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Rousseau's Blog
LE COLLOQUE DE LA LIBERTE
"La liberté appartient à tous, aussi bien à la gauche qu'à la droite." Saurons-nous la défendre ensemble ? Le premier colloque de l'Institut Jean-Jacques Rousseau, le 28 juin 2007, a posé la question.
Un nouveau départ dans la vie intellectuelle de la France et de l'Europe ? C'est bien ce que les participants du colloque organisé par l'Institut Jean-Jacques Rousseau (JJRI) le 28 juin - « Le monde libre, une idée neuve » - ont eu le sentiment de vivre. Les meilleurs esprits se sont retrouvés pour commémorer la création, voici une soixantaine d'années, d'une communauté de nations dite « occidentale » ou « atlantique », fondée sur la foi, le droit et la liberté, pour célébrer ses réussites (de l'Otan à l'unité européenne, de l'ordre économique mondial à la victoire finale par K.O. sur le totalitarisme soviétique), mais aussi pour s'interroger sur la montée de nouveaux dangers. Qu'une telle réunion ait lieu, c'était déjà remarquable en soi : nous vivons à chaque instant sur l'acquis du « monde libre », mais n'y pensons presque jamais. Ce qui était non moins significatif, c'était à la fois la diversité des opinions, et que chacun se soit situé, dans les exposés comme dans les débats, au-delà des clivages politiciens et des idéologies toutes faites : gauche contre droite, ou post-socialisme contre pseudo-libéralisme...
Le colloque a été ouvert, avec la distinction souriante qu'on lui connaît, par son hôte, Pierre-Christian Taittinger, maire du XVIe arrondissement de Paris. Michel Gurfinkiel, président de l'Institut Jean-Jacques Rousseau, a ensuite passé la parole à l'essayiste Nicolas Tenzer, directeur de la revue Le Banquet, qui a prononcé une leçon inaugurale sur le concept même de « monde libre ». En soulignant notamment à quel point il était lié à trois traditions historiques : le judaïsme, religion du Talmud, donc de l'étude perpétuelle et de la confrontation perpétuelle des points de vue ; le christianisme, religion du salut individuel et donc de la personne humaine ; et l'humanisme, fondé sur un doute créateur.
Une première table ronde, animée par Charles Meyer, a abordé les racines religieuses du monde libre. Meyer a cité le Midrash (commentaire homilétique de la Bible hébraïque) : « Selon les exégètes, ce n'étaient pas les prêtres qui, dans l'ancien Israël, portaient le candélabre à sept branches sur leurs épaules, mais le candélabre qui les portait ». Ce qui revient à dire que ce n'est pas la société qui façonne la foi, mais le contraire. André Kaspi, professeur à la Sorbonne (Paris I) et président du Comité du CNRS pour l'histoire, a évoqué les Etats-Unis des années 1940, de Pearl Harbour à la fondation de l'Otan. D'une certaine manière, cette époque marque l'apogée d'une culture marquée à la fois par la foi chrétienne et l'optimisme des Lumières : d'où, par exemple, la notion, spécifiquement américaine, et inintelligible ailleurs, d'une « croisade » pour la liberté. Armand Lafèrrere, président d'Areva Canada, reprend ce thème, à travers une analyse exceptionnellement dense de la théologie calvinienne, socle religieux du monde anglo-saxon mais aussi du protestantisme français. Pour André Bercoff, journaliste et écrivain, le plus grand mérite intellectuel du monde libre est d'avoir pratiqué l'autocritique, et sans cesse accepté de mettre ses actes en accord avec ses principes affichés : permettant ainsi à un « club occidental » , blanc et judéo-chrétien, de devenir celui de l'humanité tout entière.
La deuxième table ronde, sous la houlette de Valérie Hoffenberg, était consacrée aux « piliers » du monde libre, mis en place à la fin des années 1940 et toujours présents. Le libéralisme économique, dont Florin Aftalion, professeur émérite à l'Essec rappelle qu'il est longtemps resté « hérétique » face à une pensée dominante keynésienne, jusqu'à la révolution thatchérienne de 1979, mais qui a tout de même conditionné en grande partie la prospérité américaine de l'après-guerre ou le « miracle » économique allemand. L'Otan, alliance qui, selon François Heisbourg, directeur de la Fondation de la Recherche stratégique (FRS), a préservé la paix en prenant au sérieux l'hypothèse de la guerre. Et enfin l'unité européenne, donc Christian Makarian, rédacteur en chef de L'Express, s'est fait à la fois l'historien et le champion, avec autant d'humour que de netteté dans les convictions.
Troisième table ronde, animée par Anne-Elisabeth Moutet : les menaces dirigées contre les sociétés démocratiques du XXIe siècle, et dues, dans une large mesure à des politiques à courte vue. Louis Chauvel, sociologue et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, s'interroge sur la viabilité d'une démocratie qui ne reposerait plus sur une solide classe moyenne. Ceux qui ont lu son livre sur Les classes moyennes à la dérive (Seuil, 2007) ont retrouvé son franc-parler : aussi bien face à une gauche qui n'a rien fait contre « l'inflation, donc la dévaluation, des diplômes », que face à une droite qui préféré l'héritage au mérite. Dean Godson, directeur du think-tank Policy Exchange, fait le bilan du multiculturalisme britannique : loin d'exprimer une ouverture réelle, cette pratique ne serait, selon lui, qu'un « rapatriement des habitudes coloniales ». De même que les administrateurs victoriens gouvernaient l'Empire de façon indirecte, en s'appuyant sur des élites locales plus ou moins acquises, de même les gouvernements britanniques contemporains ont cru pouvoir « déléguer » l'intégration des immigrants issus du tiers-monde et en particulier des pays islamiques à des élites communautaires. Sans comprendre que celles-ci avaient leurs propres ambitions, y compris celle de subvertir ? ou de convertir ? le Royaume-Uni tout entier. Jürgen Liminski, éditorialiste à Deutschlandfunk, souligne que la réussite du monde libre pendant les Trente Glorieuses a tenu à une réhabilitation générale de l'institution familiale et à une forte natalité ; inversement, la crise structurelle des trente dernières années coïncide avec une remise en question de la famille et un effondrement démographique. Il revenait enfin à Philippe Karsenty, directeur de l'agence de notation de presse Media-Ratings, d'examiner la question des rapports entre médias et démocratie dans un pays tel que la France. Son verdict est sans appel : ce ne sont pas les liens personnels réels ou supposés de Nicolas Sarkozy avec des patrons de presse qui menacent la liberté et la qualité du journalisme français, mais bien les structures dont celui-ci est affligé, étatisme, corporatisme, loi du silence, mépris du public. Karsenty observe que tous les journalistes français savaient à quoi s'en tenir sur le couple Hollande-Royal mais ont refusé d'en informer leurs lecteurs tout au long de l'année électorale, comme si ce n'était pas un paramètre politique important de la campagne (Media-Ratings a été le premier organe d'information à soulever la question, longtemps avant le premier tour).
La quatrième table ronde, conduite par Michel Gurfinkiel, a traité des menaces géopolitiques. L'islamisme, d'abord, analysé par Daniel Pipes, le directeur du Middle East Forum. Forme extrémiste de l'islam, ce mouvement applique simultanément deux tactiques, en fonction de ses adversaires : la non-violence (l'action sociale et caritative) et la violence (le terrorisme). Mais il n'a qu'un seul but stratégique : l'instauration d'un nouveau califat, c'est-à-dire d'un Etat islamique mondial à caractère totalitaire. La plupart des pays démocratiques cherchent à s'appuyer sur l'islamisme non-violent pour vaincre l'islamisme violent. Sans comprendre qu'il s'agit de deux variantes, liées entre elles, d'un phénomène unique. Directeur de l'Institut d'Histoire sociale (IHS), Pierre Rigoulot examine les cas de Cuba et de la Corée du Nord, électrons libres du totalitarisme que l'on n'a pas voulu ou pu éliminer dans les années 1990 après la chute de l'Empire soviétique et qui redeviennent particulièrement virulents aujourd'hui. Délégué général de l'Appel pour le Darfour, Richard Rossin dresse un tableau précis et d'autant plus terrifiant de la situation qui règne aujourd'hui dans cette région. En faisant de l'aide humanitaire une priorité absolue, de nombreuses ONG favorisent en fait l'agresseur : la junte islamiste soudanaise, qui prépare déjà un djihad-éclair à travers le Sahel. A l'arrière-plan, le rôle des grands Etats autoritaires post-communistes, Russie et Chine, qui manipulent l'islam (sous sa forme sunnite, comme au Soudan, ou chiite, comme en Iran) pour abattre l'Occident.
Deux personnalités exceptionnelles ont clôturé le colloque. D'abord le père Patrick Desbois. Chargé des relations entre l'Eglise de France et le judaïsme, ce prêtre mène aussi une oeuvre étonnante depuis une quinzaine d'années, avec l'organisation juive et catholique Yahad/In Unum : la localisation, en Ukraine et dans d'autres pays ex-soviétiques, des sites où les nazis ont perpétré le « Second Holocauste », l'extermination de 1,5 million de juifs au moins par fusillade. Peu à peu, ce qui n'était qu'un « devoir de mémoire » s'est transformé en une enquête de terrain : audition systématique des derniers témoins, fouilles sur les lieux des massacres, reconstitution des opérations. A travers ce travail, c'est la compréhension globale de la Shoah qui est en train de se modifier : le crime était encore plus vaste et mieux organisé qu'on ne le pensait. Dans quel but ultime ? En ciblant les juifs, les nazis s'attaquaient d'abord, selon Desbois, aux porteurs du Décalogue et donc du commandement : Tu ne tueras point. Tuer les juifs, c'était rendre toutes les tueries possibles. La civilisation restera précaire et vulnérable tant que cette vérité ne sera pas entendue. Claude Goasguen, député UMP de Paris, a partagé ensuite avec l'assistance quelques réflexions sur le courage politique. Il consiste, d'après lui, à ne jamais transiger sur l'essentiel. Mais aussi à ne pas s'enfermer dans le manichéisme. La liberté appartient à tous, aussi bien à la gauche qu'à la droite. Elle sera défendue par tous.
© Institut Jean-Jacques Rousseau, 2007.
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Les interventions et débats du colloque du 28 juin seront prochainement mis en ligne sur ce site.