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Photographie: Robert Frank célébré à New York

En 1947, en embarquant pour l'Amérique, Robert Frank s'était fait une petite idée de ce qu'il venait y chercher. «Venir en Amérique, c'était comme une porte ouverte, vous étiez libre », dira-t-il à une équipe de télévision anglaise en 2004, confirmant ce qu'il écrivait en 1972 dans sa biographie The Lines of My Hand» (Les lignes de mes mains). «Quand je suis parti pour le Nouveau Monde, je pensais que j'étais chanceux ».

Le photographe mettra près de dix ans pour réellement découvrir les Etats-Unis, quitter New York, s'aventurer au delà du New Jersey et entreprendre entre 1955 et 1956, un périple de 9 mois, parcourant une trentaine d'Etats, à bord d'une vieille Ford de 1950. Longue traversée dont il tirera un ouvrage, les Américains, considéré aujourd'hui comme l'un des livres de photographie les plus importants de la deuxième partie du XXéme siècle, et auquel le Metropolitan Museum de New York consacre aujourd'hui une impressionnante rétrospective, célébrant le cinquantenaire de sa parution, en 1959.

Pour Robert Frank, la seule parution de son livre a été un parcours du combattant. La première édition américaine, préfacée par l'écrivain Jack Kerouac et devenue culte, n'a finalement vue le jour qu'un an après l'édition française de 1958 ... faute d'avoir pu trouver un éditeur outre-Atlantique trouvant un intérêt à ce périple photographique. Et encore, le tirage initial fut limité à un peu plus de 1000 exemplaires et seuls 600 furent vendus...

Un livre qui dérange

Le livre, rejeté par presque l'ensemble des critiques à sa sortie, était alors dénoncé comme anti-américain dans un pays marqué par la guerre froide et la chasse aux sorcières communistes. Robert Frank, considéré avec suspicion, sera longtemps ignoré par les galeries qui n'exposeront pas, ou peu et alors sévèrement censurées, ces images parfois dérangeantes de l'Amérique profonde.

Cela n'empêchera pas en l'espace de dix ans, les Américains de devenir un livre de référence, un modèle de photojournalisme vanté dans toutes les universités américaines.

Robert Frank est né à  Zurich, en Suisse, en 1924, d'un père juif, apatride. Photographe déjà reconnu quand il arrive à New York, il travaille pour des magazines de mode. Mais c'est grâce à une bourse obtenue auprès de la fondation Guggenheim qu'il peut enfin se lancer dans ce voyage dans l'Amérique profonde qui le rendra célèbre, cette découverte de son pays d'adoption, en parallèle presque avec Jack Kerouac dont le roman Sur la route sort en 1957. Il obtient aussi l'aide d'un autre maître du photojournalisme Walker Evans, l'ami, le  mentor, son «cher professeur» comme il le désigne, en français. Walter Evans avait lui parcouru les Etats Unis dans les années 30. Une mission très officielle qui alors avait été d'esquisser une image de cette Amérique mise à mal par la grande dépression, mettant les millions d'américains  sur les routes, déracinant encore un peu plus ce peuple d'émigrés.

 

 

Au milieu des années 50 c'est une toute autre Amérique qui s'offre aux yeux et à l'objectif de Frank. Une Amérique triomphante. Le photographe est fasciné à par ce nouveau monde, sa puissance, son immensité. Cette nation optimiste, qui étale ses voitures, ses maisons, ses diners, ses stations services, ses routes, autant de symboles d'une  société de consommation ouverte à tous... ou presque. Malgré une façade pimpante, le photographe perçoit aussi dans cette société les fausses icones, cow-boys ou starlettes, la solitude, la tristesse, un vide inquiétant.

Ce n'est certainement pas le regard hostile dénoncé par les premiers critiques. Juste un regard décalé qui discerne les fissures de cette Amérique, les divisions entre riches et pauvres, noirs et blancs, jeunes et vieux, femmes et hommes, les gens de pouvoir et les laisser pour compte, et l'omniprésence du religieux.

Une photographie nouvelle

L'innovation de Frank n'est pas seulement dans ses choix éditoriaux mais dans sa façon de travailler, de cadrer: ses premiers plans flous, ses horizons inclinés, ses compositions décalées, ses dos en premier plan, ses visages cachés, ses contrastes de lumière... des choix alors choquants et inhabituels.

La rétrospective du Metropolitan Museum permet d'observer pour la première fois aux Etats-Unis les 83 tirages de l'ouvrage présentés dans leur entier et par ordre chronologique. Tous ont été tirés par Robert Frank lui même pour les plus anciens ou sous sa supervision pour ceux réalisées dans les années 60. Première surprise: la dimension des tirages, énorme (enfin presque) en tout cas  pour l'époque; on y découvre ainsi son goût marqué pour les grands formats façon Jackson Pollock ou Mark Rothko.

Sa façon de travailler pour préparer l'édition a été reconstituée. On y suit le cheminement de ses choix, parmi les 27 000 clichés et les 750 bobines,  les planches contact qu'il cochait. Autre surprise, enfin, alors qu'il a tiré quelques 1 000 clichés, comment pour la sélection finale, Frank  les dispose sur un mur ou sur le sol, les reliant par thèmes, les scénarisant, jouant sur les émotions pour créer une histoire, presque une image obsédante, de cette Amérique des années 50.

Ce livre a accompagné Robert Frank intensément et longtemps. Le dévorant presque, planant comme une ombre sur son travail ultérieur. Il a voulu abandonner la photographie la considérant comme morte, se tournant vers la mise en scène d'avant garde avant de détruire symboliquement ses propres clichés.

Citoyen américain depuis 1963, Robert Frank est aujourd'hui apaisé dans la relation avec son pays d'adoption. Et il ne renie plus ses «Américains» qu'il présente comme des «monuments de gloire et de regret»

«Looking In Robert Frank' the Americans» au Metropolitan Museum  de New York jusqu'au 3 janvier 2010

Anne de Coninck

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 30 minutes