La diplomatie israélienne est dans l'impasse. Sept pays d'Amérique
latine, ravis aussi de faire un pied de nez aux Etats-Unis, le Brésil, le
Chili, l'Argentine, l'Uruguay, la Bolivie, l'Equateur et la Guyana ont reconnu officiellement l'Etat de Palestine dans les
frontières d'avant 1967. Il s'agit certes
d'une décision symbolique car la reconnaissance concerne un Etat qui n'a qu'un
drapeau mais qui ne dispose ni de frontières définitives, ni de monnaie, ni
d'armée, ni de président élu, ni de gouvernement légal et qui est divisé en
deux entités distinctes antagonistes: la Cisjordanie et Gaza.
Selon le Daily Telegraph, l'Europe
semble prête à prendre la même décision dans le seul but «d'augmenter la pression internationale sur Israël suite à
l'effondrement des négociations de paix directes». Un diplomate
européen a déclaré «qu'il y a une
frustration croissante avec Israël après son refus de s'engager au maintien du
gel des constructions dans les nouvelles colonies. La patience est à bout».
La Norvège a relevé le statut de la représentation de l'Autorité
palestinienne dans son pays en lui accordant celui de mission diplomatique. Enfin,
le drapeau de la Palestine a été, pour la première fois, hissé publiquement à la délégation de Palestine à Washington.
Il ne peut s'agir d'une initiative unilatérale risquant de froisser Barack
Obama. L'ambassadeur Maen Areikat, représentant de l'Organisation de libération
de la Palestine (OLP) aux Etats-Unis, a conduit cette cérémonie qui avait été
autorisée il y a plusieurs mois par l'administration américaine. Philip
Crowley, le porte-parole du département d'Etat, a souligné de son côté que
l'autorisation de lever le drapeau national palestinien sur la façade de la
délégation n'impliquait pas un changement du statut de celle-ci. La mission
palestinienne auprès des Etats-Unis est un fruit des accords d'Oslo conclus en 1993 par les Palestiniens et Israël.
Israël paie le prix de son éloignement des chancelleries occidentales.
Le ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, est persona
non grata dans plus de 80% des pays membres de l'ONU. Par respect pour sa
coalition hétéroclite, Benjamin Netanyahou refuse de changer de ministre car cette
décision serait interprétée par le parti «Israël
Beitenou» comme un casus belli et il le peut d'autant moins
aujourd'hui que le parti travailliste, membre de la coalition, a éclaté en deux
entités dont l'une a rejoint l'opposition.
Durant sa dernière visite du 18 janvier en Cisjordanie, le président
Dimitri Medvedev a réaffirmé au nom de la Russie «le droit inaliénable du peuple palestinien à un Etat indépendant
avec Jérusalem-Est pour capitale». Les diplomates israéliens ont mis
l'accent sur la sémantique en interprétant cette déclaration de manière plus
restrictive: «Lorsqu'on
examine sa déclaration, il n'y a pas de changement par rapport à la position
russe à l'époque de l'Union soviétique en 1988». Ils estiment qu'il y
a eu réaffirmation d'un droit sans pour autant signifier une reconnaissance de
jure d'un Etat palestinien.
Exercice
solitaire du pouvoir
L'opposition attribue ces échecs à l'intransigeance du Premier ministre,
adepte de l'exercice solitaire du pouvoir, qui maintient une position ferme
face aux Palestiniens. L'opposition est inexistante; le parti travailliste en
voie d'extinction et l'opinion publique acquise en majorité au gouvernement.
Elle considère que l'Autorité palestinienne refuse les concessions mutuelles indispensables
pour trouver une solution définitive au conflit.
La grève des fonctionnaires des affaires étrangères, qui dure depuis septembre
2010 pour des raisons salariales, n'arrange pas la situation puisque les
visites de personnalités étrangères ne peuvent pas être organisées. Dimitri
Medvedev a ainsi évité Israël lors de sa dernière visite et la venue de la
chancelière allemande, Angela Merkel, risque à son tour d'être compromise alors qu'elle est
attendue avec plusieurs de ses ministres pour promouvoir la coopération entre
les deux pays.
Certains amis fidèles n'abandonnent cependant pas Israël. Nicolas
Sarkozy a conseillé à la chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie,
de se rendre ce 20 janvier à Jérusalem pour évoquer une relance du processus de
paix; une sorte de geste compréhensif à l'égard du «frère» Netanyahou, complètement isolé.
Les Palestiniens cherchent à profiter de l'isolement diplomatique de l'Etat juif. Ils ont convaincu les
représentants à l'ONU des pays arabes de déposer au Conseil de sécurité un
projet de résolution condamnant la colonisation israélienne. Les Israéliens
pourront encore compter sur leurs alliés américains qui devraient opposer leur
veto à cette démarche. Philip Crowley ne s'est pas engagé sur la décision
définitive de l'administration Obama mais il a estimé que «le Conseil de sécurité n'était pas le forum adapté pour ce
dossier» qui relève plutôt, selon Washington, de discussions
bilatérales entre Israël et les Palestiniens.
Cacophonie
La présidente de Kadima et chef de
l'opposition, Tsipi Livni, a tenté de développer sa propre vision de l'avenir
d'Israël et des négociations avec l'Autorité Palestinienne:
«Avant de nous rendre à la table des
négociations, nous devons d'abord définir ce qui restera à nous et ce qui ne le
sera plus. On ne peut pas venir en disant ?on veut tout' mais il
faut aborder les négociations en ayant une nation unie derrière nous sur ce que
nous pouvons donner et sur ce que nous voulons garder.»
Tsipi Livni, qui a été ministre des Affaires
étrangères, a mis l'accent sur la cacophonie de la diplomatie israélienne
puisqu'à la tribune de l'ONU, en septembre 2010, Avigdor Lieberman avait affiché ouvertement son désaccord
avec son Premier ministre. Alon Liel, ancien directeur du ministère, avait
déclaré: «Cela est déjà
arrivé par le passé, mais contredire le Premier ministre aussi brutalement dans
une telle enceinte est sans précédent.» «C'est une
humiliation pour le Premier ministre et une insulte à la diplomatie»,
avait-il insisté. Benjamin Netanyahou s'était d'ailleurs sèchement désolidarisé
de son ministre.
La diplomatie ne semble pas avoir tracé de
stratégie cohérente tant elle tient à tout prix à se distinguer de celle des
occidentaux. Le dernier exemple concerne la Côte d'Ivoire. Le gouvernement n'a
fait aucune déclaration officielle sur la crise ivoirienne car il est gêné
d'afficher ouvertement son penchant en faveur de Gbagbo, qui entretient depuis
2002 d'étroites relations sécuritaires et économiques avec des sociétés
israéliennes. L'ambassadeur de Côte d'Ivoire, Raymond Koudou Kessié, proche de
Gbagbo et de son épouse Simone, visiteuse assidue des Lieux saints, a été
révoqué par Alassane Ouattara. Il est pourtant toujours considéré par Israël
comme le représentant officiel de son pays.
La diplomatie israélienne est en panne et cette situation est due au
poids de la politique intérieure qui souffre de l'existence d'une coalition
gouvernementale fragile. Elle met en évidence le peu de marge de man'uvre dont
dispose le Premier ministre puisque sa majorité dépend impérativement de la présence des nationalistes d'Avigdor Lieberman et des
orthodoxes d'Eli Yishaï.
Jacques Benillouche