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Blog : Carnets d'actualité

Mai 68 ? Mais oui !

1. Aux jeunes gens qui sont, paraît-il, éberlués par l'avalanche de livres consacrés à un événement qui ne les intéressent pas, à savoir Mai-68, je réponds que cet événement les concerne au contraire directement. Car il s'agit de savoir comment leurs parents ou leurs grands-parents ont, il y a quarante ans, fait basculer l'histoire de France et créé les conditions dans lesquelles les jeunes vivent aujourd'hui. Alors, voici quelques souvenirs rapides à la façon d'un petit « Mai-68 raconté à ma fille ». Evidemment, il s'agit de celui du « Nouvel Obs » qui, on l'oublie parfois, a été au c'ur de l'événement.
En mars 1968, je me trouve à Tunis avec celui qui est alors ma référence et mon ami, le philosophe Michel Foucault, qui enseigne à l'université de cette ville. Les informations qui nous parviennent réduisent ce qui se passe à l'université de Nanterre à une révolte étudiante sans doute très sérieuse et qui n'aurait eu pour prétexte que d'obtenir que les garçons aient le droit d'accès au bâtiment des filles, et vice-versa. Nous rentrons à Paris. Ni à Nanterre, ni à l'Université, ni à la Préfecture, ni au ministère personne n'a rien prévu de ce qui est en train de se passer. Foucault n'apprend rien de ses collègues. Alors, il décide : « Cessons de consulter les aînés. Ils ne savent rien. Nous non plus. Il faut écouter ces jeunes. » Nous allons le faire chacun de notre côté.
J'ai tendance, pour ma part, à ne penser alors qu'à la terrible humiliation infligée par Israël en 1967 aux armées arabes, au Viêtnam, au Biafra et surtout au merveilleux, à l'incomparable Printemps de Prague. Le 4 avril, c'est l'assassinat de Martin Luther King, tandis qu'à Washington les manifestations contre la guerre du Viêtnam mobilisent les jeunes. Comment font les nôtres pour penser à autre chose ?
J'essaie de comprendre, j'écris : « La jeunesse n'a pas vécu les grandes saignées des violences récentes. Elle est gouvernée par des hommes qui en ont été les victimes. Elle en a assez des souvenirs de combats qu'elle n'a pas livrés. Elle étouffe' » Maurice Clavel confie à Foucault que mon explication lui paraît insuffisante. Il décèle déjà chez les étudiants « le grand refus ». De quoi ? De tout. Ce prophétisme nous paraît lyrique.
Nous sommes dans les années du baby-boom, des « Trente glorieuses », de la société de consommation, du Club Méditerranée. Les universités demeurent le temple d'un savoir qu'elles sont seules à pouvoir dispenser. Nous sommes fiers de nos enseignants et nous avons des maîtres à penser. Foucault en fait d'ailleurs partie avec Bourdieu, Barthes et Lacan. De Gaulle règne, mais je n'oublie pas qu'il a fait la paix en Algérie et que ? bien qu'avec les mots les plus malheureux du monde - il a prévu ce qui se passerait après la victoire d'Israël en 1967. Je n'ai d'ailleurs jamais pu me résigner à être totalement antigaulliste. On ne vit, en France, ni dans le despotisme ni dans l'oppression. Foucault insiste : « Il faut écouter les étudiants ». En avril, nous sommes tous d'abord à Nanterre puis à la Sorbonne. Il n'a jamais fait aussi beau à Paris.
Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Certains d'entre nous sont à la fois curieux et déroutés devant l'agitation ludique, inspirée, des étudiants, et surtout stupéfaits devant le respect qu'ils inspirent, l'autorité qu'ils exercent sur place et l'attente qu'ils suscitent ailleurs. En fait, Marcel Gauchet exprime bien aujourd'hui (1) ce que nous ressentions alors : « L'hégémonie du peuple soixante-huitard a été portée par le mythe de la jeunesse comme acteur privilégié du changement social (?) De cette révolution destinée à changer la vie, la jeunesse se désigne comme acteur naturel. » Nous ne le savions pas sur le moment.
Raymond Aron dit que la révolution est « introuvable ». « Pardi ! répond Clavel, les étudiants sont dans la révolte. » « Non, corrige Foucault, ils sont la révolte ». Mais laquelle ? Au lieu de conclure qu'elle est dans la parole - « parole murale et parole verbalisée, parole inventive ou citative, parole politique, poétique, pédagogique (?) l'événement est lié à son expression » (Pierre Nora) -, Sartre, fasciné par Cohn-Bendit, lui dit simplement que le contenu de sa révolte n'a pas encore été défini. Cela se passe chez nous, au journal. Le philosophe rebelle qui, quatre ans auparavant, a refusé le prix Nobel, se comporte comme si une force mystérieuse allait bientôt dicter la voie à suivre à un jeune homme roux aux yeux verts dont l'insolence, l'aisance et l'impétuosité lui en imposent. Cohn-Bendit dit à Sartre : « Tu ne voulais tout de même pas que je fasse comme n'importe quel politicien et que je te donne notre programme ! Pour que les autres disent : « Eh bien, d'accord, on va en discuter » »
Sartre admire, consent. Il va adopter la même attitude, cette fois chez lui, avec le leader maoïste Alain Geismar qu'il installe dans un grand fauteuil tandis que nous sommes tous, assis en tailleur sur la moquette, lui y compris. Quand je raconte cela à Maurice Clavel, il exulte :« Le maître s'installe dans le Néant pour attendre l'Etre !». Avec André Gorz, alias Michel Bosquet, nous commençons à théoriser le message attendu ; arrive alors dans nos colonnes l'idole supposée des étudiants, celui qui, à leurs yeux, théorise le mieux leur mouvement, Herbert Marcuse, de l'Ecole de Francfort : réconciliant Freud et Marx, il pousse la libération, l'émancipation, la contestation jusqu'aux extrêmes. La spontanéité et la fête sont apprivoisées mais l'éventualité des drames n'est pas écartée. Les jeunes gens obtiennent ? et c'est considérable ? l'appui des syndicats et la sympathie de l'opinion.
Au journal, réunis en assemblée générale, et surtout pendant les barricades et les pavés de la Sorbonne, les rédacteurs me demandent de mettre le « Nouvel Obs » en autogestion et de leur soumettre mes éditos. Nous n'irons pas jusque là mais ce sont de grandes et fortes journées. Au fait, rappel pour les jeunes indifférents : sans Mai-68, pas de pilule, pas d'avortement, pas de parité homme-femme, pas de préoccupation écologique.

2. Mauvais impromptu à Carthage
La dernière bourde de Nicolas Sarkozy, dans le discours qu'il a prononcé à Carthage, doit-elle faire oublier l'immense intérêt qu'il y a à étendre et à consolider nos liens dans tous les domaines avec la Tunisie ? J'évoque ici l'étrange besoin qu'a éprouvé le président, au terme d'une allocution tout à fait opportune, d'en rajouter et de faire l'éloge de l'une des choses que l'on peut légitimement reprocher au président tunisien, son comportement dans le domaine des libertés publiques. Il suffit d'ouvrir un journal tunisien pour s'en rendre compte : il n'y a pas de liberté de la presse, donc pas de liberté d'opinion, donc les conditions d'une vraie démocratie ne sont pas remplies. Pas encore ?
Si l'on fait un voyage officiel dans un pays où règne une telle situation, que faut-il faire alors ? D'abord, évidemment, ne pas dire le contraire de la vérité. Ensuite, ne pas suggérer que la lutte contre « les talibans, ennemis communs du Maghreb et de la France » peut aisément s'accompagner de la privation des libertés, voire de l'usage de la torture. Parce que cela, c'est faire exactement le jeu de tous les islamistes. En Egypte, la force désormais imposante des Frères musulmans vient pour beaucoup de la brutalité de la répression dont ils sont victimes et de l'approbation de cette répression par les Occidentaux.
Cela dit, la Tunisie n'est pas le Tibet et il y a quelque chose d'irresponsable et même d'un peu indécent à ignorer qu'il s'agit d'un pays stable, prospère, où les bidonvilles sont rares, où, malgré la récente augmentation du prix du pain, les gens mangent à leur faim, où toute la population est scolarisée et possède un toit. Sans doute, dans le pays de Bourguiba, est-il surprenant et peut-être inquiétant de voir réapparaître le port du voile, surtout chez les jeunes filles qui ont été, avec les femmes turques, les premières émancipées dans le monde musulman. Mais c'est une raison de plus pour réussir avec la Tunisie un partenariat solide et dynamique dans un grand projet d'Union méditerranéenne, sans cesser de faire preuve à chaque instant de notre solidarité entière avec les victimes du népotisme et de l'arbitraire.


(1) « Le Débat », printemps 2008
Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 54 minutes