Blog : Mikhael Nabeth

Les rabbanim Nissim Sultan de Villiers le Bel (94) et Mikael Cohen de Stains (93) ont lancé sur internet une pétition (http://1943.lapetition.be) intitulée « Stop à la vie Cacher trop cher ». Les Juifs peuvent exprimer une contestation partagée et tenter de soulever un débat probablement nécessaire au sein de la communauté. Si, comme le disent les initiatieurs, « on ne lance ni une attaque, ni une polémique », force est de constater que nous sommes pour le moins face à des rabbanim engagés. Dont acte.

Pouvez-vous nous expliquer d'où vous est venue cette co-initiative ?

Rav N. Sultan : J'ai une ?havrouta régulière avec le rabbin de Stains Mickael Cohen. Ce sujet fait partie des thèmes vraiment brûlants compte tenu de la perte de pouvoir d'achat qui se répercute aussi sur les produits cachers. On a constaté des difficultées pour les familles de se procurrer même l'essentiel et cela touche à la fois des familles modestes mais aussi des familles à revenus moyens. Donc la pression financière est telle que, entre les écoles, la nourriture cacher etc' cela devient de plus en plus difficile pour la majorité des familles, et cela ne doit pas être un sujet tabou au sein de la communauté.

A partir de quand avez-vous commencé ?

On a commencé juste après Pourim. Cette constatation a été ressentie par beaucoup de monde, on est dans des communautés où il y a des classes sociales modestes, moyennes et moyennes plus. On s'est dit que ce serait bien de fédérer un petit peu ces personnes puisqu'elles ont un point de vue commun, dans le but de les canaliser et d'entreprendre un dialogue constructif. Il ne s'agit pas de polémiquer mais d'essayer de porter à la conscience des distributeurs notamment que c'est vraiment difficile et qu'à un moment donné il faut aussi dire : « stop ! ». On ne peut pas indéfiniment, sous prétexte de piété religieuse, accepter cette situation.

Est-ce que les distributeurs sont les seuls concernés ?

On a une idée du processus, même si il est vraiment complexe. Nous ne sommes pas des professionnels de la cacherout, on intervient d'ailleurs pas en tant que tel dans notre démarche. On a simplement voulu amener le débat sur la scène car c'est de la responsabilité de tout à chacun de l'amener. J'insiste sur le fait que nous sommes conscients que les circuits de fabrication et de distribution sont complexes, et que d'un produit à l'autre, beaucoup de paramètres peuvent varier. Il y a parfois des marges importantes qui se justifient, parce que ce sont des productions difficiles, mais parfois elles ne se justifient pas. Certains signataires sont assez radicaux, d'autres en colère. Nous sommes évidemment plus nuancé, mais notre souhait serait qu'un distributeur se fasse le porteur de ce combat là et décide d'organiser une cacherout à bas prix, une cacherout à prix discount. Vous allez dans un magasin cacher, vous dépensez 300? très rapidement et vous ne ressortez pas forcément avec de quoi manger. On tient pas une semaine. Quand on a une famille surtout, c'est un véritable budget et la pression va et s'accroît pour un père de famille qui ne doit pas avoir à faire l'impasse sur l'essentiel.

Recevez-vous du soutien dans votre démarche ou se retrouve-t-on seul lorsque l'on aborde ce type de sujets ?

Nous sommes petits, notre but dans un premier temps c'est qu'il y ait un nombre de signataires importants et que ce sujet devienne un véritable enjeu de campagne, pour les élus (Grand Rabbin de France, Grand Rabbin de Paris, Consistoire Central). Le moment nous a paru opportun, je pense qu'on a à faire en général à des distributeurs de bonne volonté qui ont juste parfois besoin d'être mis face à la sensibilité des gens et aux difficultées qu'ils ont. On ne peut pas comparer une viande cacher et une viande non-cacher car c'est évident que les coûts de production ne sont pas les mêmes. Mais il faut reconnaître que c'est difficile d'admettre de telles écarts de prix, qui peuvent aller jusqu'à un pour dix sur certains produits.

Des signataires proposent un boycott. Est-ce envisageable et souhaitable d'en arriver là ?

La question n'est pas d'appeler au boycott, mais on en a parlé sous forme interrogative. Un boycott, d'un point de vue technique, c'est très difficile en matière de cacherout. On cherche des solutions, comme tout le monde. On voudrait promouvoir la consommation dites de produits autorisés, à l'instar de ce qui se fait dans les pays nordiques, où la cacherout s'organise d'une telle façon que l'on trouve des listes de produits autorisés « cachers » et parfois même « laméhadrine ». Sous forme interrogative, on arrive à cette alternative là. Soit un boycott des produits cachers, soit une consommation des produits autorisés.

D'un point de vue halakhique, est-il possible de poser la question de la notion de vol dans les prix pratiqués ?

Chaque produit et chaque référence peut avoir sa vérité, plus ou moins. Nous on a pas la compétence pour juger dans le détail chaque article, ce sont certains signataires qui ont parlé de la notion de vol, probablement sous l'effet du ras-le-bol d'ailleurs. A terme peut-être, la question pourra être posée aux autorités compétentes. C'est-à-dire que quand des marges sont imposées de manière exagérée, en dehors du fait que c'est un préjudice réel pour des familles qui ne s'en sortent plus, ne sommes-nous pas là dans une question de « ona'at mamone ?».

Donc c'est une question à poser à un possek halakha ?

Bien sûr, de toutes manières, dans un deuxième temps, cela fera partie de notre démarche. Il ne faut pas envenimer le débat, et ce n'est pas notre souhait. On se base sur la bonne volonté des distributeurs de prendre le risque d'une initiative salutaire et de faire une cacherout pas chère. Pour l'instant, le débat est avant tout diplomatique. Si par la suite, on est obligé de le muscler, on ne se gênera pas pour le faire.

Que répondre à la critique qui vous taxe de démagogie et de critique facile ?

Cette critique là l'est tout autant. Nous aussi on est des familles modestes, les gens n'en peuvent plus. Faut bien commencer, alors c'est vrai on peut dire que c'est facile mais faut bien commencer. Il faudra juger sur les résultats. Le circuit est complexe et les responsabilités sont multiples, il faut éviter aussi le simplicisme et tenter de susciter des bonnes initiatives auprès de ceux qui peuvent réellement agir.