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Rencontre avec les derniers juifs du Yémen
Rencontre avec les derniers juifs du Yémen

Menacés par un groupe de rebelles, une soixantaine de juifs yéménites ont dû fuir Salem, un village situé le nord du pays. Depuis un an et demi, ils sont réfugiés  à Sanaa. Malgré les menaces, ils refusent de quitter leur pays, le Yémen.

Il fait déjà nuit quand l’on vient frapper violemment à sa porte. Yahyah Youssef Moussa ouvre et tombe nez à nez avec des hommes masqués. Ils ont un message, on ne peut plus clair : « Si vous ne partez pas sur-le-champ, nous allons vous kidnapper ». Immédiatement, le jeune rabbin yéménite fait passer le mot à la soixantaine de juifs d’al-Haid, un quartier de la ville de Salem, dans le district de Saada. À 23 heures, ils sont tous prêts à partir. Les cheikhs des tribus locales leur ont prêté six voitures. Le convoi s’ébranle vers Saada, la capitale du district, située à 240 kilomètres au nord de Sanaa. C’était il y a un an et demi. Les juifs de Salem ne sont jamais rentrés chez eux. 

Le soir où les hommes masqués lui ont ordonné de partir, Yahyah Youssef Moussa, 27 ans, n’a pas été surpris par la teneur des propos, seulement par le timing. « Nous pensions avoir encore une semaine pour plier bagage », explique-t-il. Trois jours plus tôt, le rabbin avait en effet été approché par des hommes également masqués qui lui avaient remis une lettre. « Après une surveillance précise des juifs résidant à al-Haid, il est clair pour nous qu’ils agissent avant tout pour servir le sionisme mondial qui cherche à corrompre le peuple et à l’éloigner de ses principes, de ses valeurs, de sa morale, de sa religion et qui vise à disséminer toutes sortes de vices dans la société », y avait-il lu. La lettre était assortie d’un ultimatum : les juifs d’al-Haid avaient dix jours pour disparaître. « Personne sur cette terre ne pourra vous aider. Si nous vous trouvons ici passé le délai, vous le regretterez. » Le message est signé « Yahyah Sa’ad al-Khoudhair, commandant des partisans des Houthis à Salem ». Les Houthis, une tribu zaïdie implantée dans le district de Saada, sont engagés dans une confrontation avec l’armée yéménite depuis 2004. Ils reprochent notamment au président yéménite son alliance avec les États-Unis, l’allié d’Israël. 

« À Saada, j’ai informé les autorités locales des menaces qui nous avaient été adressées. Un responsable nous a installés dans un hôtel. Nous y sommes restés un mois », raconte le rabbin Yahya, qui porte la tenue traditionnelle yéménite, dechdéché blanche et veste noire. Seules les longues papillotes noires et la kipa brodée le différencient de ses compatriotes. « Des gardes étaient postés autour de l’hôtel. Si l’un de nous voulait sortir, il était escorté par des agents de sécurité. De toutes les manières, nous avions tellement peur que nous ne sortions quasiment jamais. »

Au bout de deux mois passés à Saada, les juifs de Salem sont transférés à Sanaa. « Le président Saleh a envoyé deux hélicoptères pour nous rapatrier dans la capitale », raconte Yahyah. « Nous remercions le président Ali Abdallah Saleh de nous avoir emmenés ici », déclare-t-il sur un ton subitement solennel. 

Depuis 18 mois, les 65 juifs de Salem sont installés à Tourist City, un complexe résidentiel de Sanaa qui accueille également des touristes de la région. Ils sont répartis dans six appartements mis à leur disposition par le gouvernement. Dans ce complexe, dont les entrées sont gardées par des hommes en armes, la petite communauté se sent en sécurité. « Nous ne voulons pas rentrer à Saada, nous avons peur. Là-bas, les sourires avaient disparu des visages de nos enfants », explique le rabbin, lui-même père de cinq enfants. La signature d’une trêve entre les Houthis et le pouvoir ne suffit pas à les rassurer. « Même si le président dit que la guerre est finie, nous ne voulons pas retourner là-bas. Ce n’est qu’à Sanaa que nous nous sentons en sécurité », affirme Yahyah. Le rabbin ne veut même pas aller à Rayda, un village situé au nord de Sanaa où résident encore quelque 500 juifs. « Les chefs tribaux de Rayda sont pires que ceux de Saada. Ils cherchent les problèmes. La seule différence, c’est qu’à Rayda, ils n’osent pas s’attaquer aux juifs parce que le gouvernement est présent », explique Yahyah. Son épouse entre dans le salon, salue les hommes, et embrasse deux fois la main des femmes, en prononçant « Salam » (paix). 

Les vieux musulmans nous protégeaient 

Quand les juifs ont dû fuir Saada, cela faisait déjà plusieurs années que la tension montait. «  Nos problèmes avec les Houthis ont commencé avec le début des combats entre les rebelles et l’armée en 2004 », explique Yahyah, dont la maison et la voiture ont été vandalisées. « Finalement, on a même scolarisé nos enfants à la maison, après que certains eurent été tabassés. Avant, nous n’avions aucun problème de coexistence avec les musulmans. Je ne sais pas pourquoi ça a changé », ajoute-t-il. « En fait, les vieux musulmans du village nous connaissaient très bien, ils connaissaient nos traditions. Ils nous protégeaient même, et certains en sont morts », renchérit Souleiman, 58 ans, l’oncle du rabbin. « Mais les jeunes, aujourd’hui, ne savent rien », ajoute cet homme à la longue barbe grise, et dont le crâne est ceint d’un turban. 

Les jeunes ne savent rien car la communauté  juive du Yémen se réduit comme peau de chagrin.

Il n’en a pas toujours été ainsi. « À l’origine, les juifs étaient présents dans toutes les provinces du Yémen », affirme le rabbin Yahyah. S’il est difficile d’établir avec précision à quand remonte sa présence dans le pays, la communauté juive du Yémen fait partie des plus anciennes au monde. À partir de la fin du XIXe siècle, les juifs yéménites commencent toutefois à quitter la péninsule Arabique. Un premier mouvement d’émigration vers la Palestine a lieu entre 1880 et 1914. Il reprend en 1920, avec un pic au moment de la création de l’État d’Israël. En 1949, quelque 50 000 juifs partent vers l’État hébreu dans le cadre de l’opération « Tapis volant » mise en place par les autorités israéliennes. « Entre 1999 et 2000, il y a eu une nouvelle vague de départs vers la Grande-Bretagne ou les États-Unis. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques familles », affirme Yahyah. 

L’un des quartiers victimes de cette émigration est Gaa al-Jawoud, « la plaine des juifs », à Sanaa. Avant 1948, de nombreux juifs y résidaient. Aujourd’hui, les habitants du quartier sont tous musulmans. Nichée au fond d’une ruelle étroite, la maison qui était celle du rabbin a été divisée en plusieurs appartements. Dans ce qui devait être la cave, une famille extrêmement pauvre vit dans deux pièces humides, sales et sans lumière, en compagnie de quelques pigeons.

À Gaa al-Jawoud, la pierre porte encore la marque du « temps des juifs ». Quelques étoiles de David sont toujours visibles sur les murs. Dans un coin, sont entassés des blocs de pierre, gris et plats, dont une face porte, gravé, un texte en hébreu. À Gaa al-Jawoud, seuls les vieux se souviennent vraiment de cette époque. « Les juifs ne volaient pas, ils ne mentaient pas. Et si l’un d’eux commettait un crime, il préférait s’excuser en baisant les pieds de sa victime plutôt que d’être envoyé chez son rabbin », raconte Mohammad Malek, l’ancêtre du quartier dont on dit qu’il a plus de 100 ans. « Le rabbin ordonnait au criminel de rester devant sa porte, et tout le monde lui crachait dessus », affirme le vieil homme, à moitié aveugle et sourd. « Juifs et musulmans vivaient très bien ensemble. Il n’y avait pas de problème, ajoute l’ancêtre. Quand ils sont partis, nous étions très tristes. Nous leur disions de rester, mais ils répétaient sans cesse : on va vers la guerre, on va vers la guerre ! » ajoute le vieil homme, le regard perdu dans le vide et le doigt levé. 

Le départ des juifs a aussi posé  un autre problème en ce qu’ils étaient les seuls à savoir fabriquer les outils nécessaires aux travailleurs et fermiers. Les juifs yéménites sont en effet connus pour leur talent dans le secteur de l’artisanat. Ferronnerie, charpenterie, travail de l’or et de l’argent... autant de domaines dans lesquels ils excellent. Dans le souk de Sanaa, les vendeurs de bijoux n’en finissent pas de vanter le travail des juifs. 

Les juifs réfugiés de Salem travaillent aussi dans ces domaines. Ou du moins travaillaient. « Quand nous avons quitté Saada, nous y avons laissé tous nos outils de travail. Ici, nous n’avons pas d’endroit pour travailler et pas d’argent pour ouvrir des ateliers », explique le rabbin.

Pour survivre, les juifs de Tourist City ne peuvent compter que sur l’allocation que le gouvernement leur verse, 25 dollars par personne et par mois, et sur des petits boulots, quand ils en trouvent. Abdallah, l’un des fils de Souleiman, travaille dans l’épicerie du complexe résidentiel. À Saada, il était ferronnier et mécanicien. « Ici, je m’occupe des livraisons. Avec les pourboires, ça paie correctement », affirme le jeune homme de 24 ans. Correctement, mais pas suffisamment pour que Abdallah puisse se marier. Le caissier de l’épicerie est musulman. « Nous sommes amis, pas de problème », affirme le jeune homme en enfourchant la selle, couverte d’une peau de mouton, de la moto de son ami. La moto démarre, les papillotes de Abdallah s’agitent dans le vent. 
 

Vivre et mourir au Yémen 

Souleiman, son père, s’occupe des jardins de la résidence. Il déambule, un râteau sur l’épaule, son jeune fils Natali lui tenant la main. « Ici, je m’ennuie, al-Haid me manque. Le climat était meilleur là-bas. Nous avions les meilleurs oranges de tout le Yémen », affirme-t-il en souriant tristement. Sa mère, Kathya Saeed, ne regrette pas tant les oranges que sa vache. « Là-bas, j’avais 20 chèvres et une vache. Ils nous ont tout pris. Ils voulaient nous tuer », s’exclame cette femme de 85 ans. Autour du cou, elle porte un collier auquel sont attachées les clés de sa maison à Salem. Comme si l’ironie de l’histoire, le parallèle avec les réfugiés palestiniens, n’était pas assez évident encore, Souleiman ajoute, avec une naïveté totalement désarmante : « Nous avons tout laissé là-bas. Quand on est parti, on ne savait pas qu’on n’allait plus revenir. » 

L’un des frères de Souleiman est installé en Israël depuis une dizaine d’années. Il est parti avec son épouse dont le père était déjà installé dans l’État hébreu. Étant donné les conditions de vie précaires à Sanaa, Souleiman n’est-il pas tenté de rejoindre son frère ? « Beaucoup de juifs yéménites sont partis. On leur avait dit qu’ailleurs, c’était mieux qu’au Yémen. Aujourd’hui, ils regrettent leur décision », affirme-t-il. « Nous n’avons pas envie de partir. Nos racines sont yéménites et elles sont profondes. Notre communauté est sur cette terre depuis des siècles. Nous aimons ce pays, c’est le nôtre. Nous sommes nés au Yémen, nous mourrons au Yémen », assure Souleiman. 

S’ils sont décidés à rester au Yémen, les juifs de Tourist City, qui affirment ne pas recevoir d’aide de l’extérieur, veulent que leur vie se normalise et que le gouvernement s’engage à améliorer leur situation. « Nous sommes une dizaine par appartement », souligne Yahyah. Les appartements comprennent généralement une ou deux chambres, un salon, une cuisine et deux salles de bains. « Depuis que nous sommes ici, il y a eux deux mariages et des naissances. Nous avons besoin de plus d’espace », ajoute le rabbin. Ce dernier veut aussi que le gouvernement leur donne des compensations pour la perte de leurs maisons, outils et voitures ainsi que pour la destruction de sa bibliothèque qui comprenait des ouvrages religieux, scientifiques et historiques, dont il affirme qu’ils étaient d’une grande rareté. Il y a quelques jours, Yahyah a déposé une demande pour un montant de 100 millions de dollars au bureau gouvernemental chargé de compenser les victimes de la guerre de Saada. 

Le rabbin jette un coup d’œil par la fenêtre du salon. Le ciel commence à s’assombrir. Il se lève et, avec les enfants, commence à ramasser les branches de qat, cette plante légèrement hallucinogène dont les Yéménites sont friands, éparpillées sur le tapis et sur les coussins du diwan. Le qat vient de Saada. Il est meilleur que celui de Sanaa, plus doux, selon le rabbin. « Durant le shabbat, nous ne pouvons pas mâcher de qat coupé le jour même. Alors on l’achète le vendredi, et on le garde pour le samedi », précise Souleiman. Peu à peu, le salon du rabbin, qui fait office de synagogue, se remplit. Des enfants, des hommes plus ou moins jeunes arrivent. Ils sont une douzaine, un nombre suffisant pour organiser la prière du vendredi soir. Le rabbin va cracher la boule de qat qui macère, depuis des heures, dans sa bouche. « Un rabbin ne peut pas diriger la prière avec du qat dans la bouche. Mais les autres peuvent prier en mâchant du qat », précise-t-il. De fait, parmi les nouveaux arrivants, certains arborent la grosse bosse, au niveau de la joue, des mâcheurs de qat. Deux voisins jordaniens, venus pour la séance de qat, se retirent discrètement pendant que le rabbin, la tête couverte du châle blanc de prière, va allumer les bougies, dans une autre pièce. Les femmes, vêtues de longues robes, un foulard coloré noué sur la tête, s’assoient dans le couloir. On éteint la télévision. Un silence remplit la pièce baignée d’une lumière dorée. Puis, une clameur monte. Tous ensemble, les derniers juifs de Sanaa entament la prière du shabbat.

(Source: "L'orient le jour", quotidien libanais, 01/09/08)

1 commentaire
pour quel raison ils faisent pas ALYAH????
Envoyé par Alexander - le Jeudi 8 Octobre 2009 à 23:05
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