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Diplomatie : Israël & le Moyen-Orient

Les Kurdes, la constance de Kouchner

Dernière
mission du ministre français des Affaires étrangères' Il était en début de
semaine à Ankara pour y préparer la présidence française du G20. Aux yeux des
Turcs, Bernard Kouchner a deux défauts: il est l'ami des Kurdes et il s'est
dédit en se ralliant à la position de Nicolas Sarkozy contre l'entrée de la
Turquie dans l'Union européenne.

A un ami qui
lui demandait récemment d'intervenir auprès des autorités turques sur le
dossier kurde, Bernard Kouchner répondit à peu près ceci:

«Je ne suis
sans doute pas le mieux placé pour cela. Les Turcs connaissent mon engagement
auprès des Kurdes; et puis difficile de se faire entendre d'eux alors
qu'actuellement les relations entre la Turquie et la France sont loin d'être au
beau fixe!»

Voilà sans
doute l'un des rendez-vous manqué du ministre français des Affaires étrangères.
En 2008, Bernard Kouchner a opéré un virage à 180° en s'alignant sur la
position du président Nicolas Sarkozy. Lui qui quatre ans plus tôt affirmait
qu'il «faudrait être fou pour éconduire
le seul grand pays musulman qui a séparé la religion de l'Etat et qui nous tend
la main» s'opposait
à son tour à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.

Aujourd'hui,
alors que l'hallali sonne pour Bernard Kouchner et que les Turcs lui reprochent
ce virage, c'est pourtant de ce côté-là du monde qu'une petite musique plus
douce se fait entendre. Elle provient des montagnes kurdes d'Irak du Nord. «Quand les Kurdes regardent de leur fenêtre,
ils voient que Bernard Kouchner a été d'une grande constance et d'une longue
fidélité. Qu'il ait été médecin, président de Médecins du Monde, secrétaire
d'Etat ou ministre de l'action humanitaire, député européen ou ministre des
Affaires étrangères, jamais il n'a failli à notre égard», explique le
directeur de l'Institut kurde de Paris, Kendal Nezan, qui se fait l'écho à
Paris de cette petite musique.

L'histoire de
Bernard Kouchner et des Kurdes débute en septembre 1974. Médecins sans
Frontières (MSF) l'envoie évaluer les besoins médicaux de la résistance kurde à
Saddam Hussein. Pour rejoindre les maquis kurdes, il doit passer par l'Iran. A
l'époque, nombre de gens de gauche refusent tout contact avec le régime
autoritaire du Shah. Le «french doctor» Kouchner n'en a cure. Il passera par
l'Iran, puisque c'est le seul moyen d'avoir accès à l'enclave contrôlée par
Moustafa Barzani et ses hommes. A droite, Jacques Chirac en tête, on soutient
le régime de Saddam Hussein. Et on regarde cette initiative pro-kurde d'un
mauvais ?il. Même MSF est divisée: aider les Kurdes, objectent certains, c'est
s'aligner sur les positions israéliennes et américaines. Autant dire que
Bernard Kouchner n'a pas grand monde avec lui. Déjà, la «marque Kouchner».
L'électron libre qui agace tant politiques et diplomates de carrière.

Le déclic

Ce voyage
clandestin, un déclic, est le premier d'une longue série: «De toutes mes tribulations dans le Tiers monde, l'homme qui m'a le
plus impressionné, Abdul Rahman Ghassemlou, était kurde», confie-t-il à
Daniel Cohn Bendit dans le dialogue qu'ils mènent en 2004 (Quand
tu seras président', Robert Laffont). Au fil des années, le french
doctor tisse de solides liens avec certains de ceux qui dirigeront l'Irak
d'après Saddam. «Docteur Kouchner, vous
êtes au Kurdistan, chez vous», lui précise récemment le président du
gouvernement régional du Kurdistan irakien, Moustafa Barzani, trente-six ans
après leur première rencontre. Il bénéficie également d'un accès privilégié à
l'ancien frère ennemi de Barzani: le président d'Irak, le Kurde Jalal Talabani,
que Bernard Kouchner a rencontré en 1983 en pleine guerre Iran-Irak.

Sous François
Mitterrand, il avait d'ailleurs tenté sans succès de réconcilier Talabani et
Barzani. Ces liens exceptionnels ont donc, très certainement aussi, joué leur
rôle dans la nomination de Bernard Kouchner au Quai d'Orsay en 2007: «Les Etats-Unis veulent (?) que la France
soutienne la création d'un Etat kurde. Pour cela, Bernard Kouchner, ami des
chefs féodaux kurdes depuis plus de trente ans, est l'?homme qu'il faut à la
place qu'il faut'», avançait alors un homme de l'autre bord, Gilles
Munier, secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes.

Durant neuf
mois, en 1988, le régime irakien va bombarder sans répit les zones kurdes,
faisant des dizaines de milliers de victimes. A Halabja, le 16 mars
1988, les Mig et les mirages irakiens sont relayés par des hélicoptères vendus
aux Irakiens par la France et les Etats-Unis. Après les bombes, Saddam Hussein
monte d'un cran, et utilise l'arme chimique. 5.000 morts, gazés. «L'horreur», se souvient Bernard
Kouchner qui s'est rendu deux fois à Halabja. Ce qu'il y a vu l'a certainement
influencé lors de sa décision de soutenir trente ans plus tard l'intervention
américaine contre le dictateur irakien alors que «nous avons été si longtemps assez lâches pour ne pas libérer les
Irakiens et d'abord les Kurdes de Saddam Hussein», argumente-t-il
souvent. 

Après Halabja,
32 pays sont prêts à envoyer des représentants à Paris pour la tenue d'une
Conférence internationale sur le sujet. La délégation kurde est déjà sur place,
mais le Quai d'Orsay fait demi-tour et annule à la dernière minute la tenue de
cette assemblée: par crainte de déplaire à la Turquie et à l'Irak. Saddam Hussein
ne manque pas de moyens de pressions, financiers et politiques. La délégation
kurde ne trouvera même pas un seul interlocuteur à qui parler au Quai d'Orsay.
C'est Bernard Kouchner, alors secrétaire à l'action humanitaire qui la recevra.

Résolution 688

Trois ans plus
tard, au lendemain de la guerre du Golfe, l'exode massif des Kurdes d'Irak
permet une avancée sans précédent du «droit d'ingérence», dont le french doctor
rêve depuis le début des années 1980. Mario Bettati donne à la chose sa tournure
juridique. «Si l'ONU n'intervient pas
militairement en Irak du nord pour protéger les populations civiles kurdes
exposées aux représailles de Bagdad, elle perd sa raison d'être», défend en
substance François Mitterrand, enfin convaincu par les arguments de son épouse
Danielle, de Bernard Kouchner et de quelques autres encore. La bataille
diplomatique est rude, dix jours de débat, face aux Américains. Mais le camp du
«oui» l'emporte et le Conseil de sécurité des Nations Unies vote la résolution
688. C'est l'un des moments forts de la carrière de Bernard Kouchner. Il
le rappelait encore le 27 septembre dernier, devant l'assemblée des Nations
Unies.  

Désormais, les
aviations américaine et britannique protègent l'enclave kurde en territoire
irakien. En 1992, Bernard Kouchner veut s'y rendre. Trois ans auparavant,
Roland Dumas, le patron du Quai d'Orsay, était bien parvenu à empêcher
«l'incontrôlable Kouchner» de venir clandestinement en Afrique du sud afin d'y
prendre langue avec les mouvements anti-apartheid. Cette fois-ci, il ne peut
s'y opposer: Bernard Kouchner accompagne Danielle Mitterrand à Erbil. Pour les
Kurdes, Bernard Kouchner a une alliée de poids en la personne de l'épouse du président
de la République, à la grande colère des autorités civiles et militaires
turques. Celles-ci redoutent qu'un Kurdistan indépendant ne voit le jour en
Irak du nord et que le séparatisme turc en soit renforcé en Turquie. La
délégation de Danielle Mitterrand fait escale à la frontière turco-irakienne.

Signe de leur
mécontentement: les Turcs la feront attendre plusieurs heures dans le lugubre
aéroport de Diyarbakir, avant qu'elle ne puisse prendre sa correspondance. En
Irak du nord, elle est ensuite la
cible d'un attentat. Il y plusieurs morts dans le convoi. Danielle
Mitterrand et Bernard Kouchner en réchappent de justesse. «Je me souviens très bien de la visite de Madame Mitterrand,
raconte le journaliste turc Ragip Duran, qui été emprisonné quelques mois pour
s'être rendu en Syrie interviewer l'ennemi numéro 1 d'Ankara, Öcalan. Tout le monde ici s'en souvient. Aux yeux
des Kurdes de Turquie, Madame Mitterrand représente quelque chose! Quant aux
politiques turcs, ils n'ont toujours pas digéré ce voyage! Même s'ils ne le diront
jamais à Bernard Kouchner.»

Député
européen, Bernard Kouchner n'oublie toujours pas les Kurdes. Il va en Turquie
réclamer la libération des députés emprisonnés. Organise également deux
auditions au Parlement de Strasbourg pour attirer l'attention des députés
européens sur la situation des Kurdes de Turquie et d'ailleurs. Daniel
Cohn-Bendit et Michel Rocard sont à ses côtés. Les trois hommes soutiennent la
candidature turque à l'Union européenne même si Bernard Kouchner confie au
député vert que son «expérience
personnelle des Turcs est extrêmement négative. Je les ai d'abord vus à travers
le regard des Kurdes persécutés, dans ces misérables villages razziés et
bombardés».

Les parias de l'histoire

«Oui, Kouchner a fait preuve d'une fidélité
infaillible à l'égard des Kurdes», confirme le journaliste Chris Kutchera, ami du ministre et
spécialiste de l'histoire des Kurdes. Pourtant, les Kurdes ne représentent pas
grand-chose, ce sont des parias de l'histoire. Kouchner n'a jamais eu rien à
gagner de ce côté-là, ni stratégiquement, ni diplomatiquement». Ce n'est pas
l'avis du site Bakchich.com qui, début 2009, accuse le ministre des Affaires
étrangères de conflit d'intérêt. Il aurait permis à plusieurs de ses proches,
des experts ou d'anciens compagnons de route du temps de MDM de mener une mission
d'expertise sur le système médical du Kurdistan irakien, le tout grassement
payé. «Ça ne me scandalise pas que
Kouchner joue les intermédiaires entre les autorités kurdes d'Irak du nord et
des spécialistes qu'il connaît, qu'il apprécie et dont il sait qu'ils feront
bien le boulot, analyse un ancien attaché français de coopération au
Proche-Orient. A la différence de ce qui
s'est passé en Birmanie et en Afrique, ni Kouchner ni sa société de conseil ne
semblent avoir touché de l'argent. La France n'a pas mis un euro, tout était à
la charge des Kurdes. Mais il est vrai que les rémunérations évoquées par
Backchih paraissent largement au-dessus de ce qui se fait habituellement.»

Malgré son peu
de moyens, le Quai d'Orsay a ouvert en 2008 une représentation à Erbil,
«capitale» de la région autonome du Kurdistan irakien, confiée par Bernard
Kouchner à l'ami du temps du maquis, un médecin français kurdophone, Frédéric
Tissot (pdf). Et ce dernier, comme son patron du Quai d'Orsay, tente de
convaincre les entreprises françaises, prudentes pour ne pas dire frileuses,
d'investir dans la région autonome du Kurdistan irakien. .

En revanche, au
Quai d'Orsay, Bernard Kouchner n'aura sans doute pas donné sa pleine mesure
pour les Kurdes de Turquie. Peut-être est-il mal à l'aise avec le Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK) dont le conflit avec l'armée turque dure depuis
plus de trente ans et n'a pas épargné la population civile. Les pratiques du
PKK lui rappellent de mauvais souvenirs. Ce sont, raconte-t-il, toujours à
Daniel Cohn-Bendit, de «beaux salauds
polpotiens qui pressuraient la population. Lorsque j'étais secrétaire d'Etat à
l'action humanitaire, ils ont débarqué en commando dans mon ministère. Ils ont
pris les membres de mon cabinet en otages pendant quelques heures et les ont un
peu malmenés. J'étais à l'extérieur, je suis revenu pour négocier. Ces faux
révolutionnaires étaient de vraies brutes». Un jugement sévère que ne
démentiraient pas les autorités et la majorité de la population turques. Tandis
que le PKK, inscrit sur la liste noire des organisations terroristes par l'UE,
rencontre encore un fort soutien dans le sud-est de la Turquie: il n'est pas
une famille qui n'y ait un frère, un fils ou un cousin parti rejoindre les
rangs de ce mouvement avec lequel le gouvernement turc devra bien un jour ou
l'autre s'asseoir à la table de négociations. Quoiqu'il en soit, en rejetant la
candidature turque à l'Union européenne, Bernard Kouchner a du même coup manqué
aux Kurdes de Turquie. Car c'est principalement grâce à l'aiguillon européen
que la situation de ceux-ci s'est un peu améliorée ces dernières années.

Ariane
Bonzon

Membre Juif.org





Dernière mise à jour, il y a 17 minutes