Alors que le monde observe Washington resserrer l'étau autour du régime de Nicolás Maduro – notamment avec la fermeture soudaine de l'espace aérien vénézuélien par le président Trump –, nous passons à côté de la porte de sortie qui s'est construite sous nos yeux. Elle n'est pas pavée de roubles russes ni de prêts chinois. Elle est pavée d'or, raffiné à Istanbul.
La bouée de sauvetage la plus dangereuse pour la dictature vénézuélienne aujourd'hui n'est ni La Havane ni Moscou. C'est Ankara.
Pendant des années, nous avons considéré la relation entre Recep Tayyip Erdoğan et Nicolás Maduro comme une curiosité diplomatique – deux hommes forts autoritaires unis par leur mépris commun pour l'Occident. Nous avons ri quand Maduro mangeait des steaks chez Nusr-Et (le restaurant de Salt Bae) à Istanbul pendant que son peuple mourait de faim.
Mais la plaisanterie est terminée. L'axe turco-vénézuélien, autrefois fondé sur une amitié diplomatique, s'est mué en une machine sophistiquée de contournement des sanctions, de financement illicite et de sabotage géopolitique, menaçant de compromettre toute transition démocratique à Caracas.
Le gilet de sauvetage plaqué or
Le cœur de cette dangereuse alliance n'est pas l'idéologie, mais le pillage. Alors que les sanctions occidentales isolaient le Venezuela du système financier international, la Turquie s'est interposée pour faire transiter les biens volés au régime.
Dans un système qui devrait indigner tous les responsables politiques de l'OTAN, le Venezuela a expédié des centaines de millions de dollars d'« or du sang » – extrait dans des conditions épouvantables en Amazonie – vers la Turquie pour y être raffiné. Il ne s'agit pas d'un simple commerce, mais d'un blanchiment d'argent à l'échelle d'un État souverain. Ce mécanisme d'échange d'or contre de la nourriture a permis à Maduro de contourner le blocus financier américain, transformant un métal intraçable en liquidités nécessaires pour payer ses généraux et maintenir en marche la machine répressive.
Pendant que Washington s'efforce de démanteler les sociétés écrans, la Turquie, membre de l'OTAN, a institutionnalisé l'évasion fiscale.
La stratégie de l'« exil doré »
Le danger dépasse désormais le simple cadre économique. Selon de récents rapports de renseignement, Ankara serait envisagée comme destination d'« exil doré » pour Maduro si son régime venait à s'effondrer.
Imaginez les conséquences : un allié de l'OTAN offrant l'asile à un homme inculpé par le département de la Justice américain pour narcoterrorisme. Ce ne serait pas justice pour les millions de réfugiés vénézuéliens dispersés à travers les Amériques ; ce serait l'impunité, cautionnée par un membre de cette même alliance qui a juré de défendre la démocratie.
Si Maduro s'enfuit à Istanbul, il ne se contente pas de prendre sa retraite. Il conserve l'accès aux milliards pillés à l'État vénézuélien, probablement dissimulés dans des banques turques ou convertis en actifs via le marché immobilier turc opaque. Il devient une épine permanente dans le pied d'un Venezuela libre, un exilé fortuné protégé par la deuxième armée la plus importante de l'OTAN.
Un cheval de Troie dans l'hémisphère
On s'inquiète souvent de l'influence étrangère dans l'hémisphère occidental, citant généralement les projets d'infrastructure chinois ou les conseillers militaires russes. Pourtant, on ignore les vols de Turkish Airlines (jusqu'à récemment) entre Caracas et Istanbul, transportant non pas des touristes, mais des agents, de l'or et des fonctionnaires.
Erdoğan perçoit le Venezuela comme une frontière pour projeter sa puissance et provoquer les États-Unis. En soutenant Maduro, il obtient un levier qu'il peut utiliser contre Washington pour obtenir des concessions en Syrie ou en Méditerranée. Le Venezuela n'est plus seulement une tragédie latino-américaine ; c'est un enjeu dans la géopolitique eurasienne.
Il est temps d'agir
Alors que les États-Unis s'apprêtent à « fermer l'espace aérien » au-dessus du Venezuela, ils doivent également couper les ponts financiers. On ne peut exiger le départ de Maduro tout en ignorant celui qui nous ouvre la porte.
Le message adressé à Ankara doit être clair : vous ne pouvez pas bénéficier des garanties de sécurité de l’OTAN tout en finançant la déstabilisation des Amériques.
Les relations entre la Turquie et le Venezuela ne relèvent pas d’une affaire bilatérale ; elles constituent une menace directe pour la sécurité du continent. Si nous voulons résoudre la crise vénézuélienne, nous devons nous tourner vers l’Est et comprendre que le chemin vers la liberté à Caracas est bloqué à Istanbul.
Amine Ayoub, chercheur associé au Middle East Forum, est analyste politique et écrivain. Il est basé au Maroc. Suivez-le sur X : @amineayoubx