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Blog : Michelle Goldstein

Misha Defonseca et ses loups

Le Monde.fr : Misha Defonseca et ses loups, par Karin Bernfeld - OpinionsMisha Defonseca et ses loups, par Karin Bernfeld

C'était donc faux. L'auteur Misha Defonseca a fini par avouer que son récit publié et revendiqué comme étant une autobiographie, son histoire vraie qui a bouleversé les lecteurs, était une invention. Son livre Survivre avec les loups (Robert Laffont, 1997), un best-seller traduit dans le monde entier et dont l'adaptation cinématographique a déjà attiré dans les salles des millions de spectateurs (plus de 540 000 en France), racontait l'histoire d'une petite fille juive, en pleine seconde guerre mondiale, dont les parents furent arrêtés par la Gestapo. Partie à pied pour les retrouver, elle aurait alors parcouru des milliers de kilomètres à travers l'Europe et réussi à survivre grâce à une meute de loups qui l'aurait adoptée.

if (provenance_elt !=-1) {OAS_AD('x40')} else {OAS_AD('Middle')} if ( undefined !== MIA.Pub.OAS.events ) { MIA.Pub.OAS.events["pubOAS_middle"] = "pubOAS_middle"; } Cette jolie fable avait bénéficié d'une immense campagne publicitaire, et, reprenant avec succès le mythe de la louve nourricière qui séduit depuis Romulus et Rémus jusqu'à Kipling, avait attiré les foules. Mais, depuis sa parution, le livre avait aussi suscité un certain nombre de scepticismes bien justifiés : des historiens et le spécialiste du monde animal Serge Aroles avaient dénoncé la supercherie et relevé les invraisemblances du récit. Ce dernier criait depuis plusieurs années contre cette imposture, sans être entendu. Pourquoi ? Parce qu'il touchait à du sacré, et qu'on le suspectait immédiatement d'être "antisémite"...

Ce n'est pas la première fois qu'un livre proclamé autobiographique s'est révélé une fiction, créant alors une polémique et la colère de nombreux lecteurs qui se sentent trahis. Car l'autobiographie, c'est un engagement, un serment. Si on écrit sa vie, on signe le célèbre pacte autobiographique décrit par Philippe Lejeune : l'auteur jure d'écrire "toute la vérité et rien que la vérité". Et il prend le risque d'être contredit, d'être même traîné en justice s'il a menti. Ecrire sa vie, c'est prendre un risque, quitte à en payer le prix.

L'auteur, Misha, se défend : "Il m'est difficile de faire la différence entre ce qui a été la réalité et ce qu'a été mon univers intérieur." Mais des lecteurs se révoltent et lui en veulent d'avoir tant été touchés par cette histoire, alors que "tout était bidon". D'autres rétorquent que raconter c'est toujours inventer, qu'il y a toujours de l'imaginaire dans tout récit, que toute écriture est une réinvention. Chaque écrivain fait l'expérience de faits réels qu'il a transposés fidèlement, racontés avec précision dans un roman, des faits qui ne semblent alors "pas crédibles" au lecteur, Maupassant l'ayant dit bien avant : "Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable."

Cette affaire rappelle celle de Benjamin Wilkomirski, qui avait écrit des souvenirs fictifs de déportation. Dans ces deux cas, parce que cela touche à l'identité juive et à la Shoah, les colères sont décuplées. L'état civil, la véritable identité de naissance de Mischa, c'est Monique Dewael, un nom qu'elle semble abhorrer et ne veut tellement pas assumer qu'elle en a changé. Elle déclare : "Je m'appelle Monique Dewael, mais depuis que j'ai 4 ans je veux l'oublier." Elle s'invente donc une vie, et se dit juive ; on apprend qu'elle ne l'est pas, qu'elle a été baptisée. Ses parents auraient bien été déportés, mais en tant que résistants.

Tout se passe alors comme si, aujourd'hui, il n'y avait qu'une légitimité dans l'identité juive pour parler de la déportation, comme si seul un juif pouvait écrire sur le sujet pour toucher le plus grand nombre. Pourtant, L'Espèce humaine (Gallimard, 1979), de Robert Antelme, résistant, est un témoignage implacable. Mais sans doute il n'est pas le plus lu par le grand public.

La repentie Misha ajoute : "Depuis toujours, je me suis sentie juive", et elle écorche encore certains lecteurs, ceux qui le sont sans jamais l'avoir voulu et qui ne se "sentent" pas juifs, qui auraient peut-être bien souhaité se débarrasser de cette identité-là qu'on ne choisit pas la plupart du temps. Elle repose la véritable question de ce que c'est qu'être juif, et qui décide si on fait partie ou non d'une communauté, si le juif n'est défini que par le tiers, l'autre. Et si "la petite fille juive" c'est le symbole de la victime par excellence, peut-être était-ce une projection, une identification idéale ?

Déjà certains s'alarment des conséquences directes de ce mensonge qui servirait le négationnisme, puisque si celle-ci a pu inventer et faire croire à des millions de personnes que son récit était réel, on pourrait prétendre que tout est faux dans ce qui est écrit. Des enseignants, soucieux de ce devoir de mémoire au coeur des querelles actuelles dans l'éducation, avaient emmené leurs élèves voir le film adapté du livre de Misha, le cinéma et l'image trahissant encore davantage la véritable Histoire qu'il faudrait réhabiliter.

Et les débats d'être bientôt relancés sur "oui ou non peut-on écrire de la fiction sur la Shoah ?", Lanzmann contre Spielberg et Benigni, Anne Frank, Primo Levi contre la fausse histoire de Martin Gray... D'autres s'indignent de l'aspect commercial des témoignages, affirment que c'est justement le label histoire vraie qui a fait vendre ce livre et ce film. Peut-être. Mais on peut vendre le vrai à condition que l'histoire soit... très romanesque.

Car l'inverse est possible, Antelme et Levi avaient très peu vendu de leurs histoires vraies, et pour avoir refusé l'appellation (non contrôlée) "roman" à mon récit autobiographique Les Portes de l'espérance (Flammarion, 2003), j'ai vu que le vrai n'est pas toujours en soi un argument : le livre fut éjecté du rayon littérature et relégué au rayon sociologie.

Au-delà, dans Misha, on pourrait s'émouvoir de sa souffrance intime, réelle, de cette mythomanie, de tout ce qui se cache derrière cette histoire de loups. Les psychanalystes ne pourront s'empêcher de chercher l'explication : qui sont donc ces loups pour elle ? Chacun choisira. Nous pourrons hurler, ou non, avec eux, ça ne réveillera aucun des millions de morts.

Karin Bernfeld est écrivain

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 29 minutes