réunit alors des délégués de toute l'Allemagne (divisée à cette époque en une quarantaine d'Etats !) dans l'église Saint-Paul de Francfort. Au centre des débats: l'unité du pays devait-elle se faire autour de la Prusse (pour une "petite Allemagne") ou autour de l'Autriche et du Saint Empire romain-germanique (pour une "grande Allemagne") ?
Comme on le sait, l'union, devenue effective en 1871, avait finalement été réalisée par la Prusse et l'ambitieux chancelier Otto von Bismarck, écartant ainsi l'Autriche. Mais certains nationalistes et les milieux pangermanistes continuèrent par la suite à caresser le rêve d'une "grande Allemagne". Il ne faut donc pas s'étonner que les nazis aient récupérés ce rêve à leur profit...