English Version Force de Défense d'Israel sur Internet
Inscription gratuite
AccueilInfos IsraelBlogs Juifs et IsraéliensVidéo IsraelOpinions : monde Juif et IsraelLe MagTOP SitesLa BoutiqueJuif.org TV

Culture Israël

Arthur Koestler incarne le 20éme siècle

L'histoire est ingrate. Quand on parle aujourd'hui d'Arthur Koestler, ce n'est que pour mentionner Le Zéro et l'Infini (Darkness at Noon), son roman explosif jeté à la face de la Russie stalinienne. Ces 200 pages sont tout ce que l'on retient de ce nomade intellectuel qui a pourtant traversé toutes les tempêtes du 20e siècle, tel un caméléon doué du don d'ubiquité et faiseur de livres empoisonnés. Même sommaire, le résumé de sa vie est épuisant (attention, inspirez) : né dans un empire austro-hongrois moribond, il assiste à des révolutions et des contre-révolutions à répétition, avant de rejoindre le mouvement sioniste en Palestine. Devenu célèbre dans le Berlin nazifiant de l'entre-deux guerres, il est ensuite fait prisonnier dans l'Espagne de Franco, où il manque d'être exécuté. Échappant aux nazis via Casablanca, il gratifie Albert Camus d'un ?il au beurre noir, accueille George Orwell pendant les vacances et pratique avant l'heure l'autopsie du communisme soviétique. Il fait l'amour avec des jumelles mannequins, goûte aux champignons magiques avec l'écrivain américain Timothy Leary et se fait le précurseur des thèses créationnistes. Ah oui! (expirez) c'est aussi un violeur.

L'excellente biographie que lui consacre Michael Scammell - Koestler : l'odyssée littéraire et politique d'un sceptique du 20e siècle - rassemble les pièces éparses d'une vie fragmentée qui est loin de se réduire au seul livre pour lequel cet écrivain est encore connu aujourd'hui. L'essayiste et philosophe George Steiner déclara à son propos: «Certains hommes incarnent leur époque au point que leur biographie donne force et relief à ce qui a fait leur temps.» Cela est on ne peut plus vrai de Koestler; et n'en déplaise à Scammell, cet homme fut tout sauf un «sceptique». Tel le siècle qu'il personnifie, il s'imprègnera successivement de toutes les utopies, les buvant jusqu'à la lie avant de les recracher avec dégoût. Le zéro et l'infini, le rien et l'absolu, Koestler n'aura de cesse d'osciller entre les extrêmes. Sa vie illustre tous les dangers de l'utopisme, toutes les gueules de bois auxquelles il condamne.

Koestler était un concentré de nerfs et d'alcool pur d'un mètre soixante-dix, enclin à faire valser les tables dès lors qu'on lui cherchait querelle. En 1905, sa mère frôle la mort en le mettant au monde, après deux jours d'un travail exténuant; à l'époque, 34 ans est un âge avancé pour avoir son premier enfant. Koestler aimera raconter que sa famille était passée de la misère à la richesse, avant de s'évanouir dans l'exil ou les chambres à gaz. Ce n'est pas tout à fait vrai: sa mère appartenait à l'une des plus riches familles juives de l'empire austro-hongrois. Mais Koestler niera toujours tout ce qu'elle était. Dépressive chronique, elle ne pourra jamais guérir malgré ses visites au cabinet de Sigmund Freud: elle considère son fils comme un «pervers». Rejeté violemment par sa mère, livré à la solitude lors de ses nombreuses «cure de repos», il en conçoit un sentiment de culpabilité et d'infériorité qui ne le quittera jamais.

Il vit ainsi une enfance maussade, sans amis, durant laquelle il absorbe passivement toutes les haines antisémites de l'époque, qu'il retourne contre lui. Ce n'est qu'à la fin de l'adolescence qu'il trouve sa première véritable famille: les fraternités juives de Vienne. Leurs beuveries et les défis qu'ils se lancent font office de thérapie, le débarrassent enfin de sa timidité. Mais à l'université, les juifs sont agressés à coups de bâton par des foules furieuses qui scandent: «Les juifs, dehors!» Puis, un jour, un conférencier vient expliquer qu'un nouveau monde attend les juifs, un monde qui reste à construire en Palestine. Ce sera la première intoxication intellectuelle de Koestler.

Etre juif.

Cette promesse d'une terre promise sera la matrice de toutes ses méprises idéologiques. Comme il l'écrira plus tard: «Dire que l'on a 'vu la lumière' est bien faible pour décrire l'extase qui s'empare de l'esprit du converti. (...) Cette nouvelle lumière semble se déverser dans le cerveau. (...) À présent, chaque question trouve sa réponse. Les doutes et les contradictions appartiennent au passé torturé, un passé déjà lointain, où l'ignorance obscure règne en maître dans le monde fade et terne de ceux qui ne savent pas.»

Koestler croit que la création d'Israël pourra le guérir de sa judaïté, qu'il vit comme une malédiction. Il enrage contre la «tête de singe intelligent» des juifs, «au nez épais et busqué, aux lèvres charnues et aux yeux humides,» qui évoque le «masque d'un reptile archaïque». Ce n'est que dans leur pays, loin des ghettos étouffants de l'Europe, que les juifs pourront devenir «normaux». Sans surprise, l'écrivain adhère tout de suite au mouvement sioniste le plus radical, mené par Vladimir Jabotinsky, qui exige le bombardement immédiat des forces impériales britanniques en Palestine ainsi que l'expulsion complète des Arabes du Jourdain à la Méditerranée. Seule la lutte pourra racheter les juifs «efféminés».

La désillusion ne tarde pas. Koestler écrira de son séjour en Palestine: «Je me suis retrouvé dans un endroit perdu au milieu de rien, un endroit sinistre et misérable, fait de cahutes de bois entourées de potagers rachitiques». L'étudiant citadin reçoit pour mission de bêcher des carrés de choux pour les colons. Rapidement rejeté, il est gagné par l'ennui. «J'étais parti en Palestine avec tout l'enthousiasme de la jeunesse,» témoignera-t-il, mais en guise de Terre promise, j'ai découvert la réalité, une réalité extrêmement complexe qui m'attirait et me rebutait tout à la fois». Il voit que des Palestiniens innocents vivent sur ces terres et qu'ils ne méritent pas d'en être chassés. Mais il préfère ne pas trop y penser, sous peine de devenir «schizophrène». Sur le bateau à vapeur qui le ramène chez lui, il rencontre une jeune fille qui lui parle d'une autre terre promise, dont le messie s'appelle Lénine.

Passionnément idéologue

Koestler présente une étrange dualité. Quand il renonce à une idéologie, il est toujours capable d'analyser, avec une précision clinique, en quoi il a fait fausse route, alors même qu'il s'apprête à épouser la cause suivante avec une ferveur inaltérée. Ainsi se rend-il en Union soviétique, où il s'entraîne à fermer les yeux. Certes, les victimes de la famine sont partout, mourant par millions; certes, les prisons sont pleines d'innocents. Mais cela ne l'empêche pas d'écrire un livre passionnément pro-soviétique sans même évoquer ces ombres au tableau. La Russie promet un paradis qui ne connaîtra ni la pénurie ni la peine. Pour lui, les mots revêtent ce rêve d'une réalité plus tangible que toutes les horreurs dont il a pu être témoin.

Comme nombre d'intellectuels de sa génération, Koestler rejoint les troupes républicaines pendant la guerre civile espagnole. Lors de la prise de Málaga par les forces nationalistes, il fait preuve d'un véritable courage et est capturé. Les cellules franquistes lui font connaître une révélation : pour la première fois, il prend conscience de l'importance de la liberté individuelle. Relâché, il retrouve une amie en France, qui a été détenue dans les geôles soviétiques. Il comprend alors qu'elle a vécu avec le communisme ce qu'il a vécu avec le fascisme.

1 2 next ? last »
1 commentaire
Un bon article. Et Arthur Koestler était certainement quelqu'un de pas facile facile ( c'est un euphémisme ... ) ert d'assez déconcertant ( c'est encore un euphémisme ... ) Mais il faudrait mentionner son très beau roman sioniste : " Thieves In the Night " ( en traduction française : " La Tour d'Ezra " ).
Envoyé par Edmond_002 - le Mardi 29 Décembre 2009 à 06:10
Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 29 minutes