Blog : Michelle Goldstein

Retour à Cracovie pour des Juifs de Schindler
A 87 ans, Ludwig Kutscher, un Juif sauvé de l'Holocauste par Oskar Schindler, a entrepris un long voyage depuis Karmiel, dans le nord d'Israël, pour revenir dans sa ville natale de Cracovie, en Pologne, pour la première fois depuis 1944.

"Nous allons bientôt mourir. J'ai peur que les gens oublient. C'est maintenant mon travail de raconter. De dire ce qui s'est passé", explique à l'AFP Ludwig Kutscher dans sa langue maternelle, l'allemand. Avec dix autres Juifs sauvés par l'homme d'affaires allemand Oskar Schindler, Ludwig Kutscher est venu à Cracovie pour commémorer la liquidation meutrière du ghetto de la ville il y a 65 ans, le 13 mars 1943. Dimanche midi, il a participé avec des centaines de personnes à une marche du souvenir.

Bon pied, bon oeil, Ludwig Kutscher a parcouru les cinq kilomètres qui séparent le quartier de Podgorze, où les nazis avaient créé le ghetto en mars 1941, du camp de concentration de Plaszow, où étaient enfermés des détenus juifs contraints à des travaux forcés. "A cette époque, il n'y avait pas de bitume sur la route, c'étaient des pavés", se souvient-il en regardant ses pas. Tous les matins et tous les soirs, il faisait ce chemin à pied entre le camp et l'usine de vaisselle en émail d'Oskar Schindler dans un faubourg de Cracovie.

Pour Ludwig Kutscher ou encore pour Jan Dresner, un ancien dentiste de Tel-Aviv, âgé de 85 ans, c'est la première fois qu'ils reviennent dans la ville où ils avaient passé toute leur jeunesse. "Pendant des années, je n'ai pas voulu retourner en Pologne, j'avais peur de cette rencontre", raconte Jan Dresner. "Je me souviens de mon enfance heureuse mais aussi de ce cataclysme". Après avoir occupé la Pologne, les nazis enfermèrent les Juifs des grandes villes dans des ghettos. Progressivement, ils transportèrent dans des camps de la mort ceux qui avaient survécu à la famine et à la maladie. Seuls 10% des 3,5 millions de Juifs polonais ont échappé à la mort.

Les survivants sont venus accompagnés de leur famille. "Ils montrent l'endroit où ils ont vécu, le magasin où ils achetaient le pain", explique le professeur Aleksander Skotnicki, qui a organisé la rencontre des Juifs de Schindler. "Là-bas, je me suis marié", dit Ludwig Kutscher, en montrant un petit bâtiment, "c'était le 9 novembre 1942, dans le ghetto, notre mariage a duré 60 ans". C'est grâce à sa femme qu'il a travaillé pour Schindler. "Les employés de Schindler avaient le droit de faire venir leur famille", dit-il.

Selon le professeur Skotnicki, il reste en vie de par le monde 60 personnes sur les quelque 1.200 Juifs qui doivent leur survie à l'industriel. Oskar Schindler, un Allemand de Tchécoslovaquie, membre du parti nazi, qui voulait rapidement s'enrichir en profitant de la guerre, a tout mis en oeuvre pour sauver les Juifs qui travaillaient pour lui. Vers la fin de la guerre, il a dépensé la fortune qu'il avait rapidement accumulée dans ses affaires avec l'armée nazie pour nourrir ses employés et soudoyer les SS qui cherchaient à les tuer.

Mort dans l'anonymat en Allemagne en 1974, à l'âge de 66 ans, il a été tiré de l'oubli par l'écrivain australien Thomas Keneally puis surtout par le réalisateur américain Steven Spielberg, qui lui a donné une renommée mondiale avec son chef-d'oeuvre, La liste de Schindler, sorti en 1993 et couronné de sept Oscars. "Après la guerre, nous avons aidé Schindler", raconte Ludwig Kutscher, qui a rencontré plusieurs fois son bienfaiteur après 1945, "mais cela n'a servi à rien. Il était devenu alcoolique. Il a dépensé tout l'argent que nous lui donnions dans la boisson".

"Il n'était peut-être pas l'hommme le plus correct au monde. Mais le fait est qu'il a fait ce que bien peu de gens ont fait: sauver un millier d'âmes", ajoute Jan Dresner. (belga/7sur7)