De
Munich à l'assassinat de Mabhouh, l'agence de renseignement israélienne
a mené à bien quelques opérations franchement délicates en son temps.
Mais dernièrement, les médias et les politiciens du Moyen-Orient ont
laissé leur imagination s'emporter afin d'échafauder des scénarios plutôt
fantasques.
Le protocole des vautours de Sion
Pays: Arabie saoudite
Le complot: les scientifiques israéliens dressent des vautours à espionner les pays arabes.
Les preuves: Début janvier, près de la ville rurale d'Hayel, les forces de sécurité d'Arabie Saoudite ont capturé
un vautour vivant portant un bracelet marqué «université de Tel Aviv».
Les scientifiques israéliens affirment que l'oiseau appartenait à une
étude sur les migrations, mais les habitants ont confié aux médias qu'il
faisait plus probablement partie d'un «complot sioniste». Sur les sites
Internet saoudiens, la théorie du dressage d'oiseaux-espions israéliens
s'est enflammée.
Les chercheurs de l'université de Tel Aviv affirment
que plusieurs vautours ainsi marqués ont atteint l'Arabie Saoudite
depuis le début de l'étude. La plupart sont probablement morts, mais
l'un d'entre eux est encore quelque part dans le pays'sans nul doute en
train de rassembler des renseignements vitaux pour le compte de l'entité
sioniste'et pour l'instant, «R65», celui qui a été capturé, n'a montré
aucune velléité de dénoncer son camarade.
Les dents de Jérusalem
Pays: Égypte
Le complot: Le Mossad lâche des requins dans la mer Rouge pour nuire à l'industrie touristique égyptienne.
Les preuves: Depuis 1975 et Les dents de la mer du
cinéaste notoirement sioniste Steven Spielberg, rien n'est plus
efficace pour ruiner une saison touristique qu'un requin en liberté.
C'est exactement ce qui s'est produit cet hiver quand cinq baigneurs ont
été attaqués (dont un mortellement) par un requin sur la côte
égyptienne de la mer Rouge près de Sharm El Sheik, une destination très
touristique.
Comme
si cela ne suffisait pas, d'aucuns ont avancé qu'il ne s'agissait
peut-être pas d'un requin ordinaire. Dans le programme télévisé
populaire Egypt Today, un expert identifié comme «le capitaine Mustafa Ismail, célèbre plongeur de Sharm el-Sheikh», a prétendu
que la côte égyptienne n'était pas un habitat naturel des requins des
océans, et que quelqu'un avait dû les introduire dans ces eaux. Ismail a
expliqué qu'un de ses amis plongeurs de la ville balnéaire israélienne
d'Eilat avait récemment trouvé un petit requin avec un GPS sur le dos,
ce qui prouvait qu'il avait été envoyé pour infiltrer la côte
égyptienne.
Le gouverneur de la péninsule égyptienne du Sinaï a mis de l'huile sur le feu en affirmant:
«Ce qui a été dit sur la possibilité que le Mossad ait lâché le requin
tueur dans la mer pour frapper le tourisme en Égypte n'est pas hors de
question. Mais il faudra du temps pour le confirmer».
Cependant, les biologistes marins égyptiens ont écarté ces théories,
et ont qualifié de «triste» le fait que la télévision d'État ait
contribué à diffuser la théorie du complot. Pour ce qui est du requin
lui-même, un autre communiqué de presse (douteux) suggère qu'il a été tué par un touriste serbe saoul qui lui aurait atterri sur la tête après avoir sauté dans l'eau depuis un plongeoir.
Le heavy métal des Maccabées
Pays: Turquie
Le complot: Le Mossad a organisé une soirée métal avec des Allemands adeptes du shock-rock pour embarrasser les Turcs.
Les preuves:
Le festival Sonisphere 2010 à Istanbul a été un véritable paradis pour
les métalleux, avec des performances de groupes comme Metallica, Slayer,
Megadeth, Anthrax et Rammstein. Hélas, le sponsoring et le timing du
festival a transformé ce qui n'aurait dû être qu'une innocente occasion
de s'adonner aux power chords et autres vociférations musicales en bombe diplomatique.
Le
concert s'est déroulé le même mois que le raid sur la flottille de
Gaza, qui a coûté la vie à neuf activistes turcs. En outre, il était
organisé par Purple Concerts, entreprise basée en Allemagne et gérée par
des Israéliens. Un article du quotidien turc Vakit
y a vu la main du Mossad, et s'est indigné que le concert «veuille se
moquer de nos citoyens qui ont perdu la vie par la faute du gouvernement
israélien».
Cet
article était tout particulièrement remonté contre le fait que de
l'alcool ait été servi pendant le festival, et contre la présence du
groupe allemand Rammstein, qui, à en croire le journal, «encourage la
violence, le masochisme, l'homosexualité et autres perversions» (car
chacun sait que rien n'évoque davantage un complot sioniste que des
Allemands hurlant devant la foule). Et peu importe si la tournée
Sonisphere a déclenché les mêmes perversions dans dix autres pays en
2010.
Le réseau social (d'espions)
Pays: Iran
Le complot: Mark
Zuckerberg, le fondateur de Facebook, à la solde des agences de
renseignement occidentales, transmet des informations aux gouvernements
américain et israélien et complote dans le but de déstabiliser la
République Islamique.
Les preuves: Si l'on en croit le récent film hollywoodien The Social Network, c'est la frustration d'une rupture amoureuse qui a incité Zuckerberg, alors étudiant, à créer Facebook. Mais selon un extrait de la télévision iranienne
qui s'est répandu comme une traînée de poudre sur le Net en novembre,
ses motivations étaient bien plus malveillantes. Les producteurs ont
bien fait leur boulot. Ils notent: «Selon un rapport du site Internet
brainz.org, qui appartient au gouvernement américain, à l'origine,
Zuckerberg est juif».
La vidéo explique que le vrai objectif de Facebook
est de «trouver des gens susceptibles de s'engager dans des opérations
spéciales pour les agences de renseignement occidentales». Un article
photoshoppé et inexistant du journal britannique The Independent
est également cité, selon lequel «Facebook est un site Internet
d'espionnage israélien dont le devoir est d'atirer (sic) des espions en
faveur d'Israël et des États-Unis».
Étant
donné l'attention dont a fait l'objet le rôle de Facebook lors des
manifestations autour des élections iraniennes de 2009, rien de
surprenant que Zuckerberg ait attiré les foudres d'adeptes de la théorie
du complot de Téhéran. Mais Zuckerberg est aussi depuis peu dans le
collimateur d'un procureur du Pakistan, qui a ouvert une enquête pour blasphème
contre lui, l'accusant d'avoir permis à des images du prophète Mahomet
d'être postées sur Facebook. Le site a été brièvement bloqué dans le
pays. Les images incriminées sont toujours sur le site.
Le slip piégé de l'agent d'Israël
Pays: Iran
Le complot:
Les agents du Mossad, en coopération avec les services de renseignement
indiens, ont organisé la tentative d'attentat aérien d'Umar Farouk
Abdulmutallab le jour de noël 2009.
Les preuves: Selon un rapport
de Press TV, média iranien d'État, une compagnie de sécurité
israélienne s'est arrangée pour qu'Abdulmutallab embarque sans passeport
à bord d'un avion à Amsterdam. Un «homme indien» aurait de toute
évidence joué un rôle crucial dans l'organisation du passage
d'Abdulmutallab, ce qui n'a rien de surprenant puisque «Israël et l'Inde
sont des partenaires commerciaux très proches, surtout par leurs
contrats militaires». Une fois à bord de l'avion, selon le même récit,
un autre passager aurait passé tout le vol à filmer Abdulmutallab, même
après qu'il a tenté de faire exploser la bombe cachée dans ses
sous-vêtements.
Le
rapport, qui cite l'agence de presse Mathaba, postule aussi que le pays
natal d'Abdulmutallab, le Nigeria, est «contrôlé clandestinement par
l'armée israélienne et le Mossad» et cite l'éminent «analyste militaire
et spécialiste de la contre-insurrection Gordon Duff» (qui pense aussi
que WikiLeaks est un complot israélien), selon lequel à l'exception des
«faux espions» libérés de Guantánamo par l'ancien président George W.
Bush, il n'existe au Yémen, où le candidat-terroriste aurait été formé,
aucun membre d'al Qaeda.
Pourquoi
formenter un tel complot' L'article suggère que l'objectif était de
susciter un «traumatisme orwellien et de faire du Yémen, ainsi que du
continent africain, la nouvelle cible de la soi-disant «guerre contre le
terrorisme» des États-Unis». Mais pourquoi Israël et l'Inde
voudraient-ils concentrer l'attention des États-Unis sur le Yémen et le
Nigeria plutôt que sur les Palestiniens et le Pakistan' Cela reste à
éclaircir.
Joshua E. Keating
Traduit par Bérengère Viennot