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Zvi Malnovitzer ou l'art évocateur
Un des grands questionnements de la loi juive trouve son origine dans la prescription absolue de représentation esthétique qui semblerait exclure toute forme d'art. Le second commandement stipule en effet : « Tu ne feras pour toi aucune image travaillée. » Ce commandement pose un certain nombre de problèmes. Effectivement, qu'est-ce que l'image? La Torah utilise le mot pessel. Ce mot vient de la racine passal qui signifie : tailler, sculpter. Dans le décalogue, pessel est explicité par le mot temouna dont la racine est mana. Le sens de cette racine est incertain, mais le terme signifierait : compter, fixer ou établir. Le mot temouna veut dire : symbole, ressemblance, apparence. Les patriarches connaissaient bien la pratique du symbole. Ainsi Jacob a-t-il dressé en mémorial de l'apparition de D-ieu la pierre sur laquelle il avait posé sa tête, à l'endroit ensuite nommé par lui-même Beit El (Gn, 28, 11-22). Le deuxième problème évoqué par ce commandement réside dans l'idée que l'homme a été créé à l'image de D-ieu : « D-ieu dit : faisons l'homme à notre image selon notre ressemblance » (Gn, 1, 26). Deux mots sont importants ici : kidemoutenou et betselem. Outre les sens précédemment attribués au mot tselem, équivalent à temouna, ce terme peut aussi signifier : image, figure ou illusion (Gn, 1, 26-27 ; 5, 3). Le mot demout vient de la racine dama qui signifie : ressembler, être semblable. Certaines interprétations préconisent la nécessité d'une interdépendance entre les termes tselem (image) et demout (ressemblance), puisqu'ils viseraient l'homme tout entier, corps et esprit, et se compléteraient donc l'un l'autre. En tant qu'image de D-ieu, l'homme est avant tout différent de toutes les autres créatures. L'éventualité d'une certaine forme d'identité avec son créateur serait donc possible. Mais l'expression « faisons l'homme à notre image » interdit de ramener cette identification à D-ieu seul. En effet, « faisons » se rapporterait, non à D-ieu lui-même, mais à la cour céleste autour de Lui, aux Elokim qui pourraient être des anges. L'homme ne serait donc pas la ressemblance parfaite de D-ieu mais celle de certains êtres très proches de Lui. Cette idée est étayée par le Psaume 8 qui dit : « Qu'est-ce que l'homme pour que tu penses à lui? Tu en as presque fait un D-ieu. » Ce qui est décisif dans cette qualité d'image, c'est sa fonction à l'égard du monde. L'homme est effectivement aussi responsable que D-ieu des autres créatures vivantes sur la terre. En tant qu'image, il est garant du monde et de sa continuité. L'élément spirituel est en conséquence certainement plus important que le matériel dans l'idée de l'homme image de D-ieu. IL ne paraît donc pas raisonnable de donner au terme image évoqué dans le second commandement une valeur correspondant à la représentation esthétique plastique. L'image est fondatrice de notre civilisation qui s'est toujours exprimé&e par son biais. Depuis des millénaires, les images ont permis aux hommes d'accéder au symbolique et d'établir un système complexe de correspondances entre le cosmique et l'humain. Et ce, bien avant que l'écriture même intervienne. Ainsi, les images ont permis la transmission de la culture aux communautés illettrées. L'écrit est sacré. L'image est accessoire, utile à l'édification des peuples incultes. Investie de cette valeur première pédagogique, elle introduit cependant par la suite une qualité du mystère liée à la révélation divine. Selon l'analyse lévinassienne, la création artistique serait un cheminement de proximité et d'alliance entre la créature et le Créateur, déterminé par une « tension de l'art, vécue entre désespoir et espérance de l'homme. » Quelque chose s'effectue de l'ordre d'une mise en équivalence de l'entreprise de l'art avec l'entreprise spirituelle. Levinas parle d'une « lutte aussi dramatique que le dévoilement du Vrai et que l'exigence impérative du Bien. » C'est précisément au centre de cette « tension de l'art » que se situe l'oeuvre du peintre Zvi Malnovitzer. Loin des regards de l'élite artistique israélienne et pourtant à quelques rues seulement du centre de Tel-Aviv, Malnovitzer peint, depuis bientôt quarante ans, les rites traditionnels du judaïsme. Arrière petit-fils des Hassidim de Gour, originaire de la ville de Bnei Brak où il habite et travaille, le peintre témoigne inlassablement de cet autre univers, de la face cachée de la civilisation qu'il reflète, le monde ultra orthodoxe. Son oeuvre, située à la frontière délicate entre la ferveur religieuse et l'irrationnel, recueille dans sa totalité le trésor émotionnel de la culture hassidique. Par le truchement d'une extraordinaire alchimie de couleur et de lumière, Malnovitzer le traduit en un langage aux expressions intenses, turbulentes et contradictoires. J'ai rencontré cette figure exceptionnelle de l'art juif contemporain par l'entremise louable de Yael Guenassia qui représente cet artiste à la galerie Mayanot de Jérusalem. C'est avec émotion et sincérité qu'il a bien voulu se prêter à l'expérience peu commune d'un questionnaire à thèmes, inspiré de célèbres entretiens journalistiques avec les peintres Paul Cézanne et Pablo Picasso.
La tyrannie de l'art L'organisation et la planification
Je ne fais pas dix pour cent de ce que je voudrais faire. Même si je planifie beaucoup, mes longs préparatifs se révèlent totalement inutiles au moment décisif, et je crée finalement tout à fait autre chose que ce que j'étais censé peindre. Ce n'est pas que je sois instable. Je suis seulement téméraire (rires). Il faut que je parle de mon histoire personnelle pour expliquer cela. Je suis fils unique. Tous les espoirs, toutes les craintes de mes parents se sont cristallisées sur ma personne. Mon grand-père savait bien dessiner les lettres. Il préparait des enseignes de boutiques et moi, je les illustrais pour lui. Ma mère a remarqué très tôt ma passion pour le dessin. Malgré les réticences de mon père qui considérait naturellement cette discipline comme une débauche, elle m'acheta un chevalet. J'ai commencé par utiliser des peintures de revêtements muraux que j'achetais en quincaillerie. Je peignais frénétiquement, sur toutes sortes de supports, dans la cave de notre maison. Le célèbre peintre Yehouda Valersteiner, ancien disciple de Jacob Steinhardt et qui était notre voisin à l'époque, accepta de ma donner de leçons. Je lui dois énormément. Mais mon éducation religieuse à la Yeshiva m'empêcha de poursuivre plus avant dans mon art. J'ai fondé un foyer et accepté un poste de gérance dans une boutique de meubles à Bnei Brak où je gagnais bien ma vie, tout en continuant de peindre à mes heures disponibles. Un jour où je faisais du stop pour me rendre au magasin, un rabbin m'a fait monter dans sa voiture et, pendant le trajet, je lui ai montré un album de photos de mes tableaux. Lorsque je suis descendu, il m'a dit que s'il possédait un talent pareil au mien, il y aurait consacré toute sa vie. Je lui ai répondu avec beaucoup d'hésitation qu'il semblait insensé de mettre en danger ma Parnassa pour une passion artistique. « Ta Parnassa? » a-t-il rétorqué, « Tu ne sais donc pas que D-ieu seul en est responsable, quoi que tu fasses? » En quittant cet homme, j'étais bouleversé. Après avoir pris un café et réfléchi à ses paroles, je suis allé voir mon employeur pour lui présenter ma démission. IL ne m'a pas pris au sérieux tout de suite et, me croyant exténué par trop de charges, il m'a proposé de prendre quelques jours de congé. Mais quand je lui ai parlé de ma peinture, il s'est mis en colère. « Parce que nous t'achetons des toiles de temps en temps, tu crois que tu es un artiste? » m'a-t-il dit. « Mais si nous te payons tes tableaux, c'est uniquement pour te faire plaisir. » Ses paroles m'ont atrocement blessé en même temps qu'elles ont fini par me convaincre. J'ai quitté mon emploi, vendu ma maison avec le soutien total de mon épouse, et je suis parti faire un séminaire en Autriche pour parfaire mon éducation artistique.
Les études académiques Le mensonge et la vérité
Il est écrit, dans un passage des Psaumes, que « la vérité sortira de la terre. » Le Grand Rabbin de Kotzk disait qu'il faut planter le mensonge pour que la vérité pousse. Tous les artistes sont des menteurs. Des menteurs pour plaire à autrui, pour plaire à eux-mêmes. La vérité, si elle n'est pas menacée par toutes les formes de l'esthétique, est forcément sclérosée par l'oeuvre qui tente de l'exprimer. La toile sera toujours trop étroite. Telle est la source intarissable de mon mécontentement qui me frustre et m'épuise. Je l'appelle « le travail d'une âme damnée. » J'utilise souvent pour décrire ma vérité l'histoire de la mule de Bilaam. Bilaam était un sorcier puissant que le roi Balak a utilisé pour tenter de détruire le peuple hébreu. Le magicien montait sa mule pour se rendre en Terre Sainte lorsque, sur sa route, D-ieu fit descendre un Ange, l'épée au poing. Bilaam ne vit pas cet ange. Seule la mule arrêta sa course, effrayée par cette apparition. Le sorcier, agacé par la conduite incompréhensible de sa monture, cravacha la pauvre bête sans pouvoir obtenir son obéissance. D-ieu, qui avait pitié de l'animal sans défense, lui insuffla la parole. La mule dit alors à son terrible maître : « Pourquoi me frappes-tu ainsi, tu ne vois pas qu'il y a un Ange sur la route et qu'il va te tuer? » Je pense que je suis un peu comme la mule de Bilaam. Je vois des choses que les autres ne peuvent ni voir ni comprendre. Et souvent, à cause de cela, je souffre, comme la mule. Alors, j'ai appris à ma taire. Le tempérament et la discipline
Je possède un tempérament certain. Mais j'ai construit sur cette nature difficile ma propre dictature. C'est peut-être une forme de schizophrénie. Mes proches trouvent parfois la force même de a patience insupportable. Peut-être cela vient-il de mon enfance, des cadres carcéraux pluriels dans lesquels mon éducation s'est faite. Je suis entré dans ces carcans sans m'y soumettre mais sans pour autant laisser paraître mon insoumission. Il me suffisait de la connaître moi-même pour survivre. Je fonctionne ainsi dans toutes les circonstances de ma vie jusqu'à ce jour. Cela fait certainement partie de l'égoïsme de l'artiste mais, en effet, très peu de gens, même aujourd'hui, peuvent prétendre me connaître véritablement. Je n'admets pas que l'on me dise ce que je dois faire, mais j'ai besoin de la confiance absolue de l'autre pour créer. J'ai exposé dans le passé chez Hadassa Klatchkin qui me réclamait une série de petites toiles pour des clients en attente. Elle était venue m'expliquer ce qu'elle attendait exactement de moi et je lui avais simplement demandé d'être patiente. C'était l'année de sortie du Midnight Express d'Alan Parker. Inspiré par une scène de ce film dans laquelle les détenus dansent une ronde dans une cellule de la prison, j'ai peint frénétiquement, sur une toile d'environ trois mètres sur trois, une farandole lunaire d'hommes en Talith dans une synagogue. Puis j'ai invité Hadassa à venir voir mon travail. Qualifiant cette oeuvre impressionnante de masterpiece, elle m'a demandé toutefois où se trouvaient les petits tableaux qu'elle m'avait commandés. Je lui ai nonchalamment désigné la toile et l'ai invité à la découper en autant de morceaux qu'elle jugerait nécessaires à la satisfaction de sa clientèle. Elle m'a traité de scélérat, m'a dit qu'elle m'aimait et il n'a plus jamais été question de forcer ma muse. La mort
Zvi Malnovitzer est loin d'être un simple « faiseur d'images ». L'art qu'il crée est un art évocateur, au sens lévinassien du terme. Il nous rappelle quelque chose d'important à propos de l'être simple et à propos de l'être vénérable. IL nous mène à autrui, puis il nous ramène à D-ieu. Ses oeuvres sont exposées à la galerie Mayanot de Jérusalem. Je vous les conseille vivement. Sandrine BEN DAVID Journaliste au Jerusalem Post Yael ANCRI
Yael ANCRI
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