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Culture Israël

A la recherche de Saddam Hussein (1/5)

Dans le quartier bagdadien d'Azamiah, les voitures roulaient au pas, quand leurs conducteurs ne s'arrêtaient pas carrément pour lorgner le Président. On était en avril 2003, et Saddam Hussein saluait joyeusement son peuple, entouré d'une poignée de gardes du corps qui tentaient de tenir la foule à distance. Quelqu'un tendit au dictateur un bébé perplexe, qu'il souleva plusieurs fois à bout de bras avant de le rendre. Il arriva à une berline blanche et grimpa sur le capot pour passer en revue la mer de ses fidèles.

Peu de temps après-le même jour peut-être, à quelques kilomètres à peine du quartier où Saddam paradait-à Bagdad, des marines américains faisaient tomber une statue de bronze de 12 mètres de haut du dictateur irakien. A l'époque, les responsables des renseignements américains ignoraient si Saddam avait survécu à une grêle de 900 kilos de bombes et de missiles Tomahawk lancés au début de la guerre.

Qui est «le gros»?

Quand des films de piètre qualité montrant la dernière promenade du «Boucher de Bagdad» furent mis en circulation dix jours plus tard, la plupart des analystes s'interrogèrent sur leur authenticité. Personne ne fit grand cas du type à côté du dictateur, un poids lourd vêtu d'un polo rayé et arborant des lunettes de soleil. Il ne figurait pas dans le jeu de cartes représentant les 55 personnes les plus recherchées du régime, et les soldats de la coalition avaient d'autres priorités que de traquer des gardes du corps.

Il faudrait des mois pour que quelqu'un se rende compte que cet homme était la clé de la capture de Saddam Hussein. Son identité étant tenue secrète, les enquêteurs lancés à sa recherche allaient l'appeler «le gros».

La guerre en Irak restera surtout dans les mémoires pour les échecs des services de renseignements qui l'auront précédée et pour l'insurrection qui aura miné les forces de la coalition longtemps après l'annonce par le président George W. Bush de la fin des principales opérations de combat. Au milieu de ce désastre, la capture de Saddam Hussein est passée à la trappe. Cette victoire n'avait pourtant rien d'inéluctable. Au fil d'une série de cinq articles, qui commence aujourd'hui, j'expliquerai comment une poignée de soldats américains novateurs ont utilisé les théories qui forment les fondements de Facebook pour traquer Saddam Hussein. Nous verrons aussi comment cette traque a ouvert une nouvelle voie aux stratèges militaires, pourquoi ces techniques ne sont pas utilisées plus souvent, et pourquoi la théorie des réseaux sociaux ne nous a pas aidé à pincer Oussama ben Laden.

La fausse piste du jeu de cartes

Dans les premiers jours de la guerre, les forces de la coalition ont écumé l'intégralité du jeu de cartes. Le  1er mai 2003, alors que le président George W. Bush fanfaronnait sous le tristement célèbre drapeau «mission accomplie», 15 des hommes figurant sur ces cartes s'étaient rendus ou avaient été capturés. Les troupes de la coalition tuèrent 12 autres cibles en mai, dont un des gendres de Saddam. On avait beau s'accrocher à ces prisonniers d'élite, la piste menant à Saddam-s'il était encore vivant-n'allait toujours nulle part. Et quand l'armée capturait une personnalité importante, en général elle ne s'avérait pas d'une grande utilité.

Prenons le cas d'Abid Hamid Mahmoud al-Khatab, l'as de carreau, secrétaire personnel de Saddam, en qui il avait toute confiance. Abid, toujours présent aux côtés du dictateur sur les photos d'avant la guerre, n'avait qu'un accès limité à Saddam lorsqu'il était au pouvoir. A en croire les journaux, sa capture, à la mi-juin, était l'un des faits de guerre les plus décisifs. «L'Irakien capturé sait peut-être où est Saddam», se réjouissait l'Associated Press. Les espoirs qu'Abid puisse conduire les Etats-Unis à Saddam ne tardèrent pas à s'évanouir. Le conseiller de confiance, que certains appelaient «l'ombre de Saddam», expliqua à ceux qui l'interrogeaient que lui et les deux fils de Saddam avaient quitté le dictateur depuis un bon moment, quand celui-ci s'était persuadé qu'ils auraient de meilleures chances de survie en se séparant. Mauvaise nouvelle pour l'effort de guerre, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, à en croire Abid, Saddam Hussein était toujours vivant. Ensuite, il ne semblait pas rechercher la protection des personnages du jeu de cartes. Pour le repérer, l'armée allait devoir repartir de zéro. Elle avait misé sur les mauvaises personnes.

La société irakienne n'est pas la société américaine

Si le jeu de cartes n'a pas servi à retrouver Saddam, c'est tout simplement parce que beaucoup des personnages qui y étaient représentés n'étaient pas les bons. Presque tous les hommes de ce jeu conçu par l'agence de renseignements du département de la Défense étaient des membres du gouvernement de Saddam. Les personnages des cartes de moindre valeur étaient principalement des cadres moyens, comme le vice-président du bureau des Affaires tribales (neuf de trèfle) et le ministre du Commerce (six de c'ur).

S'il était cohérent que ces hommes, en tant que hauts fonctionnaires et membres du parti Baas, soient recherchés, leur capture n'allait ni paralyser l'insurrection naissante, ni conduire la coalition dirigée par l'Amérique à leur ancien patron. Leur pouvoir s'était évaporé à l'instant même où le régime s'était effondré et que l'Irak retombait entre les mains des réseaux tribaux. La Liste Noire, longue nomenclature comprenant les noms de centaines d'autres cibles, comportait le même genre d'insuffisances. Si quelques personnages intéressants figuraient tout en bas de la liste ? des hommes comme «le gros», qui allait s'avérer central à l'insurrection post-invasion ? ils étaient mêlés à des gens mal identifiés, complètement innocents, voire les deux.

Pourquoi les complices d'après-guerre de Saddam ne figuraient-ils pas dans le jeu de cartes' Simplement parce que les architectes de la guerre avaient omis de prendre en compte les différences de fonctionnement entre la société irakienne et la nôtre. Le régime de Saddam était construit sur les anciennes traditions tribales du pays-un héritage qu'il avait soit supprimé, soit qu'il essayait de plier à sa cause, selon les besoins qu'il avait des cheikhs (comme l'écrivait le New York Times dans une note édifiante deux mois avant l'invasion, les tribus sont les «électeurs décisifs dans la politique violente du Moyen-Orient»). Quand Bagdad est tombée, les institutions du régime de Saddam se sont écroulées avec elle. Soudain, les présidents régionaux du parti Baas - les plus petites cartes du jeu - ont perdu tout lien qu'ils avaient pu un jour entretenir avec Saddam (à moins qu'ils n'aient été de sa famille).

Le pouvoir des tribus

Qui la coalition aurait-elle dû rechercher' Une étude minutieuse de la structure tribale irakienne, tout particulièrement autour de la région de Tikrit d'où venaient la plupart des hommes de confiance de Saddam, aurait permis de constituer un casting bien différent des fauteurs de troubles. La plupart étaient des gardes du corps de haut rang, beaucoup de la propre famille de Saddam, vivant dans des maisons et des fermes opulentes près de Tikrit. Certains avaient figuré dans la foule des forces de sécurité de Saddam, mais c'est leurs liens personnels qui déterminaient leur influence auprès du président, pas le contenu de leur CV.

Les renseignements sur le tissu social irakien étaient faciles à trouver avant la guerre. En 1997, l'expert sur l'Irak Amatzia Baram, professeur à l'université d'Haïfa, publia un article qui fait aujourd'hui autorité sur les politiques tribales de Saddam. Cette étude décrivait comment, au milieu des années 1990, Saddam avait intégré de puissants chefs tribaux à son gouvernement et leur avait accordé une certaine autonomie, ce qui avait conduit certains de ces cheikhs à outrepasser les limites de leur autorité. Cet article avait attiré l'attention d'inspecteurs de l'armement, ainsi que du représentant irakien des Nations Unies de l'époque, Nizar Hamdun, qui l'avait envoyé à Bagdad. (Baram pense que Saddam l'a lu. Environ cinq semaines après sa parution, le dictateur publia un décret réaffirmant que les lois de son gouvernement primaient les lois tribales).

Les renseignements sur la personnalité bien particulière de Saddam ne faisaient pas non plus défaut. Jerrold M. Post, ancien directeur du centre d'analyse de la personnalité et du comportement politique de la CIA, a publié une longue analyse sur le dictateur en 1991. Depuis sa plus tendre enfance, Saddam était un survivant qui faisait en sorte d'être toujours protégé. Dès le début de la guerre, Saddam avait compris que la coalition allait rechercher ses plus hauts lieutenants; Post devine que Saddam a voulu augmenter ses chances de survie en laissant tomber ses alliés du gouvernement et en partant en cavale.

Mais vers qui se tourner' Vingt-quatre années de règne meurtrier, ponctuées de tentatives répétées de coups d'Etat, avaient rendu Saddam paranoïaque à juste titre. «Sa mentalité de conspirateur était plus complexe qu'il n'y paraissait», explique Post. Privé des moyens physiques de terroriser ses associés pour qu'ils se soumettent, il lui fallait se tourner vers ceux en qui il pouvait avoir le plus confiance. Comme le sait quiconque a vu Le Parrain - dont Saddam était un grand fan, souligne Post - en temps de crise, c'est vers la famille qu'on se tourne.

Si le jeu de carte avait été conçu en prenant en compte cet aspect du fonctionnement de Saddam, il aurait inclus les familles de Tikrit qui entretenaient des liens forts avec le régime. Il est probable que même le gros homme au polo marron à rayures-le garde du corps qui suivait Saddam dans les rues de Bagdad-aurait eu sa carte. Même si Saddam et ses fils avaient péri le premier jour de la guerre, lui aurait été le genre de personne capable de mener une insurrection à sa place.

Les Américains ne se sont pourtant pas trompés sur un point. Après la chute de Bagdad, Saddam est allé là où il retournait toujours quand il avait des problèmes. A la maison.

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Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 22 minutes