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Israël : Défense au Moyen-Orient

11 septembre: la théorie de l'espace-temps

A l'occasion du huitième anniversaire des attaques du 11 septembre 2001 contre New York et Washington, nous republions une série de neuf articles de Slate.com sur les raisons pour lesquelles il n'y a plus depuis un autre attentat d'ampleur sur le sol américain. Pour lire l'introduction, cliquez ici, le premier volet ici 11 septembre: Les fous de Dieu ne sont pas des criminels de génie, le deuxième article Al-Qaida préfère-t-il le Pakistan et l'Afghanistan à l'Amérique', le troisième article Les musulmans américains n'ont pas suivi al-Qaida, le quatrième article Al-Qaida cherche-t-il à dépasser le succès du 11 septembre' le cinquième article 11-Septembre et Irak: la théorie du papier tue-mouches, le sixième article Bush a-t-il protégé l'Amérique après le 11 septembre' et le septième 11 septembre: la théorie des cycles électoraux.

Le siège de la Rand Corporation est abrité dans un temple de la raison d'une blancheur aveuglante à quelques centaines de mètres de l'océan Pacifique, Santa Monica (Californie). C'est en ces lieux ? ou plutôt, juste à côté, dans les bâtiments carrés typiques des instances internationales que ce groupe de réflexion occupa pendant un demi-siècle avant d'emménager, il y a quatre ans, dans des locaux flambant neufs à 100 millions de dollars ? c'est là, donc, que la stratégie de la guerre froide reposant sur l'équilibre de la terreur fut mise sur pied. Là aussi qu'Internet vit le jour. Créée par l'armée de l'air américaine en 1948, cette organisation à but non lucratif allait «inventer un langage totalement nouveau dans [sa] quête de rationalité», écrivait en 1983 Fred Kaplan, désormais chroniqueur de Slate, dans son ouvrage The Wizards of Armageddon («Les sorciers de l'Armageddon»).

La Rand est le berceau de la théorie de la rationalité, mode de pensée strictement utilitaire qui peut s'appliquer à tous les champs des sciences sociales. Dans la théorie de la rationalité, systèmes de croyances, contexte historique, influences culturelles et autres fioritures irrationnelles sont écartés dans l'analyse des dynamiques du comportement humain. Seule subsiste la recherche rationnelle et méthodique de l'intérêt personnel. Telle est la religion qu'a adoptée la Rand. «Vous pouvez laisser votre sac dans mon bureau», me dit Darius Lakdawalla, économiste en chef à l'institut, avant de nous rendre à la salle de conférence. «Il n'y a pas de vols, à la Rand» Quand je lui demande si aucune «externalité» n'avait droit de cité dans les locaux, il émet un petit rire poli.

Lakdawalla et Claude Berrebi, autre économiste de l'institut, sont les co-auteurs d'un article scientifique publié en 2007 et intitulé «Variations du risque terroriste en fonction de l'espace et du temps». (Pour télécharger l'article dans son intégralité au prix de 30 $, c'est ici. Le résumé gratuit est ici.) Contrairement aux arguments avancés par Thomas C. Schelling, spécialiste de la théorie des jeux, par Max Abrahms, chercheur au Centre pour la sécurité et la coopération internationales de l'université de Stanford (Cisac) et par Marc Sageman, expert psychiatre et ancien collaborateur de la CIA, Berrebi et Lakdawalla partent du principe que les terroristes poursuivent des objectifs précis de manière rationnelle. Sur un plan bassement tactique, Berrebi estime même que les terroristes sont très rationnels. Car il est tout à fait possible, renchérit Lakdawalla, de poursuivre un but irrationnel de façon rationnelle. Berrebi s'appuie sur la tendance des groupes terroristes à recourir aux attentats suicides quand il n'existe pas d'alternative. En général, ils favorisent les cibles faiblement protégées. «Quand les choses se compliquent, les terroristes, comme tout le monde, recherchent des solutions plus faciles», note ainsi Lakdawalla. Dans cette logique, on a donc peu de chance d'être tué dans un aéroport, où les mesures de sécurité sont extrêmement strictes; en revanche, il faut se méfier des centres commerciaux surveillés uniquement par des agents de sécurité qui s'ennuient.

Priorités

Quand Schelling, Abrams et Sageman évoquent l'irrationalité des terroristes, ils font référence à leur incapacité à établir des objectifs d'ordre stratégique. A cela, Berrebi répond qu'on ne peut pas l'affirmer sans savoir ce que les terroristes veulent exactement: «Nous ignorons les véritables buts de ces organisations». Or, chaque groupe est susceptible d'avoir de nombreux buts, dont certains peuvent être contradictoires. Et vue la nature intrinsèquement secrète de ces groupes, il est très difficile de déterminer à quel but ils donnent la priorité.

L'un des objectifs évidents du 11-Septembre était de nuire aux Etats-Unis. Dans les articles «Pas si malins, les terroristes» et «Les Musulmans américains n'ont pas suivi Al-Qaida», nous avons rappelé les dommages considérables que les représailles américaines ont infligé à Al-Qaida. Cependant, les Etats-Unis en ont aussi ont pâti. Près de 5.000 soldats américains ont péri en Irak et en Afghanistan, et plus de 15.000 en sont revenus blessés. Plus de 90.000 civils irakiens ont été tués, et près de 10.000 civils afghans. En Afghanistan, où les combats s'intensifient, plus de 2 000 civils ont perdu la vie rien que l'an dernier. « Dans les pays musulmans, la guerre en Afghanistan, et plus encore en Irak, ont dramatiquement entamé l'image [des Etats-Unis]», rapportait en décembre dernier le PEW Global Attitudes Project. Les sondages Gallup effectués entre 2006 et 2008 ont établi un taux d'approbation du gouvernement américain de 15 % au Moyen-Orient, de 23 % en Europe et de 34 % en Asie. Bien sûr, les victimes civiles ont également causé du tort à l'image d'Al-Qaida, comme je l'ai souligné dans «Pas si malins, les terroristes». Mais si le groupe cherchait à affaiblir la position des Etats-Unis dans le monde, notamment au Moyen-Orient, il y est bel et bien parvenu.

L'étude du PEW a toutefois montré que la plupart des pays voyaient d'un bon ?il l'élection d'Obama, qui a déjà décrété la fermeture de Guantanamo et l'abrogation des lois faisant peu de cas de la Convention de Genève passées sous l'administration Bush. Cependant, entre la présence militaire renforcée en Afghanistan et le sentiment de plus en plus palpable que les troupes américaines vont encore rester en Irak pendant quelques années, les Etats-Unis ne vont pas retrouver les faveurs du monde musulman de sitôt.

La théorie de la rationalité est plus à l'aise en économie; et là, les chiffres parlent d'eux-mêmes. En mars 2008, Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, et Linda Bilmes, de la Kennedy School de Harvard, ont estimé le coût de la guerre en Irak à 3.000 milliards de dollars. En octobre de la même année, le Congressional Research Service a calculé, peut-être plus prudemment, un coût supplémentaire de 107 milliards pour la guerre en Afghanistan, et de 28 milliards pour le renforcement de la sécurité sur le territoire depuis le 11-Septembre. Toujours selon le service du Congrès, chaque soldat américain envoyé en Irak ou en Afghanistan coûte 390 000 dollars au contribuable. Ce qui signifie que pour chaque soldat déployé dans l'un de ces pays, les Etats-Unis dépensent quasiment autant que les 500 000 dollars qu'aurait dépensés Al-Qaida pour toute l'opération du 11-Septembre. Un sacré retour sur investissement pour Ben Laden, note Berrebi. Bush a laissé un déficit budgétaire de près de 500 milliards de dollars, et ce, avant même de prendre en compte la panoplie de dépenses qui, selon la plupart des économistes, seront nécessaires pour éviter une nouvelle Grande Dépression. «Pour nous, la récession est encore plus douloureuse», commente encore Berrebi. Al-Qaida n'en est pas la seule raison, mais il en est un important facteur.

«Proximité»

Dans «Variations du risque terroriste en fonction de l'espace et du temps», Berrebi et Lakdawalla se fondent sur le cas israélien, mais leur théorie peut contribuer à expliquer pourquoi Al-Qaida n'a pas réattaqué les Etats-Unis depuis le 11-Septembre. Le terme «espace» s'applique au site choisi pour perpétrer les attaques. A cet égard, les chercheurs remarquent que la proximité avec le siège de l'organisation terroriste, de même qu'un accès facile à une frontière internationale, sont déterminants dans la décision de frapper. Selon leurs calculs, «quand la distance avec la base des terroristes est multipliée par deux, la fréquence des attaques diminue de 30%.» De même, les zones proches d'une frontière internationale «sont deux fois plus exposées» que les régions éloignées d'un autre pays. Sous cette lumière, Israël est une bénédiction pour les terroristes islamistes. En plein c'ur du Moyen-Orient, le pays compte au maximum 135 km d'est en ouest.  A l'inverse, les Etats-Unis sont un enfer: cernés à l'est et à l'ouest par les océans, ils s'étendent sur près de 5.000 km de large. Les expériences respectives avec le terrorisme de ces deux pays reflètent cette réalité géographique.

La notion de «temps» correspond quant à elle aux intervalles entre chaque attaque; et cet aspect est bien moins réconfortant pour les Nord-Américains. Dans la salle de conférence du Rand, Berrebi a dessiné un graphique sommaire pour illustrer sa démonstration. L'axe vertical représentait le risque d'attaque dans une capitale régionale, et l'axe horizontal, le passage du temps. Ça ressemblait à ça:

 

La courbe de risque augmente fortement à l'approche d'une attaque (on s'en doutait), puis elle retombe et se stabilise avant de recommencer à grimper. Je racontai alors à Berrebi et Lakdawalla que ma petite amie s'était rendue à New Delhi deux semaines après les attentats de Bombay, et que cela m'avait beaucoup inquiété. A tort, apparemment! Berrebi secoua la tête et me montra la courbe juste à droite du premier pic: immédiatement après un attentat, le risque reste très élevé car les autorités mettent un certain à réaliser ce qu'il se passe et à renforcer la sécurité, et que l'opération des terroristes n'est peut-être pas complètement achevée. Puis, petit à petit, les mesures de sécurité sont mises en place. Avant de se relâcher progressivement, ouvrant de nouveau une brèche pour les terroristes.

A Jérusalem, Berrebi et Lakdawalla ont établi qu'après un attentat, la courbe de risque reprenait son ascension après seulement deux mois d'accalmie. Et les chercheurs de conclure: «De longues périodes sans incident auraient donc tendance à indiquer un risque élevé pour les zones sensibles.» Réminiscence de ces films de guerre où l'on voit deux soldats en faction contempler la nuit paisible... «C'est calme», dit le premier. «Oui, trop calme», répond le second. Alors le cri de ralliement de l'ennemi se fait entendre, et la bataille s'engage.

 

A Jérusalem, deux mois s'écoulent entre le pic et le creux de la courbe. Aux Etats-Unis, cette période de temps est de X mois, où l'inconnue X est supérieure à 44. Si les Etats-Unis subissent un nouvel attentat terroriste, Berrebi et Lakdawalla pourront déterminer la valeur de X. Ils pensent qu'ils obtiendront cette donnée. Mais ils ne savent pas exactement quand.

Timothy Noah

Traduit par Chloé Leleu

Image de une Miles City, Montana. Photo CC Flickr dave_mcmt

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Dernière mise à jour, il y a 35 minutes