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Interview d'un ex-agent du Mossad : Michael Ross
Interview d'un ex-agent du Mossad : Michael Ross

Exclusif et passionnant. Le premier interview en français de Michael ROSS (pseudonyme), ex-agent du Mossad, les meilleurs services de renseignements au monde.

Nom

Michael ROSS
(pseudonyme)

CV

1988-2001 :
Agent des services de renseignement extérieurs de l'Etat d'Israël
 Le MOSSAD
Institut pour le renseignement et les affaires spéciales 
Ha Mossad le-Modiin ule-Tafkidim Meyuhadim ; המוסד למודיעין ולתפקידים מיוחדים

Selon le quotidien israélien Haaretz , qui se fonde sur des sources à l'intérieur de l'Institut, Michael Ross travaillait sous le nom de code "Rick".

1988-1995 : agent sous couverture ("Combattant") au sein de la division CAESAREA, responsable des officiers opérant sans couverture diplomatique.  Missions aux Etats-Unis et en Syrie, Azerbaïdjan, Iran et Afrique du Nord.

1996-1998 : agent de renseignement (Katsa) au sein de la division TEVEL, responsable des relations entre l'Institut et les agences de renseignement à l'étranger. A ce titre, il a travaillé comme officier de liaison du Mossad avec la CIA et le FBI. Michael Ross était également enquêteur lors des attentats d'Al-Qaeda contre les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar es-Salaam (Tanzanie).

1998-2001 : agent de renseignement (Katsa) au sein de a division BITZUR, responsable de la sécurité et de l'immigration des communautés juives mondiales.  En 2000, il a été félicité par le directeur-adjoint du Mossad, Ilan Mizrahi, pour avoir organisé la fuite des Juifs du Zimbabwe menacés par le régime de Robert Mugabe.

Michael Ross est un ancien soldat canadien, de confession chrétienne, qui a émigré en Israël au début des années 1980, s'est converti au judaïsme et a rejoint Tsahal, avant d'être repéré par des chasseurs de tête de la MELUKHA, le service de recrutement du Mossad.  

En 2007, Michael Ross a publié un best-seller retraçant son parcours sous le titre "The Volunteer". Ses mémoires, en anglais, ont été diffusées en Angleterre, Australie Canada, Etats-Unis, et traduites en hébreu pour être publiées en Israël.
 
 

JOURNALISTE : Michael Ross, un grand merci d’avoir accepté d’accorder cet entretien.
Votre parcours est des plus inhabituels. Au début des années 80, vous étiez chrétien, Canadien, et vous terminiez votre service militaire dans votre patrie d’origine. Comment avez-vous rejoint Israël ?
 
ROSS :Lorsque j’avais 20 ans, j’ai voyagé en Europe et je souhaitais passer l'hiver sous un climat méditerranéen.
 
J’ai appris que l’on pouvait se porter volontaire pour travailler dans un kibboutz, en Israël. En dehors de cela, le pays lui-même m’intéressait. A l’époque, l’histoire, les religions et la technologie me passionnaient, et Israël était largement médiatisé sur ces sujets.  
 
JOURNALISTE : Vous vous êtes ensuite marié avec une Israélienne et converti au judaïsme. Puis obtention de la citoyenneté, et service militaire au Liban. Votre service terminé, un « officiel du gouvernement israélien » vous contacte... A votre avis, pourquoi votre dossier a-t-il retenu l’attention de laMelukha, les chasseurs de têtes du Mossad ?  
 
ROSS :C’est une très bonne question. On ne m’a jamais révélé les raisons de mon recrutement.
 
JOURNALISTE : Et si vous deviez spéculer, en vous basant sur votre expérience… ?
 
ROSS :Je pense que mon parcours plutôt particulier a intéressé les recruteurs. Mon service militaire aussi.
 
JOURNALISTE : Dans l’armée canadienne ou dans Tsahal ?  
 
ROSS :Les deux, en réalité. Mais plutôt, je pense, mon incorporation dans les forces armées israéliennes. 

JOURNALISTE : Pouvez-vous nous révéler quelle était votre fonction ?
 
ROSS :Oui, je servais dans le génie, au sein d’une unité combattante. 
 
JOURNALISTE : Etait-ce le niveau technique d’une telle affectation qui a séduit le Mossad ?
 
ROSS :Pas seulement. Le simple fait que j’aie porté l’uniforme a été vu comme un signe fort de patriotisme. Cela prouvait que j’étais bien intégré dans la société israélienne. 

JOURNALISTE : Et ensuite, comment entre-t-on dans le monde particulier de l’Institut ?
 
ROSS :Comme on m’avait sélectionné pour être « combattant », soit agent sous couverture, mon entrée dans le Mossad a été ponctuée d’interrogatoires et de mois d’isolement. La nature-même de ma fonction faisait que toutes mes relations avec autrui étaient strictement contrôlées. Et quand je parle « d’autrui », je parle de mes collègues au quartier-général. Tout demeurait très surveillé, organisé et cloisonné. Durant cette période, je ne pouvais compter que sur moi-même, tout en restant sous le contrôle des personnes qui me formaient pour devenir opérationnel.
 
JOURNALISTE : Comment se déroulait le programme d’entraînement ?
 
ROSS :La formation du Mossad est sans doute la chose la plus difficile que j’aie faite dans ma vie. Ce n’est pas tant un entraînement, ils vous placent dans une situation donnée et évaluent vos réactions. Ensuite, en se basant sur vos erreurs et vos réussites, ils dressent votre profil et l’exploitent. Bien sûr, vous apprenez des choses, mais le centre du programme, c’est toujours vous. Ils s’intéressent à votre mental, à votre système de pensée, et s’emploient à les modifier. C’est l’aspect psychologique qui prédomine. 

JOURNALISTE : Quel rôle jouiez-vous au sein des services de renseignement israéliens ?     
 
 
ROSS :Durant lesseptpremières années,j’ai servicomme « combattant », soit agent sans couverture diplomatique, l'élite du service.  Puis je suis devenu katsa, c’est-à-dire agent de renseignement. Il existe deux sortes de katsa : l’agent traitant, qui recrute des informateurs et cible l’HUMINT [renseignement d’origine humaine], et l’officier polyvalent. J’étais de la seconde catégorie. Ensuite, plus loin dans ma carrière, je suis devenu officier de liaison avec la CIA et le FBI, puis à nouveau katsa, mais dans un autre domaine, à savoir le contre-terrorisme.

JOURNALISTE : Comment est-ce de travailler comme agent sous couverture dans notre monde contemporain ?   
 
 
ROSS :Lorsque vous vivez au secret pendant une longue période, cela affecte votre psyché. Les personnes qui travaillent dans notre business se déconnectent quelque peu de la réalité et en viennent à penser que leur vie de couverture est leur vraie vie. Pour éviter cette dérive, leurs supérieurs doivent régulièrement évaluer leur santé psychologique et veiller à ce qu’ils gardent des liens essentiels avec le monde réel. Dans le même temps, ils doivent leur donner la liberté d’exploiter leur couverture au maximum. 
 
La couverture est tout ce que nous avons en mission. Pour des gens qui opèrent en milieu hostile, elle est leur seul moyen de défense.
 
Comme arme, ils n'ont ni pistolet ni couteau, mais la faculté de convaincre autrui. Ils doivent faire croire à leurs cibles qu’ils ne représentent pas une menace, qu’ils sont à l'écoute et en aucune manière liés à un organe de renseignement. 

JOURNALISTE : Et comment réagissaient vos proches ?
 
ROSS :Il existe plusieurs types de couverture. Il y a la couverture pour votre travail et celle pour vos parents et amis. La seconde peut être délicate : vous devez convaincre votre famille, lui expliquer vos absences.
 
Dans mon cas, ma famille [parents] vivait en Amérique du Nord lorsque j’opérais au Moyen Orient, Europe ou Afrique. Aussi n’étais-je pas exposé au quotidien ; je n’avais pas besoin de me justifier constamment sur ce que je faisais et pourquoi. Ils savaient seulement que je travaillais à l’étranger. 

JOURNALISTE : La chaîne de télévision israélienne Channel 2 a récemment confirmé que le Mossad avait éliminé Imad Mughniyeh, l’un des leaders du Hezbollah, en février 2008. Que pouvez-vous nous dire à son sujet ?
 
ROSS :Mughniyeh était le cerveau du terrorisme moderne. Il représentait un point de convergence entre différents groupes jihadistes. Et surtout Téhéran. A bien des égards, Mughniyeh était plus l’homme de l’Iran que celui du Hezbollah.
 
JOURNALISTE : Vraiment ?
 
ROSS :Absolument. Mughniyeh incarnait le terrorisme d’Etat exercé par l’Iran. Les Gardiens de la Révolutions et le Ministère de la Sécurité Nationale [VEVAK, renseignement extérieur iranien] ont offert à Mughniyeh la plateforme qu’est le Hezbollah afin qu’il exporte la révolution islamique à l’étranger, et s’oppose à Israël aussi bien qu’à toutes les puissances occidentales de la région. Mughniyeh comptait parmi les cerveaux du terrorisme les plus influents de la planète.
 
Juste pour noter quelques-unes de ses fonctions : il était en charge des opérations à l’étranger, depuis les attentats à la bombe en Amérique du Sud. Il servait d’agent de liaison avec d’autres groupes terroristes, parmi lesquels Al-Qaeda, et a rencontré Ben Laden au Soudan au milieu des années 90. Sans compter qu’il s’occupait de l’aide logistique et militaire accordée aux groupes tels que le Hamas et le Jihad islamique. Mughniyeh était une figure de premier ordre au Moyen Orient, même si l’ampleur de son influence ne sera pas révélée de sitôt. 

JOURNALISTE : Certains disent qu’avant le 11 septembre, il était l’homme le plus recherché de la planète…
  
ROSS :Effectivement, et ce n’est pas une coïncidence.Une chose que nous avons découverte est que les capacités opérationnelles d’Al-Qaeda ont augmenté lorsque la nébuleuse est entrée en contact avec Mughniyeh. De même, huit des dix-neuf terroristes du 11 septembre ont pu transiter sans encombres par l’Iran avant les attentats contre le les Etats-Unis. 

JOURNALISTE : Suggérez-vous des liens plus étroits entre Al-Qaeda et le Hezbollah ?
 
ROSS :Voyez les attentats de Dar es-Salaam et Nairobi, sur lesquels j’ai enquêté comme agent de liaison du Mossad. Nous avons tracé les appels effectués par Ben Laden par téléphone satellite. Environ dix à douze pour cent d’entre eux étaient adressés à des officiels en Iran. Il serait très naïf de penser que le Hezbollah n’a jamais eu de contacts avec Al-Qaeda. Les groupes terroristes doivent collaborer les uns avec les autres, c'est leur seul moyen de survie stratégique. 
 
JOURNALISTE : Vous avez mentionné les attentats contre les deux ambassades américaines en Afrique, durant l’année 1998. Vous travailliez dans cette région au sein de la division TEVEL…
 
ROSS : TEVEL, oui. Cela veut dire « monde » en hébreu. 

JOURNALISTE : … comment avez-vous découvert Al-Qaeda ?
 
ROSS : Le nom de l’organisation a commencé à se répandre suite aux attentats contre les tours Khobar, en Arabie Saoudite, au milieu des années 90. Nous avons appris que les vétérans de la guerre d’Afghanistan avaient formé une « confédération » terroriste, renforcée par la venue du Jihad islamique égyptien. Mais il a fallu les attentats en Afrique pour que le renseignement travaille sérieusement sur le sujet et accepte l’idée qu’il existait, désormais, une organisation transnationale aux capacités opérationnelles très élaborées.
 
En réalité, c’est moins une structure qu’un « parapluie » qui couvre une variété très diverse de groupes terroristes. La venue du Jihad islamique égyptien au sein d’Al-Qaeda a marqué le début de l’ascension de la nébuleuse qui, initialement, était facile à tracer grâce à notre étroite coopération avec le renseignement égyptien. 

JOURNALISTE : Est-ce à dire qu’Ahmed Al-Zahawiri, le numéro deux d’Al-Qaeda, est plus important qu’Oussama Ben Laden ?
 
ROSS :  Oui. Ben Laden est une figure symbolique, mais le vrai cerveau de « la base » est son second égyptien. C’est sa venue, et celle de son Jihad islamique, qui a transformé Al-Qaeda en menace internationale. Zahawiri est célèbre pour ses harangues télévisées, mais celles-ci cachent sa vraie place au sein d'Al-Qaeda.

JOURNALISTE : Abordons le 11 septembre 2001. Comment avez-vous réagi à ces évènements ?
  
ROSS : Je dois vous avouer que j’étais plutôt choqué. Je travaillais en Asie du Sud-est à cette période. Je surveillais une organisation terroriste. Pas liée à Al-Qaeda, mais terroriste quand même. Lorsque j’ai appris la nouvelle – j’étais devant la télévision lorsque le second avion a percuté le World Trade Center – j’étais choqué.
 
Je l’ai pris comme une défaite personnelle. Nous avons travaillé sans relâche pour traquer ces personnes pendant des années. C’était très démoralisant. Il faut comprendre que la raison de notre existence, en tant qu’agents du renseignement, est d’empêcher de tels actes.  
 
Je peux vous garantir que le Mossad n’avait aucune connaissance préalable de ce drame. Il existait, bien sûr, des fragments d’informations, mais personne ne les avait mis en perspective pour bâtir le début d’une évaluation. Le renseignement américain souffrait du même problème, ce qui l’a mené au désastre. 

JOURNALISTE : Justement. Comment jugez-vous vos collègues du FBI et de la CIA, vous qui les avez côtoyé comme agent de liaison en Afrique ?
 
ROSS : Les agents de terrain et les NOC [Non-official cover operatives, agents sans couverture diplomatique], leur version de nos « combattants », ont fait leur travail. Mais, avant le 11 septembre, il y avait un vrai problème de bureaucratie et de chaîne de commandement aux Etats-Unis, un vrai manque de coopération et de coordination. La guerre entre les services a affecté leurs capacités de renseignement, du quartier-général jusqu’à l’agent de terrain. Inutile de préciser que nous aussi, comme agence partenaire, avons subi les conséquences de cette lutte entre le FBI et la CIA.

Mon ami Ismaël Jones, qui a servi dans la branche clandestine de la CIA pendant vingt ans, a récemment publié un livre sur cette guerre de tranchées que se livrent le renseignement intérieur et extérieur des Etats-Unis. C'est édifiant.  
 
Le nom de Ken Williams vous dit-il quelque chose ?
 
JOURNALISTE : Non.
 
ROSS : J’ai travaillé avec lui et le connais plutôt bien. Il a ensuite été affecté au bureau du FBI à Phoenix. C’est l’agent qui a averti sa hiérarchie que plusieurs Arabes prenaient des cours de vols aux Etats-Unis quelque mois avant le 11 septembre. Il a ajouté que cette information devait être largement diffusée au sein de la communauté du renseignement américain. On a ignoré son mémorandum. C’était en juillet je crois, et les attentats ont eu lieu en septembre… C’est ce genre de faute professionnelle institutionnalisée qui a conduit à la tragédie du 11 septembre.   
  
JOURNALISTE : Je m’interroge sur les directeurs du Mossad sous lesquels vous avez servi. Si j’excepte Admoni, vous avez connu trois caractères très différents : Shabtai Shavit, Danny Yatom et Ephraïm Halevy. Quelle est votre opinion à leur sujet ? Nous avons leurs avis, mais rarement – à vrai dire jamais – celui des hommes de terrain.
  
ROSS :En effet. Ils voient le tableau dans son ensemble, à un niveau très élevé, quasi ministériel, alors que j’ai travaillé comment agent opérationnel. Ma perspective est sensiblement différente de la leur.
 
L’une des choses que j’ai toujours admirées dans le Mossad est qu’il fonctionne comme une organisation apolitique. Il ne vit pas sous la loupe d’une commission ; il ne répond qu’au Premier Ministre, à la limite aux membres supérieurs de son cabinet. C’est essentiellement une relation entre le directeur général et le Premier Ministre.
 
Le Mossad est une petite structure centralisée. Vous avez le directeur général et la pyramide au-dessous, mais une petite pyramide, rien à voir avec l’énorme bureaucratie insondable que vous retrouvez dans les autres agences de renseignement. Le système est très direct : si le directeur général prend une décision, celle-ci descend les échelons très rapidement.
 
Il n’est pas rare que le Premier Ministre en exercice s’implique personnellement dans notre travail. Le Premier Ministre Rabin, par exemple, aimait sincèrement le Mossad et savait exploiter son potentiel. Il participait à des briefings et des debriefings de « combattants » et du personnel en mission, et ceci sans ordre préalable du directeur général. Rabin montrait un véritable intérêt pour les agents qui travaillaient à son service.
ROSS :  Mais pour revenir à votre question, tous les directeurs généraux que j’ai connus avaient leurs forces, à leur manière. Le plus faible d’entre eux, à mon avis, était Danny Yatom. Je ne dis pas « faible » pour une personne sans poigne, il était tout sauf ça, mais j’estime que son style militaire, obtu, ne correspondait pas à celui du renseignement, lequel doit rester souple et intellectuellement flexible.
 
Les gens comparent souvent le milieu du renseignement avec le monde militaire, mais ils font une grosse erreur. Les deux sont très différents. Vous ne pouvez pas contrôler le Mossad comme une unité de soldats. Ça ne marche tout simplement pas de cette manière.
 
Le directeur Yatom a eu une tâche difficile. Sous son commandement, plusieurs de nos opérations ont très mal tourné, à l’image de l’affaire Meshaal [tentative d'élimination au gaz aérosol du leader du Hamas, en 1997 en Jordanie]…
JOURNALISTE : Et des yahalomin [experts en communication] surpris en pleins repérages en Suisse en 1998....
 
ROSS :Exactement, cet agent capturé alors qu’il suivait la trace d’un membre du Hezbollah…
 
Ces échecs se sont déroulés sous le commandement du directeur Yatom, même si vous ne pouvez pas totalement l’en tenir pour responsable. Danny Yatom était une personne difficile à mettre en garde…
 
Les directeurs généraux du Mossad ont leurs qualités propres. Personnellement, je vouais une grande admiration à Shabtai Shavit, une personne très intelligente. Je ne le connaissais pas personnellement mais je l’ai rencontré quelques fois. Il était très impressionnant. Il avait des qualités de leadership tout à fait exceptionnelles, il gérait le Mossad comme une business school, ce qui a eu des répercussions favorables – mais aussi défavorables pour notre service.
 
Ephraïm Halevy a pris le commandement du Mossad lorsque notre organisation était démoralisée. Il a hérité de la position, enviable je pense, de celui qui devait dire « non » à plusieurs opérations que le Mossad voulait monter. Nous ne pouvions tout simplement plus nous permettre d’échouer.     
 
C’est là toute l’ironie du renseignement. Les gens doivent comprendre que le Mossad travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et conduit des opérations tout le temps. Il réussit des millions de choses et connaît quelques ratés, mais ce sont ces échecs qui deviennent connus du public.
 
Globalement, je suis satisfait des directeurs que l’on a mis à la tête du Mossad, tous des personnages avec un vrai talent. Je ne peux pas dire du mal d’eux, d’autant que je ne les connaissais pas assez personnellement pour porter un jugement honnête.
 
Comprenez que nous avons été bien formés et dirigés pendant ces dernières années. Le Mossad reste le service de renseignement le plus performant de la planète. Et de loin.
 
JOURNALISTE : L’un de vos environnements opérationnels dès 1993 était l’Iran. Comment jugez-vous l’évolution de son programme nucléaire durant les quinze dernières années ?  
 
ROSS :Il est impressionnant de voir à quelle vitesse l’Iran développe son programme. Nous avons observé attentivement tous les efforts que le régime a entrepris pour rassembler du matériel fissile, construire des centrales et rassembler des experts dans le seul but d’obtenir la bombe atomique.
 
Les Iraniens sont passés maître dans l’art de dissimuler leurs activités à la communauté internationale. Depuis des années maintenant, ils se jouent de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, des Nations Unies et des autres organes de surveillance, tout en accélérant leur entreprise nucléaire.
 
Ils restent donc déterminés à produire une bombe atomique – arme qu’ils comptent utiliser comme charge utile de leurs missiles balistiques Chahab-3.
 
Les estimations diffèrent sur l’avancée de leurs efforts. Les Américains pensent avoir le temps, les Israéliens voient l’urgence – et je partage l’avis des Israéliens : l’Iran pourra obtenir une bombe atomique dans les douze à dix-huit mois. 
 
JOURNALISTE : Doit-on ainsi s’attendre à une guerre entre Israël et l’Iran dans un futur proche ?
 
ROSS :Le message israélien ne souffre d’aucune ambiguïté, pour quiconque veut bien l’entendre : Israël ne peut pas autoriser un Iran nucléaire, et prendra toutes les mesures nécessaires pour que cela n’arrive jamais.
 
Ceci exposé, plusieurs voies peuvent être possibles. Tout dépend de l’implication américaine et européenne – l’Europe étant dans le champ d’action des missiles d’un Iran nucléaire. Avec une nouvelle administration en place aux Etats-Unis, tous nos précédents scénarios deviennent caduques. Beaucoup va dépendre du ton que prendra le nouveau Président Obama et sa vision de la menace.     

JOURNALISTE : Et l’établissement d’un nouveau gouvernement israélien…
 
ROSS :   Oui et non. Le message du gouvernement israélien ne changera pas, quelle que soit la couleur politique qui domine.
 
Tzipi Livni, par exemple, qui a été officier du Mossad, a une excellente vision à moyen terme, y compris de ce qui se passe en coulisses.
 
Pour ma part, je pense que l’Iran veut devenir une puissance régionale à tout prix, et ne renoncera pas à l’arme atomique. 

JOURNALISTE : Nous nous dirigeons donc vers la guerre, quoi qu’on en dise. Est-ce que le Mossad peut ralentir le programme nucléaire iranien ?
 
ROSS :Si vous regardez ce qui s’est passé en Syrie l’année passée, la chasse israélienne a mené une véritable opération chirurgicale contre un site nucléaire. Elle pourrait rééditer l'opération, bien que les centrales iraniennes soient plus dispersées.
 
Je ne veux pas dire si le Mossad peut ou ne peut pas agir, le plus important est d’estimer la réponse des mollahs. S’ils choisissent de riposter militairement, nous pourrions effectivement assister à une nouvelle guerre régionale.    
 
JOURNALISTE : Je voudrais évoquer avec vous une situation qui a une importance particulière pour les amis d’Israël, celle de Guilad Shalit. Comme agent du renseignement, comment voyez-vous cette situation ?
 
ROSS :La libération d’un otage a toujours figuré sur la liste des priorités de la communauté israélienne du renseignement, le Mossad en premier. Vous pouvez donc être certain que notre service travaille sans relâche afin que Guilad Shalit puisse rentrer dans sa famille. 
 
Cela fait partie de nos valeurs. Nous n’abandonnons jamais l’un des nôtres en mains ennemies, même cela comporte des risques. Il ne faut pas oublier qu'une opération de sauvetage est très délicate.
 
Mais, si le Mossad bénéficie des renseignements nécessaires et que s’ouvre une fenêtre d’opportunité, il agira.   

JOURNALISTE : Quelles sont, selon vous, les priorités du renseignement extérieur pour les années à venir ?         
 
  
ROSS :Le Mossad, comme tout service secret, établit une liste de priorités sur les trois prochaines années. Il décide de concentrer ses moyens sur certains types de missions. Ce choix recèle une importance particulière pour une petite organisation comme la nôtre, qui a un large éventail d’environnements à couvrir.  
 
L’Iran et son programme nucléaire figurent en tête de liste. Son acquisition, déploiement et utilisation d'armes interdites. Viennent ensuite les Etats satellites, comme la Syrie. Puis les groupes terroristes transnationaux, le Hezbollah en particulier.
 
Il me vient une anecdote : lorsque j’étais officier de liaison avec la CIA et le FBI, mon travail de contre-terrorisme faisait pâle figure face à mes collègues qui prévenaient la prolifération d’armes interdites. Ces derniers affirmaient volontiers que « le terrorisme est une menace, mais pas une menace stratégique ». Et j’avais pris l’habitude de leur répondre « le terrorisme peut poser une menace stratégique bien réelle. Tout dépend de la manière dont il est utilisé ».
 
Mes mots trouvent aujourd’hui une nouvelle pertinence. Un groupe comme le Hezbollah et Al-Qaeda, s’ils acquièrent des armes non conventionnelles, peuvent devenir des dangers mortels. Et même sans cette technologie, un cerveau criminel peut réussir des opérations spectaculaires. Regardez ce qu’ils ont fait le 11 septembre 2001, avec des cutters et quelques téléphones portables, tout cela pour un prix dérisoire.
 
Le terrorisme, plus que jamais, peut mettre une nation à genoux.
 
JOURNALISTE : Pourquoi avez-vous quitté le Mossad ?
 
ROSS : J’étais à bout. Mais certains jours, je vous l’avoue, j’aimerais bien revenir.
 
La situation a changé de manière spectaculaire depuis le 11 septembre. Les figures fantomatiques que nous poursuivions étaient inconnues du public lorsque je servais sur le terrain. Durant nos briefings avant le 11 septembre, nous parlions de Ben Laden, Al-Qaeda, mais personne n'y prêtait vraiment attention au sein des services de sécurité.
 
Aujourd’hui, tout le monde en a entendu parler… 
 
JOURNALISTE : Finalement, quelles leçons de vie avez-vous apprises en servant comme espion pour l’Etat d’Israël ?
 
ROSS : J’y ai gagné un autre regard sur le monde. J’avoue que je suis souvent ennuyé de voir combien de personnes se sont autoproclamées « experts » en contre-terrorisme et contre-prolifération depuis le 11 septembre…  

JOURNALISTE : … vous avez des noms… ?
 
ROSS :…vous pouvez y inclure la grande majorité des instituts universitaires consacrés à ces sujets… Ils ont construit un « empire commercial ». Je suis très sceptique sur leurs vraies compétences en la matière.
 
Ils lisent des sources de seconde main, comme des livres de vulgarisation qui se révèlent être très souvent incorrects ou incomplets. Malgré tout, ces gens finissent dans les médias à colporter de fausses allégations. Il y a aussi un nombre incalculable de journalistes. Vous savez, les journalistes sont… 

JOURNALISTE : … des journalistes….
 
ROSS :Exact. Les journalistes ne rapportent que les nouvelles que les agences de renseignement veulent bien leur donner. Et, bien sûr, nous ne disons pas toujours la vérité. Un service secret ne livre que les informations qu’il veut voir publier… 

JOURNALISTE : (rires)
 
ROSS :… ainsi, ma vision du monde est très différente de celle des journalistes que je croise. L’année dernière, une université m’a invité à donner une conférence sur le contre-terrorisme, ici, à Vancouver. Le public comptait des Américains et différents spécialistes du sujet. J’ai parlé pendant trois heures, et cela m’a frappé de voir combien le public est mal informé. On m’a questionné sur certains faits que je pensais acquis de longue date.
  
A la fin, un professeur américain qui dirigeait un institut d’études de défense est venu me voir et m’a confié que le public avait beaucoup aimé mes « histoires du front ». C’était dit d'une manière très condescendante. J’ai réalisé alors que j’étais le seul, parmi les conférenciers, à parler de contre-terrorisme en tant qu’ancien expert de terrain. Les autres orateurs étaient vexés de me voir donner des références concrètes.
 
Je n’ai pas seulement connu des terroristes, je les ai combattus dans le monde réel. Eux, au contraire, évoquaient une réalité qui leur était totalement abstraite.
 
Je dirais donc que ma grande leçon, comme agent de renseignement israélien, a été de comprendre que beaucoup de gens parlent aujourd’hui de menaces dont ils n’ont pas saisi la vraie signification.
Drzz
Drzz est un blog d'informations et d'analyses recommandé par Guy Millière : http://leblogdrzz.over-blog.com   
4 commentaires
Le compte de ce membre a été suspendu.
Envoyé par F - le Samedi 29 Novembre 2008 à 19:04
Synthétique,excellent./Did.
Envoyé par Didier_001 - le Jeudi 4 Décembre 2008 à 00:07
Le compte de ce membre a été suspendu.
Envoyé par F - le Jeudi 4 Décembre 2008 à 00:18
Bonjour Rick
"Le renseignement est l'apanage des gentil'hommes, s'il est confié à d'autres, il s'écroule". Je cite un Colonel prussien. Par ailleurs,l'importance d'un officier traitant dépend énormément de la qualité des informations qui lui sont fournies par la source.Pour procéder au recrutement de celle-ci ,il va falloir d'abord la repérer puis l'approcher. Un travail réclamant une grande prouesse.A mon avis, les meilleurs officiers de recherche étaient Elie Cohen, Rudolph Abel et Richard Sorge. Ces hommes, chacun à sa manière et l'élégance de son style étaient parvenus au sommet du métier. La vieille école est partie et le renseignement pur avec. Francis
Envoyé par Mostafa - le Vendredi 5 Décembre 2008 à 22:53
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